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Regard critique · Justice sociale

Mobilité douce

Des voies vélo express

Faire la navette entre deux villes à coups de pédale? L’idée resurgit dans toute l’Europe. Mais, en Belgique, la construction d’autoroutes cyclables est un feuilleton institutionnel et politique compliqué.

(CC)RobertCourseParker

Faire la navette entre deux villes à coups de pédale? L’idée resurgit dans toute l’Europe. Mais, en Belgique, la construction d’autoroutes cyclables est un feuilleton institutionnel et politique compliqué.

Il y a des signes qui ne trompent pas. À la fin du XIXe siècle, il a fallu abandonner l’idée d’une passerelle à vélos suspendue reliant Los Angeles à Pasadena. L’essor de l’automobile rendait l’ouvrage ringard, avant même qu’il ne soit achevé. Un peu plus d’un siècle plus tard, l’idée excite les architectes high-tech, et même les constructeurs automobiles: en 2012, Norman Foster dessinait un projet fou de 220 km de pistes cyclables aériennes pour Londres; BMW envisage aujourd’hui de construire des pistes couvertes à Shanghai.

Les problèmes de congestion automobile, de pollution et de sédentarité de la population, le coût de la rénovation des tunnels routiers et l’essor des vélos à assistance électrique redonnent du sens et du crédit aux déplacements à deux roues sur de longues distances. Aux quatre coins du monde apparaissent des projets d’«autoroutes» ou de «voies express» cyclables, dont la plupart ne sont pas des passerelles ou des tubes volants mais de simples aménagements intégrés au territoire. Disons des «super-pistes cyclables».

Avantages? Le confort, la sécurité et la rapidité. «Non pas dans le sens où les gens roulent comme des malades, précise Florine Cugnet, du Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens (Gracq), mais dans le sens où on essaie d’éviter au maximum les arrêts.» Sur la voie express de 18 km qui relie les villes néerlandaises d’Arnhem et de Nimègue, par exemple, le cycliste ne rencontre pas de feu, grâce à des ponts, des tunnels ou des passerelles, et lorsqu’il franchit un carrefour, sur une route secondaire, il est prioritaire. Sur les tronçons traversant les quartiers résidentiels, des panneaux indiquent «fietsstraat, auto te gast» (rue cyclable, voitures invitées). La logique habituelle est donc inversée: la route est d’abord pour les vélos, les autos y sont tolérées. «On a changé l’apparence des rues; on a changé les comportements des gens; on a changé la façon dont ils se sentent: ils sont plus heureux», se félicite Sjors Van Duren, le programmateur de l’événement Velo-city 2017 qui avait lieu à Arnhem.

Suivre les rails

Dans la foulée des Pays-Bas, précurseurs en la matière, la Flandre a succombé aux attraits des autoroutes cyclables. Cent dix fietssnelwegen, totalisant 2.400 km (dont plus de la moitié déjà réalisés) sillonnent le territoire, longeant fréquemment les voies de chemin de fer. Dès l’an 2000, des tronçons sont ainsi aménagés le long de la ligne Amsterdam-Bruxelles afin de créer une super-piste cyclable reliant Anvers à Malines. Aujourd’hui, «un jour moyen de semaine, plus de 4.000 personnes empruntent les sections les plus populaires du tracé», soulignent les promoteurs du projet CHIPS (Cycle Highways Innovation for Smarter People Transport and Spatial Planning), qui étudie la façon d’augmenter la fréquentation de cinq véloroutes européennes. Sans surprise, c’est en investissant dans des infrastructures de qualité (pistes larges, directes, séparées du trafic sur les gros axes, sans interruption) que l’on se donne le plus de chances de capter les cyclistes et de convaincre des automobilistes ou usagers des transports en commun de changer de mode de déplacement.

