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Regard critique · Justice sociale

Social

Habiter ensemble, vivre autrement

Permettre aux personnes en situation de handicap ou de fragilité psychique d’avoir un chez-soi, dans lequel elles se sentent en lien, utiles, actrices des décisions qui les concernent. Le tout en bénéficiant d’un accompagnement sur mesure encourageant leur autonomie. Telle est l’ambition de l’habitat inclusif et solidaire. Un modèle de logement largement plébiscité et qui, pourtant, peine à se développer. Explications.

«Les gens prennent le temps de nous écouter si on a le smile», sourit Mathilde, 30 ans, en situation de handicap moteur et visuel et de fragilité psychique. «Ça me tient à cœur de défendre une cause importante comme les logements inclusifs. On vit à peu près tous les mêmes galères, faut qu’on soit solidaire!» À l’occasion de la Journée mondiale de l’habitat, le 6 octobre dernier, Mathilde participait sur la place de Brouckère à Bruxelles à un rassemblement organisé par l’asbl Habitat et Participation. Cette mobilisation avait pour objectif de dénoncer le manque de lieux de vie adaptés, répondant aux besoins des personnes en situation de handicap et/ou confrontées à des problèmes de santé mentale. Mais aussi d’interpeller le gouvernement bruxellois pour qu’il soutienne, sur le long terme, les habitats inclusifs et solidaires (HIS) existants et en crée de nouveaux.

«Depuis 2021, je vis en mixité avec des personnes valides dans l’habitat collectif Riga», poursuit Mathilde, qui réside, à Schaerbeek, dans un immeuble de 27 appartements réunissant des personnes en situation de handicap/fragilité ou pas autour d’une dynamique inclusive, participative et solidaire. «On ne partage pas forcément les mêmes histoires de vie, mais des buts communs, comme l’entraide entre voisins.» La jeune femme, par exemple, donne un coup de main à une maman solo pour les devoirs des enfants. «Contrairement à ce qu’imaginent parfois les gens, les personnes moins valides peuvent être utiles. Et si la société était conçue et aménagée de manière plus inclusive, si bêtement les trottoirs étaient moins hauts, je pourrais être encore plus autonome.»

Pour Thomas, 34 ans, porteur de troubles moteurs, lui aussi présent lors du rassemblement, ces HIS sont à multiplier, car ils apportent vraiment une solution aux personnes qui ne réclament pas des soins H24, mais pour qui la vie en solo demeure compliquée pour des raisons d’autonomie et de convivialité. Il vit à Jangada, à Woluwe-Saint-Lambert, un ensemble de 16 logements destinés à des personnes valides et moins valides, ainsi qu’à des étudiants; chacun contribuant à rendre le lieu inclusif, solidaire et convivial. «Emménager là-bas m’a permis de prendre mon envol de chez mes parents. J’y trouve un parfait équilibre entre le fait d’avoir mon chez-moi et la vie en collectivité.»

S’approprier son lieu de vie

Dans ces habitats inclusifs et solidaires comme dans la plupart des habitats groupés, une attention particulière est accordée à l’échange et au partage. Des espaces communs, intérieurs et extérieurs, peuvent accueillir les activités à plusieurs. Des tâches et de menus travaux (cuisine, jardinage, nettoyage…) ainsi que des moments communautaires de cohésion et de codécision ponctuent aussi l’agenda. Souvent, la perméabilité du lieu avec le quartier est encouragée afin de favoriser l’ancrage dans la cité et la société. À Tournai, le projet Anthélie s’est implanté dans un ancien internat, désormais reconverti en dix appartements et plusieurs espaces communs destinés à des adultes en précarité économique et présentant de grandes fragilités psychiques, mais stabilisés. «Le lieu est en réseau avec le tissu social et associatif de la Ville; ce qui facilite l’intégration des habitants à des occupations en mixité, comme celles proposées par Article 27, les jardins partagés, la ressourcerie», se réjouit Marina, initiatrice de cet HIS où vit son fils de 28 ans, en situation de handicap et de grande fragilité psychique.

Pour Thomas, 34 ans, porteur de troubles moteurs, ces HIS sont à multiplier, car ils apportent vraiment une solution aux personnes qui ne réclament pas des soins H24, mais pour qui la vie en solo demeure compliquée pour des raisons d’autonomie et de convivialité.

Difficile de définir avec précision ce que recouvre un habitat inclusif et solidaire, chacun s’adaptant au contexte et au projet de vie de ses résidents. «Tous partagent néanmoins la même ambition: pouvoir répondre, de manière non standardisée, aux besoins spécifiques de chaque personne, lui permettre d’être actrice des décisions qui la concernent et, enfin, la soutenir dans son autonomie pour qu’elle puisse aller au plus loin de ses capacités», souligne Laurence Braet, chargée de mission d’éducation permanente chez Habitat et Participation.

