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Sortir de prison, pas si facile

Les détenus, dissimulés derrière des murs qui les enceignent, ont souvent un état de santé fragile, que la prison ne fait qu’aggraver. Mais la sortie n’est pas forcément synonyme d’une santé retrouvée.

Les détenus, dissimulés derrière des murs qui les enceignent, ont souvent un état de santé fragile, que la prison ne fait qu’aggraver. Mais la sortie n’est pas forcément synonyme d’une santé retrouvée.

Article publié le 30 novembre 2015, Alter Échos n°413.

La santé en prison? Une chimère. La Belgique a été à plusieurs reprises condamnée pour ses lacunes en la matière. Au rayon des constats: le manque de personnel et de matériel, la vétusté des locaux, une qualité de soins insuffisante. «Un des grands problèmes, c’est la continuité des soins à l’entrée, pendant l’incarcération, mais aussi à la sortie, précise Gaëtan de Dorlodot, directeur médical de la prison de Saint-Gilles. Car la plupart de nos patients détenus sont précarisés. Beaucoup n’ont pas accès aux soins ni avant leur arrivée en prison ni à la sortie.»

La sortie. Une fois la lourde porte franchie, si les narines hument enfin l’air libre, ce sont d’autres portes qu’il va falloir ouvrir: celles de la remise en ordre socio-administrative. Car la détention rime avec la suspension d’un certain nombre de droits, dont le remboursement, par les mutuelles, des soins de santé (ces derniers étant, théoriquement, pris en charge par le SPF Justice pendant l’incarcération). «À la sortie se posent d’énormes difficultés, commente Kris Meurant, qui travaille à l’asbl Transit avec un public de détenus usagers de drogues. Pendant un mois, beaucoup se retrouvent à la rue, sans couverture médicale et sans revenus.»

«À la sortie se posent d’énormes difficultés. Pendant un mois, beaucoup se retrouvent à la rue, sans couverture médicale et sans revenus.» Kris Meurant, asbl Transit

Les problématiques de dépendance sont prégnantes en prison. Soixante-cinq pour cent des détenus disent avoir consommé au cours de leur vie des drogues illégales et des médications psychoactives non prescrites (hors alcool et tabac) et 35% d’entre eux déclarent avoir consommé en prison(1). Des chiffres probablement sous-estimés, au regard du caractère tabou du sujet. «La consommation de produits aide à tuer le temps, explique Johan Kalonji, psychiatre à l’annexe psychiatrique de la prison de Forest. Car, en prison, le temps vécu est aboli.» En gros, schématise le psychiatre, ou on y consomme des produits, ou on développe une «psychose carcérale».

Depuis 2011, pour préparer la libération des détenus usagers de drogues, un point de contact est organisé dans chaque prison du pays. Le service Step by Step, au sein de la FEdito wallonne, propose dans les établissements pénitentiaires de Wallonie une orientation et un accompagnement adaptés à ce public. «On rencontre tous les détenus qui le souhaitent afin de mettre sur pied un projet de réinsertion au niveau de leur santé», explique Catherine Jadot, qui coordonne le projet. Suivi ambulatoire, cure, postcure, accueil en maison d’accueil… les possibilités sont multiples et le choix pour l’une d’entre elles sera déterminé par la demande et les besoins de la personne, mais aussi par les injonctions judiciaires. Car quand la justice détecte un problème de consommation, s’ensuit la plupart du temps une obligation de soins. «Ces injonctions peuvent compliquer notre travail. Parfois, le tribunal exige d’une personne qu’elle fasse une cure alors qu’elle a déjà été sevrée», illustre Catherine Jadot, pour laquelle œuvrer sur la base de la volonté de la personne demeure primordial. Un autre facteur contrarie la tâche de Step by Step, celui du statut de détenu en préventive: «Avec une personne qui est condamnée, on sait entamer un accompagnement sur le long terme. Tandis qu’un prévenu est reconduit de 28 jours en 28 jours. On analyse sa demande, on l’oriente, mais on ne sait pas ce qu’il devient. Ce qu’il faudrait, c’est une sorte de sas, à la sortie de prison, qui puisse recevoir ces personnes et envisager avec elles leur trajectoire de soins.»

Des murs hauts à franchir

Préparer la sortie de détenus fragilisés du point de vue de leur santé, c’est aussi prévenir la survenue de moments de crise.

