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Regard critique · Justice sociale

Santé

Bruxelles: agir local pour une santé globale

Le territoire est une grille de lecture pour comprendre les inégalités de santé. Il est aussi un outil pour mieux en organiser les politiques. L’approche territoriale de la santé, portée de longue date par certains acteurs de terrain, semble connaître, à Bruxelles, une montée en puissance.

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La nécessité d’articuler santé et territoires, mentionnée dans la déclaration de politique générale 2019-2024 du gouvernement bruxellois et au cœur du Plan social santé intégré en cours de réalisation (Relire l’interview d’Alain Maron: «La crise nous renforce dans l’idée que les secteurs du social et de la santé doivent plus que jamais être prioritaires», Alter Échos n°493, mai 2021), a été renforcée par la crise sanitaire. En témoignent les chiffres d’inégalités géographiques d’infection au virus (Relire sur notre site web «Le virus des inégalités», janvier 2021), mais aussi ceux des taux de vaccination, inégaux selon les communes (à la fin du mois d’avril, Saint-Josse était la commune bruxelloise avec le taux de vaccination des 65 ans et plus le plus faible: 51,7% d’entre eux avaient reçu une première dose contre 80,7% à Woluwe-Saint-Pierre, en tête du peloton des communes de la Région).

Encore faut-il savoir de quels territoires on parle: quelle est l’échelle la plus pertinente à prendre en compte – la commune ou le quartier? Comment articuler les territoires de la première ligne de soins avec ceux des autres lignes, mais aussi les territoires institutionnels et administratifs avec les espaces vécus? Quelques éléments de réponse à travers trois projets – parmi d’autres – qui tentent, à Bruxelles, de renforcer l’accès aux soins et à une santé globale.

Des travailleurs de quartier contre le virus

Promouvoir l’accessibilité des soins de santé pour les groupes les plus vulnérables dans le cadre de la crise Covid-19: pour atteindre cette ambition, 50 travailleurs sociaux, les «community health workers» (CHW), sont actuellement embauchés en Belgique via un financement fédéral. Des travailleurs «associés aux structures de première ligne et complémentaires des projets déjà en cours dans les différentes régions», selon Luc Van Gorp, président du Collège intermutualiste national (CIN), chargé jusqu’à décembre 2021 de la mise en œuvre de ce projet du ministre fédéral de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit).

Sur ces 50 travailleurs, 12 seront déployés dans la capitale. En outre, un financement du ministre de la Santé Alain Maron (Écolo) renforce le dispositif pour la région bruxelloise et a permis l’engagement, il y a peu, de 18 relais d’action quartier (RAQ), qui couvriront, avec les 12 CHW «fédéraux», 17 zones et 45 quartiers. Des territoires ciblés par l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale sur la base des secteurs statistiques où les indicateurs de vulnérabilité au regard de la crise Covid étaient les plus préoccupants. Les critères utilisés? Le taux de population de plus de 65 ans, le taux de diabète, la densité du quartier ou encore des critères socio-économiques.

La Fédération des services sociaux (FdSS), qui, à l’automne dernier, avait été à l’initiative du webinaire intitulé «Préparer des réponses locales à une crise globale» dans l’idée de rassembler les acteurs de terrain pour faire face à la crise sanitaire et sociale en redimensionnant les pratiques à l’échelle du quartier, porte le volet bruxellois du projet.

«Si cela ne dure que neuf mois, cela sera un peu rude quand on voit l’énergie déployée et que la philosophie derrière est plutôt celle d’une approche structurelle des questions de santé.» Julie Kesteloot, FdSS

Les missions de ces travailleurs – communes aux RAQ et aux CHW, ceux-ci ayant bénéficié d’un même module de formation après leur embauche – consistent à développer le travail communautaire, renforcer le maillage des acteurs locaux, porter des actions d’information et de sensibilisation sur le Covid, et à assurer un travail de proximité auprès d’un public qui ne serait pas encore pris en charge par les structures locales. «L’idée, c’est que ces travailleurs travaillent à partir d’un partenaire local hébergeur qui a déjà une pratique de travail de réseau et de travail communautaire (services sociaux, maisons médicales, services de santé mentale ou encore de promotion de la santé), détaille Julie Kesteloot de la FdSS. Mais les missions de ces travailleurs se feront hors les murs de ces structures. Ils sont à la disposition du quartier et vont être soit une sorte de renfort à ce qui existe soit dans le déploiement de quelque chose qui n’existe pas.»

L’expérimentation, accompagnée d’un volet «recherche-action», devrait courir sur neuf mois, un délai bien court au regard des finalités annoncées, mais que la FdSS espère voir se prolonger. «C’est un projet hyper-motivant. Mais si cela ne dure que neuf mois, cela sera un peu rude quand on voit l’énergie déployée et que la philosophie derrière est plutôt celle d’une approche structurelle des questions de santé et de développement du travail communautaire.»

Le social-santé à la loupe dans neuf quartiers

Développer des politiques sociales et de santé micro-locales, à l’échelle du quartier, c’est l’objectif poursuivi par les «contrats locaux social-santé» (CLSS), dispositifs prévus dans la Déclaration de politique générale et mis en place depuis le début de l’année 2021 dans neuf quartiers bruxellois sous la forme de projets pilotes pour cinq ans. Des thématiques prioritaires ont été identifiées: favoriser l’accès aux services, prévenir la perte de logement et accompagner vers le logement qualitatif, lutter contre l’isolement et faire baisser les inégalités sociales de santé. Mais aucune action ne sera menée avant d’avoir réalisé, dans chaque quartier, un diagnostic des besoins.

