Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Allocations familiales : une scission pour quoi faire ?

Où la scission des allocations familiales pourrait être l’occasion de remettre à plat la politique familiale.

04-10-2010 Alter Échos n° 302

Les allocations familiales ne sont pas encore scindées, mais certains acteurs anticipent et imaginent l’avenir. L’occasion pour eux de repenser la politique de l’enfance et de lafamille.

Les allocations familiales, telles qu’on les connaît depuis toujours, seront probablement amenées à disparaître. Voilà, « c’est la vie »,comme on dit, avec un peu de dépit. « Scission », « défédéralisation », « communautarisation »,« régionalisation » sont autant de mots que l’on entend – presque – au quotidien. Un État, qui se caractérise notamment par sa solidaritéinterpersonnelle dans des frontières définies, décide de s’attaquer à ce tabou. Mais plutôt que d’entonner des oraisons funèbres un peu tristounettes,certains prennent les devants et tentent d’imaginer un avenir radieux en Belgique francophone.

Lorsqu’on parle d’allocations familiales, on parle d’enfance, de famille. Pour certains acteurs, qui connaissent bien ces thèmes, comme la Ligue des familles par exemple, s’il faut serésigner à une scission des allocations familiales, alors autant imaginer des redistributions de cartes, autant anticiper et englober ces allocations dans une vaste réflexion surla parentalité ou l’enfance.

Rappelons que la scission des allocations familiales ne serait qu’une étape supplémentaire dans cette course à la séparation des compétencesrelatives à l’enfance et à la famille.
En 1980, lors de l’adoption des lois spéciales, il avait été décidé de rendre les Communautés compétentes pour la politiquefamiliale « en ce compris toutes les formes d’aide et d’assistance aux familles et aux enfants ». Toutes ? À l’exception des allocations familiales, quirelèvent de la sécurité sociale, et dont on décide qu’elles resteront une compétence exclusive du fédéral.

Dans la réalité, lorsqu’on traite de l’enfance ou de la famille, il n’y a pas que le Fédéral et la Communauté. Les compétences sont trèsmorcelées. Denis Lambert, le directeur de la Ligue des familles1, s’est amusé à faire le calcul : en Région wallonne et à Bruxelles, il y a neufministres compétents pour les crèches… De quoi encore réfléchir à une simplification de nos institutions.

Cocof, Cocom, Régions, Communautés, qui va gagner des millions ?

Avant de se projeter, il y a quelques difficultés, et non des moindres, à résoudre. À commencer par le financement et les compétences. Selon Alain Dubois,administrateur délégué au Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance (CERE)2, « on est dans un système où les cotisations sontperçues sur le lieu de résidence et pas de travail, donc la Région bruxelloise contribue moins. D’un autre côté, le système d’allocations familiales estconstitué d’allocations complémentaires, par exemple pour les enfants de chômeurs de longue durée (plus de six mois), ou pour les parents d’étudiants entre 18 et 25ans. Si on compte juste le nombre d’enfants comme critère d’attribution des allocations familiales, alors la Région bruxelloise, mais aussi la Wallonie, vont y perdre car il y abeaucoup de chômeurs (surtout à Bruxelles) et d’étudiants ». L’enjeu des transferts financiers, ou de la « clé de répartition », estdonc évidemment essentiel.

Autre difficulté majeure : la question des compétences. Pour mieux la comprendre, il faut donner de soi et mettre les mains dans ce cambouis un peu répulsif del’institutionnel.

Dans les négociations, la plupart des partis flamands privilégient la gestion des allocations familiales par les Communautés. À Bruxelles, on aurait donc deuxsystèmes concurrents. Il faudrait choisir son régime d’allocations familiales « flamand » ou « francophone ». Sur ce thème, la Liguedes familles s’ébroue avec virulence. Selon l’organisation, il existerait un risque que l’on « achète » des Bruxellois, surtout des primo-arrivantsétrangers, à coups d’allocations familiales. Bref, la Communauté flamande augmenterait le nombre de Flamands bruxellois grâce à un régime d’allocationsfamiliales plus favorable. Conséquence : les francophones ne sont pas très demandeurs.

La Cocom ! La Co-Quoi ?