Estim’ est une équipe mobile d’intervenants psychosociaux mise sur pied il y a deux ans dans le cadre du «trajet de soins internés pour la cour d’appel de Liège». Son but? Soutenir la réinsertion hors des murs des pénitenciers des personnes internées dans les établissements de défense sociale (EDS) ou en annexe psychiatrique. (Les internés représentent environ 1 personne sur 10 derrière les barreaux en Belgique.)

«On tente de limiter les risques de décompensation à la sortie», nous expose Aurélien Mathieu. Un travail qui se déroule dans les murs, puis en dehors. «On essaye de créer une relation de confiance avec la personne, en collaboration avec le service psychosocial de la prison.» Pour mettre en route un projet de réinsertion et de continuité des soins. «Une fois la personne libérée à l’essai, nous effectuons un travail de liaison avec tout son environnement, que ce soit l’assistant de justice, la famille, une habitation protégée, un centre de jour ou des structures de soins.»

«On tente de limiter les risques de décompensation à la sortie.» Aurélien Mathieu, équipe mobile Estim’

Éviter la crise, c’est aussi surmonter le manque. Et empêcher l’overdose qui guette si un produit est consommé à nouveau de manière brutale. Car la libération est un moment critique pour les usagers de drogues s’il n’y a pas de continuité dans leur traitement de substitution. D’où l’initiation du projet «72 heures», mis sur pied dans les prisons bruxelloises à l’initiative de l’asbl Transit. Il s’agit de fournir aux personnes qui sortent de prison les comprimés de leur traitement de substitution pour les 72 heures qui suivent la libération. Le projet, qui nécessite la bonne collaboration du greffe et des services infirmiers des prisons, présente des résultats encourageants. Mais ceux-ci ne convainquent pas encore l’ensemble des médecins œuvrant dans les prisons wallonnes, qui rechignent à généraliser le projet au sud du pays.

«Ce projet a l’air tout simple, explique Kris Meurant, mais on n’a pas idée de ce que cela a représenté de le mettre en place. Nous avons mis un an de rencontres avec les services infirmiers des prisons bruxelloises pour faire entendre la nécessité de donner 72 heures de traitement à ces personnes à leur sortie de prison.»

«Il y a peu de dialogue, peu d’interface entre l’intérieur et l’extérieur d’une prison, commente Gaëtan de Dorlodot. Pour chaque personne extérieure qui entre en prison, cela prend énormément de temps.» «La prison est une institution qui se défend de l’extérieur, renchérit Johan Kalonji. Tout ce qui vient de l’extérieur est un corps étranger qui en désorganise le fonctionnement interne.»

Les frontières entre le dedans et le dehors ne sont pas poreuses. Ni pour les détenus. Ni pour les associations et services extérieurs qui travaillent avec eux.

Au rang des bonnes nouvelles

  • L’appel au transfert des compétences des soins de santé des détenus du SPF Justice vers le SPF Santé publique (http://www.atsp.be/appel/) semble avoir été entendu. Une recherche, pilotée par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), devrait démarrer sous peu afin de proposer une réforme des soins de santé en prison. Via une comparaison internationale de l’organisation des soins de santé en milieu pénitentiaire, il s’agit d’identifier des modèles susceptibles d’inspirer la réforme du système sanitaire carcéral belge.

  • L’asbl I.Care vient de voir le jour. Son ambition? «Contribuer activement à l’amé
    lioration de la prise en charge globale (médicale et psychosociale), de la continuité des soins pendant l’incarcération et lors du transfert ou de la libération ainsi qu’au développement de la promotion de la santé en milieu carcéral.» Son originalité? Regrouper en son sein des acteurs internes au milieu carcéral (médecins, psychiatres) et des acteurs extra-muros. «Nous voulons essayer de passer au-dessus des murs pour mettre en place des collaborations», explique Vinciane Saliez, présidente de l’association nouveau-née. Infos: www.i-careasbl.be

 

Fil infos www.alterechos.be : «Quels moyens sont mis en œuvre en prison pour favoriser la réinsertion des détenus?», Manon Legrand, 22 avril, 2015.

 

En savoir plus

(1) Todts S., Glibert P., Van Malderen S., Van Huyck C., Saliez V., Hogge M., «Usage de drogues dans les prisons belges. Monitoring des risques sanitaires», 2008.

(2) En août 2012, près de 4% du total de la population carcérale belge avait bénéficié d’un traitement de substitution (principalement la méthadone). Source: Plettinckx E., Antoine J., Blanckaert P., De Ridder K., Vander Laenen F., Laudens F., Casero L. & Gremeaux L, «Rapport national sur les drogues 2014. Tendances et évolutions», WIV-ISP, Bruxelles, 2014.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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