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Enseignement

Coaching scolaire, la clef de la réussite?

Que faire quand son enfant connaît des difficultés à l’école? Certains parents font appel à des coachs scolaires. Une pratique qui pour d’aucuns souligne les manquements actuels de l’enseignement en Communauté française. Faute de trouver à l’école les outils nécessaires à leur réussite, les enfants iraient les chercher à l’extérieur. Contre espèces sonnantes et trébuchantes.

(c) Marion Sellenet

Que faire quand son enfant connaît des difficultés à l’école? Certains parents font appel à des coachs scolaires. Une pratique qui pour d’aucuns souligne les manquements actuels de l’enseignement en Communauté française. Faute de trouver à l’école les outils nécessaires à leur réussite, les enfants iraient les chercher à l’extérieur. Contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Michel Galesloot est instituteur en troisième maternelle. C’est surtout un père. Aussi, lorsque son fils âgé de 11 ans lui a fait part de ses angoisses à l’idée d’entrer en secondaire, Michel Galesloot n’a pas hésité. Il l’a envoyé se faire accompagner auprès d’une coach scolaire.

Comme lui, de nombreux parents en Communauté française effectuent ce type de démarche, même si des chiffres précis sont impossibles à trouver. Et pour cause: la plupart des «coachs» sont des indépendants œuvrant chacun de leur côté. Attention: de gros «opérateurs» existent aussi. Et ils compilent parfois des chiffres. En 2016-2017, les 1.800 coachs d’une boîte comme My Sherpa ont ainsi accompagné près de 2.500 jeunes issus du primaire, du secondaire et du supérieur.

Pour les associations de parents, le recours au coaching scolaire serait l’un des symptômes provoqués par les défaillances de l’enseignement en Communauté française, incapable de fournir «en interne» et gratuitement ce que le coaching offre «en externe» contre rémunération. Au risque, aussi, de n’être accessible qu’aux classes sociales les plus favorisées…

C’est quoi, le coaching scolaire?

Aujourd’hui, le fils de Michel Galesloot est âgé de 13 ans. Il est en deuxième secondaire, sa scolarité se passe bien. Ce qui était aussi le cas lorsqu’il a commencé à se faire suivre par une coach scolaire. «Il n’était pas en difficulté, mais ressentait de l’anxiété, explique son père. Le passage au secondaire, c’est quelque chose. En primaire, on s’occupe beaucoup d’eux. Alors que dans le secondaire ils doivent apprendre à s’organiser eux-mêmes.»

Au cours de trois séances de deux heures, il a subi des tests afin de déceler son type d’intelligence, qu’elle soit auditive, visuelle, etc. Il a aussi reçu des conseils sur sa méthodologie de travail, son organisation. «Cela lui a permis d’être rassuré, de ne pas se sentir tout seul. Et cela a donné des résultats concrets», témoigne Michel Galesloot. Dans ce cas précis, le coaching a donc servi à préparer le jeune. D’après Ron Kelijman, cofondateur de My Sherpa, certains des jeunes que la structure accompagne sont effectivement des «jusqu’au-boutistes» sans réelles difficultés mais souhaitant «avoir 80% en maths». D’autres par contre connaîtraient des difficultés plus importantes dans certaines matières ou de façon plus globale.

Pour trouver un coach scolaire, Michel Galesloot s’est rendu sur Internet. En quelques clics, les pages se mettent vite à défiler. On est tout d’abord frappé par la diversité des offres. Manifestement, le coaching scolaire recouvre un ensemble hétéroclite de pratiques qui jouent des coudes. D’un côté, My Sherpa affirme ainsi travailler sur la motivation, la méthodologie de l’élève. «Nous offrons plus que des cours particuliers, argumente Ron Kelijman. Nous essayons de voir quelle est la situation de l’élève, quelles difficultés il peut rencontrer et quels objectifs on peut lui mettre en termes d’apprentissage. Et puis nous l’aidons à trouver par lui-même comment atteindre cet objectif.» Il n’empêche: une bonne partie du boulot de la structure semble plutôt se rapprocher de la remédiation. Son site Internet fait d’ailleurs la part belle aux cours particuliers.