Dans cette approche, l’habitat joue un rôle central. «La personne va s’y développer à la fois intérieurement et grâce aux liens qu’elle tisse avec les autres», assure l’experte. «Une étude menée par la VUB sur des seniors vivant en habitat groupé a, par ailleurs, montré que les bénéfices psychologiques liés au fait de choisir et de s’approprier son lieu de vie auraient un impact positif sur la santé.» C’est pourquoi l’équipe d’Habitat et Participation estime que cette formule de logement adapté se révèle in fine moins coûteuse qu’une prise en charge institutionnelle globale, voire familiale si on mesure le gain en termes de qualité de vie, y compris pour l’entourage.

Complexe, le montage de projet!

Au vu des multiples avantages que semblent afficher les habitats inclusifs et solidaires, mais aussi du manque de places dans les lieux d’hébergement régulièrement dénoncé par le secteur et les familles concernées, comment expliquer que le concept n’essaime pas à tous les coins de rue? La carte des habitats participatifs, accessible sur le site Habitat-groupe.be, en dénombre 44 en Belgique, dont certains pas encore en activité. «L’offre est nettement inférieure au potentiel de demandes», regrette Laurence Braet. Les HIS sont bien souvent le fruit de la mobilisation des familles et de soutiens associatifs. Or, la création de tels logements se révèle complexe en termes de gestion de projets. «L’accès à l’immobilier réclame un solide bagage économique, reprend l’experte. Une fois le montage juridico-financier bouclé, organiser l’accompagnement individualisé des habitants n’est pas simple non plus. Le recours aux services généraux d’aide à la personne étant la plupart du temps insuffisant, le défi sera de trouver des financements ou partenariats pour assurer les services supplémentaires.»

À Anthélie, chaque habitant active lui-même les services (soins de santé, aide-ménagère, etc.) dont il a besoin et auxquels il a accès. Pour faciliter le lien entre voisins ainsi que l’ouverture de l’habitat inclusif et solidaire sur l’environnement et les associations de la ville, tout en respectant la vie privée et le désir d’intimité de chacun, un «veilleur» supervisé par des professionnels de la santé mentale a été engagé. «Ce rôle, indispensable pour que le projet tourne, ne s’improvise pas, insiste Marina. Il ne peut pas être pris en charge par des bénévoles. Et c’est là que le bât blesse: nous ne bénéficions d’aucun subside. Grâce à nos dons, nous parvenons à financer cet emploi à mi-temps seulement.»

Les HIS sont bien souvent le fruit de la mobilisation des familles et de soutiens associatifs. Or, la création de tels logements se révèle complexe en termes de gestion de projets.

Selon Habitat et Participation, une impulsion politique favorisant la mise en place de partenariats entre services publics, monde associatif et citoyens permettrait d’envisager l’avenir des HIS plus sereinement, «qu’il s’agisse de faciliter l’accès à des terrains ou à la réhabilitation/construction de bâtiments, comme c’est le cas en France et aux Pays-Bas, d’alléger les aspects fiscaux, de soutenir le financement de l’accompagnement par divers mécanismes, ou encore d’instaurer un label de qualité», illustre Laurence Braet.

Subventions sur la sellette

Sur le site de l’Agence pour une Vie de qualité, pas vraiment de mention aux HIS, à l’exception de deux appels à projets émanant de l’Union européenne. «Nous sommes favorables à une diversification des options d’habitat, d’autant plus si elles misent sur l’inclusion, mais nous restons tributaires du cadre légal et des ressources disponibles», déclare Lara Kotlar, porte-parole de l’institution. N’étant pas agréés, en effet, les HIS ne reçoivent pas de subventions récurrentes. «Et la décision du gouvernement wallon de réduire notre budget de 28,3 millions en 2026 met les subventions facultatives sur la sellette. Ce qui ne nous empêche pas de participer à des groupes de travail pour contribuer à l’avancement de ce mode d’habitat ou d’informer les personnes en recherche d’alternatives.»

Même son de cloche du côté du service PHARE (Personne handicapée autonomie recherchée) à Bruxelles, qui octroie des subsides à Riga et à Jangada en tant que projets pilotes tablant sur la mixité des résidents. «Le contexte ne nous permet pas d’envisager le développement de nouvelles politiques ni de nouveaux projets», commente Nicolas Mary, directeur d’administration de l’Aide aux personnes handicapées à la Commission communautaire française, qui pilote le service. Voilà pour le cadre actuel! Quant à l’avenir, il demeure incertain… «Si le prochain cabinet nous invite à recentrer nos missions comme en Wallonie, le financement des subsides facultatifs et le renouvellement d’agréments pour les projets concernés risquent d’être impactés, craint Nicolas Mary. Les associations sont inquiètes et je ne peux rien leur promettre. Il y a énormément de dossiers sur le feu. Et qui sait si le prochain ministre du Handicap à Bruxelles voudra donner une priorité, durant son mandat, au logement inclusif… Une solution alternative qui a, en tout cas, tout son sens, en offrant aux personnes en situation de handicap l’accès à des services qui n’existent pas ailleurs!»

Allison Lefevre

Allison Lefevre

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