«Le coût de ce type d’infrastructure est régulièrement pointé par ses détracteurs: un gaspillage d’argent qui ne profitera au final qu’à une petite minorité, pointe Florine Cugnet. Ironiquement, ce sont les mêmes arguments que l’on a opposés à la construction des premières autoroutes dans les années 1930!» Pourtant, les infrastructures cyclables peuvent être très rentables. Bruno Van Zeebroeck de Transport&Mobility* calcule qu’avec 20% de cyclistes à Bruxelles, un euro investi rapporterait 17 à 19 euros, soit 300 à 400 millions d’euros à la société: moins de morts sur les routes, moins de soins de santé, des économies pour la STIB et les familles et, même, plus de plaisir et moins de stress. Sa conclusion: dépenser 150 millions d’euros pour financer un réseau «RER vélo» dans et autour de Bruxelles est tout à fait acceptable.

«Salamisation»

Un réseau de routes cyclables pénétrant dans Bruxelles le long des voies de chemin de fer et du canal existe bien – sur papier. Parmi ces 32 routes censées relier la capitale et sa périphérie, 15 d’entre elles (280 km) ont été désignées comme prioritaires pour 2025. Le coût total du RER vélo est évalué entre 120 et 150 millions d’euros, à charge des Régions bruxelloise et flamande. Certains tronçons sont plus avancés, comme la liaison Louvain-Bruxelles réalisée à 75 % et déjà bien fréquentée. Un pont sera prochainement construit au-dessus du Ring Ouest afin de connecter Zaventem avec Bruxelles.

«L’ensemble du réseau pourrait être financé au prix de la rénovation d’un tunnel bruxellois», estime Frederik De Poortere, le manager vélo de la Région bruxelloise, cité par le Cracq. Mais, au-delà de l’aspect financier, le «RER vélo» rencontre de nombreux obstacles administratifs et politiques. Interviennent dans ce dossier: les trois Régions, des provinces, des communes, Infrabel, la SNCB, Beliris, des acteurs privés et des paquets de ministres. Joris Vandamme, de la Province du Brabant flamand, ne parle même pas de «saucissonnage» mais de «salamisation» pour évoquer l’aventure de l’A-B fietssnelweg, qui relie Asse à Bruxelles. En l’absence d’une véritable «agence RER vélo» dotée d’un financement, chaque kilomètre de piste demande des heures de négociations, des compromis et des adaptations. La volonté de Pascal Smet, ministre bruxellois de la Mobilité, ne suffit pas.

Pneus crevés

Du côté de la Wallonie, on n’en est pas à filer sur des autoroutes à vélo – à peine est-on sur le point de gonfler ses pneus. «Les politiques francophones n’ont toujours pas compris l’intérêt de ce mode de transport», déplore Luc Goffinet, du Gracq. Il y a, certes, le réseau de Ravel, mais il s’agit de voies de loisir, partagées avec des piétons et des cavaliers, et des voies reliant les villes et villages pour se rendre à l’école ou au travail. «Avant d’envisager des autoroutes cyclables, il faudrait déjà avoir des pistes cyclables normales dans les villes et quartiers.»

L’une des grosses déceptions des cyclistes wallons, c’est ce que certains ont appelé le «Vélo express régional» (VER), une voie longeant le tracé du futur RER entre Ottignies et Bruxelles, et qui n’a jamais fait l’objet d’une étude de faisabilité. Comble de la frustration, une piste existe bel et bien au bord du chantier à l’arrêt: un chemin technique, parfois asphalté, longe les voies (voir la vidéo sur le blog ploum.net) mais les vélos ont l’interdiction de l’emprunter. Infrabel évoque des questions de sécurité. La pose d’une clôture aurait coûté 300.000 euros. Le ministre fédéral de la Mobilité, François Bellot, annonce maintenant la reprise du chantier et l’idée de l’utiliser comme piste cyclable, même temporaire, est donc enterrée.

 

* Plusieurs interventions sont issues du colloque sur le RER vélo organisé à l’IBGE en mars 2016.

Céline Gautier

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