De l’autre côté du spectre, on trouve des coachs au discours plus teinté de développement personnel ou de coaching de vie et qui ne touchent pas à la remédiation. Gaëtan Gabriel est l’un d’eux. Auteur en 2011 d’un livre intitulé Coaching scolaire: augmenter le potentiel des élèves en difficulté, l’un de ses objectifs est de parvenir à ce que les jeunes de 15 à 25 ans qui viennent le voir apprennent à «se centrer». «L’idée est de faire en sorte qu’ils aient un autre regard sur leurs problèmes, leurs difficultés, explique-t-il. Nous allons travailler sur les problèmes d’apprentissage mais en envisageant aussi les problèmes de bien-être, de relationnel, de communication, de stress. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de ne plus avoir de stress, mais plutôt de l’envisager différemment.» Plus généralement, l’optique du coach scolaire serait de faire en sorte que les jeunes s’approprient cette manière de penser «afin qu’ils la répètent dans la vie de tous les jours». Une démarche différente de celle de My Sherpa? Pour notre homme, la réponse est clairement oui. «My Sherpa fait du conseil et de la remédiation, lance-t-il. Cela ne me pose pas de problème, mais pourquoi disent-ils qu’ils font du coaching? Il y a un aspect mode à tout cela.»

Enfin, notons aussi l’existence de structures vendant une approche plus «multidisciplinaire». Créé en 1985 et situé à Waterloo, le «Centre de réussite scolaire» en fait partie. Ici, l’accompagnement se complète de travail avec des psychopédagogues, des logopèdes, des neuropsychologues. Didier Bronselaer, son fondateur, n’aime d’ailleurs pas que l’on parle de coaching quand on évoque le travail du centre. «Nous effectuons un diagnostic et nous offrons une approche multidisciplinaire, ce que ne font pas les coachs, qui sont des entraîneurs», argumente-t-il. Sur le fond, l’objectif du centre se rapproche néanmoins grandement de celui que l’on peut trouver chez les coachs scolaires. «Il s’agit que l’enfant se représente au mieux son potentiel, les causes de ses difficultés et ce qu’il peut mettre en place pour aller de l’avant», explique Didier Bronselaer…

Un marché à prendre

On le voit, l’offre en coaching scolaire est pléthorique. Un phénomène qui se serait amplifié ces dernières années si l’on en croit Didier Bronselaer. «Depuis 2008/2009, le nombre de nos consultations a été divisé par deux. De plus en plus de monde se lance dans le coaching», analyse-t-il. Un constat confirmé par Gaëtan Gabriel, qui lâche: «C’est un marché à prendre.» Comment expliquer qu’un tel marché puisse exister alors que l’école est censée aider et former les élèves? Pour l’asbl Changement pour l’égalité (CGé), dont l’un des objectifs est de «mener des réflexions de fond et de prendre des positions sur les questions relatives à la politique éducative en Fédération Wallonie-Bruxelles», la réponse est simple: le succès du coaching scolaire serait un «révélateur» des dysfonctionnements de l’école en Communauté française. «Le travail sur la méthodologie ou l’estime de soi sont des dimensions qui devraient être abordées au sein de l’école. Vu que ce n’est pas le cas, on ne peut pas reprocher à des personnes d’avoir identifié cette niche et de l’exploiter», analyse Sandrine Grosjean, chargée d’étude à Changement pour l’égalité. Avant de tacler ce qu’elle appelle «un système d’externalisation des problèmes». Détail significatif: à écouter les coachs à qui nous avons pu parler, il semblerait qu’une partie non négligeable des jeunes qu’ils accompagnent leur seraient envoyés par des écoles, des directions, des professeurs…

Pour une bonne partie des intervenants rencontrés, cette situation s’expliquerait par le manque de moyens de l’école en Communauté française. Il y a bien les PMS ou les logopèdes, mais «tout cela est déjà complètement surchargé», note Sandrine Grosjean. Quant aux cours de rattrapage, faute de moyens, ils ne seraient que «la reproduction sur un temps plus bref de ce qui s’est fait en classe. Si l’élève est déjà lâché et qu’il a besoin d’une pédagogie différenciée, cela ne va pas aller mieux», déplore Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec, l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique. Enfin, les lacunes dans la formation initiale des professeurs feraient aussi partie du problème. «La société a changé, souligne Sandrine Grosjean. Les professeurs ont appris à transmettre alors qu’aujourd’hui les jeunes ont accès à tout avec Internet. Il faut changer la posture du professeur et être dans l’accompagnement. À l’école, on n’aborde pas la question de savoir comment l’élève peut construire son savoir. C’est ce que proposent les coachs. Ils ont très bien compris…»