On évoque parfois une gestion des allocations bruxelloises par cet étrange bidule, peu familier, lointain et obscur : la Cocom (Commission communautaire commune). Pour Alain Dubois,une telle option poserait quelques problèmes : « Avant les négociations, les politiques disaient qu’il était mieux que des matières de la Cocom soient davantagegérées par les Régions… Donc on reviendrait en arrière. Et vu les montants en jeu lorsqu’on parle d’allocations familiales, on aurait une Cocom qui deviendrait leprincipal acteur en matière d’enfance à Bruxelles, loin devant l’ONE et Kind en Gezin. »

Denis Lambert va dans le même sens en raillant l’institution « même chez vous, à Alter Échos, qui connaît vraiment la Cocom ? Ce typed’institutions, c’est kafkaïen. En matière d’allocations familiales, et donc de parentalité, nous serions amenés à faire de grands choix de société,cela ne doit pas se faire à la Cocom. »

Alors, qu’est-ce qu’il reste ? Les Régions bien sûr. C’est l’option privilégiée par nos deux spécialistes, et notamment par Alain Dubois: « Dans les Régions, c’est là qu’il y a des leviers pour l’emploi. C’est important si on veut s’engager dans une politique de services aux familles plus ambitieuse.Sinon cela peut aussi être la Région wallonne et la Cocof. L’essentiel c’est qu’il n’y ait pas de politiques concurrentes sur le même territoire. » Avec une politiqued’enfance toujours communautaire et une gestion des allocations familiales au niveau régional, on ne rendrait pas franchement plus simple le mille-feuilles institutionnel. Si une tellescission se devait d’aboutir à une plus grande cohérence des politiques, alors ne passerait-on pas à côté du but ? À cette question, Alain Duboisrétorque sans coup férir : « La question n’est-elle pas aussi que la Communauté française et la Région wallonne discutent entre elles d’uneredistribution des compétences ? On pourrait par exemple régionaliser les politiques de l’enfance, ou les transférer vers la Cocof. En 1992, aux accords de la Saint-Quentin, unepartie de la politique familiale de la Communauté française a été transférée vers la Cocof. C’est donc faisable. On doit simplement se demander quel est lemeilleur niveau de compétence. »

Financer davantage les services aux personnes

Scinder, pour quoi faire ? La question à mille euros. Là, le champ des possibles est immense. Il donne le vertige et les rêves caressés par certains ressemblentparfois à une lettre à Saint-Nicolas. Pour Denis Lambert, il faut avant tout un grand débat de société : « La Ligue des familles se lance dans desdébats qui ne sont pas tranchés. Nous balançons entre deux principes. Soit on est dans un système de sécurité sociale, alors tout le monde contribue et toutle monde reçoit, ou alors on cible ceux qui sont plus dans le besoin. Par exemple les familles mono-parentales. » Autre proposition phare de la Ligue desfamilles : Aligner l’allocation du premier enfant (84 euros) sur le deuxième (154 euros). Belle idée, dont le coût est estimé… à 600 millions d’euros,rien que ça. Pour trouver un peu d’argent, Denis Lambert émet quelques pistes. Il s’interroge par exemple sur les compléments d’allocations familiales pour les chômeurs :« Est-ce vraiment aux allocations familiales de financer ça ? », lance-t-il, l’air de rien.

Enfin, c’est dans une volonté de promouvoir une politique cohérente de parentalité que la Ligue des familles propose d’investir dans les services publics, à commencerpar les crèches. Cette réflexion est aussi partagée par Alain Dubois pour qui l’arrivée de ces masses d’argent pourrait être l’occasion de repenser la politique del’enfance et la politique familiale. Les allocations familiales ont été imaginées à l’origine comme un complément de revenus pour les familles, notamment pour« permettre » aux femmes de rester à la maison sans travailler. Pour Alain Dubois, la réalité a changé : « On peut penser àtrancher différemment entre transferts de revenus et financement de services à la personne. Prenons l’exemple de la France. Ils ont décidé de mettre les allocations sousconditions de ressources. Ça a libéré des moyens pour mener d’autres politiques vers l’enfance. Il serait aussi possible de dégager des moyens en arrêtant les allocsà 18 ans. Pour les 18-25 ans qui font des études, le soutien financier dépendrait d’une autre politique. Avec des moyens supplémentaires, ou une autre répartitiondes moyens existants, plus favorables au développement de services, les priorités devraient clairement être la petite enfance et l’extra-scolaire maternel. En ce domaine, lesenfants de 3 à 6 ans sont les plus mal lotis. » Allez, on n’en est pas encore là. À l’heure qu’il est, les négociations n’en sont toujours nulle part…et les politiques que nous avons contactés préféraient botter en touche.

1. Ligue des familles :
– adresse : av. Émile de Beco, 109, à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 507 72 11
– site : www.citoyenparent.be
– courriel : info@liguedesfamilles.be

2. Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance :
– adresse : chaussée de Charleroi, 144 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 333 46 10
– site: www.cere-asbl.be
– courriel : info@cere-asbl.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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