Les neuf quartiers ont été sélectionnés dans cinq communes par l’Observatoire de la santé et du social selon quatre indicateurs: le non-recours aux soins dentaires, le taux de diabète, la densité de population et le revenu imposable. À la Ville de Bruxelles, peu de surprise: ce sont les quartiers des Marolles et d’Anneessens qui sont choisis pour l’expérimentation. «Pour le moment, nous sommes dans la phase 0.1, c’est-à-dire la mise en place d’une stratégie et d’une équipe. Puis il s’agira de poser un diagnostic avec l’aide de l’asbl Sacopar qui accompagne les projets. Une fois des priorités fixées, un appel à projets sera lancé», nous explique-t-on au cabinet du président du CPAS.

Chaque contrat local social-santé est piloté par une cellule issue de la coordination sociale du CPAS et inclut le secteur associatif et les habitants. À Forest, dans le quartier du Pont de Luttre-Wiels, petit en périmètre, mais extrêmement dense et confronté à un fort taux de personnes sans emploi, de personnes isolées et une grande rotation des habitants, un groupe de travail a été mis sur pied. Composé de l’asbl Bras dessus bras dessous (qui agit contre l’isolement des personnes âgées), le centre de santé mentale l’Adret, la maison médicale 1090, la maison de quartier «Une maison en plus» et deux citoyens, il est en train de travailler sur son diagnostic. «L’accès aux soins, la santé mentale, l’isolement… Ce sont des choses qui ont été mises en lumière par la crise et qui vont probablement ressortir. Quant au logement, c’est une problématique durable qui existait bien avant le Covid, mais qui ne s’est pas améliorée», commente Nicolas Lonfils, président du CPAS de Forest.

Quant à savoir si ces contrats locaux ne seront pas juste une couche en plus dans la lasagne des dispositifs existants à Bruxelles en matière de social et de santé, à la Ville de Bruxelles comme à Forest, on nous assure qu’il s’agit plutôt d’un renfort de l’existant. «Le premier ressenti des habitants de ce quartier, c’est: ‘On s’occupe enfin de nous.’ Alors c’est vrai que cela se superpose avec le contrat de quartier ‘Wiels’, mais celui-ci est sur sa fin et, en termes de thématiques, ce n’est pas exactement la même chose. Il y a aussi la coordination sociale du CPAS, mais elle couvre toute la commune. Or, dans une commune comme Forest, où il y a une grande dichotomie en termes de revenus, de types d’habitations, de loyers, la maille ‘quartier’ est tout de même plus intéressante que la maille ‘commune’. Cela permettra des réponses plus adaptées», répond Nicolas Lonfils.

«Dans une commune comme Forest, où il y a une grande dichotomie en termes de revenus, de types d’habitations, de loyers, la maille ‘quartier’ est tout de même plus intéressante que la maille ‘commune’. Cela permettra des réponses plus adaptées.»Nicolas Lonfils, CPAS de Forest

Vers une équité sociospatiale des soins

La problématique de l’accessibilité des services n’est pas l’apanage des régions rurales. Depuis mars 2021, «Care in the City», un partenariat régional rassemblant perspective.brussels (le centre d’expertise de la Région en matière de développement territorial) et des acteurs de l’aide sociale et de la santé, et visant à une meilleure intégration de la santé dans la planification urbaine, s’est doté d’un nouveau groupe de travail, baptisé «Territories»1. Son objectif? Se pencher sur l’équité sociospatiale des soins dans la région et proposer des solutions à la fragmentation de l’offre de soins et au manque d’accessibilité de certains services. «L’idée est de faire remonter les choses du terrain et de les confronter avec ce qui se passe dans les autres communautés (Cocof, Cocom et VGC, NDLR) afin de simplifier le dialogue et travailler sur la base d’un référentiel commun», explique Évelyne Wetz, qui participe au GT pour le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS).

Car pour atteindre une égalité de traitement minimale de tous les Bruxellois en matière d’aide et de soins, il faudra une coopération entre les entités fédérées ainsi qu’une planification des services via une approche territoriale, défend l’Inter-fédération ambulatoire (IFA, groupe permanent du CBCS) dans sa «Note de vision politique social-santé», publiée en septembre 2020 et présentée au parlement bruxellois en janvier 2021. Cette approche devrait combiner deux démarches: permettre la présence, sur chaque territoire – une notion à définir –, d’un service minimum – un concept à définir également – qui se coordonne avec l’ensemble des acteurs de l’aide et du soin, mais aussi mettre en œuvre le concept de «responsabilité populationnelle», à savoir le fait pour les acteurs de la santé de partir de la population d’un territoire donné, d’identifier une problématique et de s’engager à y répondre via une approche de réseau et de concertation. «L’idée étant de ne pas seulement répondre aux demandes, mais aussi aux besoins», précise Évelyne Wetz, qui conclut: «On est tous, sur le territoire bruxellois, en train de réfléchir à cette notion de territoire et de mettre en place des projets avec des approches locales pour aller au plus près des besoins des citoyens. Mais il y a un manque de cohérence: quels territoires ont été choisis et pourquoi? Quels critères sont pris en compte? Ce groupe de travail ‘Territories’ a pour but de prendre du recul en analysant les outils existants, en allant voir dans la littérature et à l’étranger ce qui peut être intéressant à mobiliser.»

  1. Le groupe de travail «Territories» se compose du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS), du Centre de documentation et de coordination sociales (CMDC-CDCS), de Brusano (service d’appui à la première ligne de soins) et de perspective.brussels
Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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