Plus globalement, une fois le robinet des doléances ouvert, c’est l’ensemble des «tares» de l’enseignement en Communauté française qui revient sur la table. Face à une école accro au redoublement, aux devoirs, aux points, les parents se trouveraient en situation de stress. Et chercheraient leur salut et celui de leurs enfants auprès des coachs. «Nous sommes dans un climat d’insécurité, analyse Joëlle Lacroix, secrétaire générale de la Fapeo, la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel. On parle sans cesse du chômage et de l’école qui va mal. Il y a une grosse pression, ce qui fait que des parents sont parfois prêts à payer pour des coachs alors que leurs enfants ont 80% en quatrième primaire.» Quand ils le peuvent… C’est un autre des enjeux de ce dossier: le coaching scolaire coûte cher. Du côté de My Sherpa, on parle ainsi de 29 à 60 euros la séance, selon le niveau de l’élève. Chez, Gaëtan Gabriel, il s’agit de 40 euros. Autant dire que tout le monde ne peut pas se payer cela. Le recours – ou pas – au coaching scolaire pourrait donc encore venir accentuer la dualisation à l’œuvre dans l’enseignement de la Communauté française. «Il y a un risque de constitution d’un marché à deux vitesses, analyse Joëlle Lacroix. Les classes sociales aisées pourraient se payer les services d’un coach scolaire alors que les pauvres devraient se contenter des écoles de devoirs qui sont déjà complètement surchargées.» Un phénomène déjà à l’œuvre si l’on en croit Ron Kelijman. D’après lui, la majorité des élèves faisant appel à My Sherpa seraient issus «de la classe moyenne supérieure».

Sur une île

Et si on intégrait ce qu’apporte le coaching au sein de l’école? Structurellement, ce n’est pas encore le cas. Mais des initiatives isolées existent. Au Collège des Étoiles, une école libre non confessionnelle proposant des cours de la 1re à la 6e secondaire générale, Sandrine Lavend’Homme, la nouvelle directrice, a mis en place des cellules d’accompagnement au sein de chaque degré. Leur mission: soutenir les jeunes dans leur méthodologie de travail et assurer un contact avec les parents. Des cours de méthodologie sont aussi intégrés dans la grille des première et deuxième années. En 5e/6e, ce sont des cours de préparation aux études supérieures qui sont donnés.

Cette initiative n’est pas tombée du ciel: Sandrine Lavend’Homme a suivi des cours de coaching scolaire chez… Gaëtan Gabriel. Des cours qui lui ont «énormément apporté». «La formation initiale en tant que professeur ne nous prépare pas à certaines réalités de terrain, explique-t-elle. Je me posais énormément de questions: que faire avec ce petit loulou dyslexique, comment gérer les intelligences multiples?»

Si cette réflexion a amené la directrice à mettre en place les outils évoqués plus haut, elle dit se sentir aujourd’hui «sur une île» au sein du secteur scolaire. «Aucune autre école n’est venue voir ce que nous faisions pour s’en inspirer», témoigne-t-elle. Une situation qui pourrait bientôt changer. Dans le cadre du Pacte d’excellence, deux heures d’accompagnement personnalisé devraient être intégrées à la grille horaire des élèves pour toute la durée du tronc commun, si l’on en croit le cabinet de Marie-Martine Schyns (CDH), la ministre de l’Enseignement obligatoire de la Communauté française. Un plan de pilotage pour chaque établissement scolaire sera également établi. «Il pourra travailler sur les faiblesses de l’établissement comme le redoublement, la collaboration entre les professeurs», détaille le cabinet. Enfin, la formation initiale des professeurs devrait comprendre des cours de méthodologie. Un constat qui suscite manifestement certains espoirs. «Le Pacte d’excellence pourrait bien couper l’herbe sous le pied des coachs», conclut Bernard Hubien.

Et la formation des coachs dans tout ça?

Quelle est la formation des coachs scolaires? Premier constat: la profession n’est pas protégée. Tout le monde peut donc se déclarer coach scolaire. Attention: des formations existent. Mais l’offre est très variée. Elle passe du cours à 250 euros en ligne au cursus plus étoffé de 22 jours de formation pour 2.500 euros proposé par Gaëtan Gabriel…

Une bonne partie des coachs «indépendants» à qui nous avons parlé se sont donc construits à coups de cours de coaching, de formations diverses en sophrologie, MDTI (méthode de détection et traitements inconscients), Act (théorie d’acceptation et d’engagement) ou d’autres formations universitaires dans des domaines comme la psychologie. La plupart sont aussi passés par l’enseignement.

Notons que pour My Sherpa, les coachs sont actifs à temps partiel et sélectionnés sur la base du CV, d’un entretien, de tests. Leur profil est varié: il s’agit d’étudiants, de professeurs, d’avocats, de traducteurs… Leur formation méthodologique est maigre: on parle d’une heure à l’entrée en fonction. Ils peuvent néanmoins bénéficier des services de conseillers pédagogiques en interne.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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