Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Dossier

Souffle citoyen sur Molenbeek

Les citoyens sont de plus en plus nombreux à se mobiliser contre la pollution de l’air. Zoom sur deux initiatives menées dans la commune de Molenbeek.

© Adrien Herda

Les citoyens sont de plus en plus nombreux à se mobiliser contre la pollution de l’air. Zoom sur deux initiatives menées dans la commune de Molenbeek.

«Je n’ai pas le profil du ‘usual suspect’», plaisante Annakatrien Verdickt. Rien n’avait prédestiné cette maman architecte, pas particulièrement engagée sur les questions d’écologie, à se retrouver à la tête de «Café Filtre», un mouvement de parents mobilisés pour la qualité de l’air dans les écoles.

L’histoire commence le 15 mars au Walvis, un café branché situé au bout de la rue Antoine Dansaert, dans un quartier où immeubles modestes et night-shops côtoient lofts et boutiques de créateurs. Annakatrien et quelques parents de Maria Boodschap, une école primaire à pédagogie active, se sont fixé rendez-vous pour une réunion de crise. La veille, la VRT a diffusé un reportage réalisé après la sortie d’une étude de Greenpeace. Pendant un mois, l’ONG a mesuré les concentrations en dioxyde d’azote dans 222 établissements en Belgique, pour conclure que la qualité de l’air extérieur est préoccupante dans 61% des cas. Le fils de la journaliste qui a tourné le reportage est un ancien élève de Maria Boodschap. Pendant le tournage, la famille a déménagé en Flandre. En quête d’une bonne accroche, la journaliste fait tester l’urine de sa progéniture: la concentration en NO2 a chuté de moitié! «Voir les chiffres, ça a été un choc! Mais la solution pour nous n’est pas de quitter la ville», confie Annakatrien. Dehors, les moulins à vent installés pour égayer la grisaille du canal Bruxelles-Charleroi tournent à plein régime. Les idées des parents aussi.

Le lendemain, au lieu de déposer leur marmaille comme d’ordinaire, le groupe ferme la rue et organise un tournoi de foot. L’opération improvisée est un succès. D’autres parents se joignent à l’initiative. «Cette semaine on avait 55 écoles participantes en Flandre et à Bruxelles. Six à Molenbeek», dénombre Annakatrien en ouvrant un fichier Excel sur son Mac. «Notre objectif, c’est de manifester tous les vendredis jusqu’aux élections. On veut que la qualité de l’air devienne une préoccupation de tous les partis.» Plus concrètement, Café Filtre revendique la mise en œuvre de zones fermées à la circulation au moment de l’ouverture et de la fermeture des écoles.

Science pour tous

À 500 mètre du Walvis, au niveau de l’écluse, un conteneur en apparence banal cache des instruments sophistiqués. Il s’agit d’une des douze stations de mesure installées par Bruxelles Environnement pour mesurer la qualité de l’air. Entre avril 2017 et 2018, cette station a enregistré une moyenne annuelle de 58,35 μg/m³ de dioxyde d’azote, bien plus que la limite fixée par l’Union européenne (40 μg/m³).

Si le réseau de mesures officielles donne une indication de la pollution à l’échelle de la ville, la concentration de certains polluants peut varier fortement en fonction de la rue, voire du trottoir, où l’on marche. Aujourd’hui, la démocratisation d’appareils de mesure portatifs permet aux citoyens d’évaluer précisément ce qu’ils respirent sur le chemin du travail, sur leur vélo ou dans leur voiture.

«La santé des enfants a souvent été un facteur de motivation. Ou l’injustice ressentie de ne pas pouvoir partir s’acheter une maison à la campagne.» Hanne Bosselaers, Médecine pour le peuple

Direction place communale, où nous attendent des patients de Médecine pour le peuple, une maison médicale créée par le PTB. Ce soir, ils sont venus apprendre à utiliser le «AirCasting Airbeam», une petite boîte noire qui permet de compter les particules fines de type PM 2,5. Portée par le BRAL (mouvement urbain qui se bat pour un Bruxelles durable) et la VUB, la campagne Aircasting BXL encourage le développement d’une «science citoyenne». L’objectif est de former des citoyens à réaliser des expériences pour s’approprier le savoir et les inciter à passer à l’action collective. Un projet qui ne pouvait qu’entrer en résonance avec l’approche en santé communautaire promue dans les maisons médicales. «Au départ, ça a demandé beaucoup d’énergie pour mobiliser les gens», reconnaît Patricia Palacios, une des doctoresses à l’origine du partenariat. «Ce qui a souvent été un facteur de motivation, c’est l’inquiétude pour la santé des enfants. D’autres ont évoqué l’injustice ressentie devant la pollution, le fait de ne pas pouvoir partir s’acheter une maison à la campagne», complète sa consœur Hanne Bosselaers.

Le groupe est composé principalement de mères et de retraités. Avec pédagogie, Liévin Chemin, du BRAL, leur montre comment utiliser le capteur et le connecter à leur smartphone pour suivre leurs données sur l’application dédiée. Ces informations sont ensuite chargées sur une carte open data que l’animateur projette au tableau. «Le médecin dit que je dois bouger 30 minutes par jour. Mais quand je vois la carte, je ne trouve pas une promenade près de chez moi où l’air est bon», commente un aîné. «Le but, c’est de constater et de s’enfuir? Ou changer les choses? Et nous, qu’est-ce qu’on peut faire?», lance plus tard une maman. Les doctoresses saisissent la perche pour lancer un remue-méninges sur les actions que le groupe pourrait mener. «À Molenbeek, il y a des écoles qui se mobilisent aussi sur la qualité de l’air. On pourrait les rencontrer?», suggère la docteure Palacios. Quelques échanges plus tard, on acte l’idée d’une intervention du groupe au festival Molem-ma-Belle et on rentre à la maison avec un petit devoir pour la séance suivante: trouver un nom pour le groupe et une idée d’action créative à mener pour sensibiliser les Molenbeekois à la problématique de la qualité de l’air.

Lire l’ensemble de notre dossier «Pollution, l’air de rien», Alter Échos n° 464, mai 2018.

En savoir plus

www.aircasting.org

www.monairmonecole.be

«Qualité de l’air: et moi, je suis pollué?», Alter Échos n°438, 30 janvier 2017, Céline Gautier.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)