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Toujours plus tributaires de l’aide alimentaire

Avec la crise actuelle, les bénéficiaires de l’aide alimentaire sont de plus en plus nombreux. Une aide de base qui, dans un pays riche, gêne aux entournures. Alter Échos raconte depuis de nombreuses années les questionnements qui traversent ce secteur au croisement de la charité et de l’aide sociale.

© Alex GD

Le dénuement. Ne plus pouvoir se nourrir. La crise économique et sociale qui découle du coronavirus fait des ravages en Belgique. Les files qui s’allongent pour obtenir une aide alimentaire sont une des réalités les plus brutales de cette année 2020. «On voit désormais de nouveaux visages venir chercher des colis alimentaires», pouvait-on encore lire dans le journal Le Soir, le 23 novembre dernier.

Un constat que les habitués d’Alter Échos découvraient le 8 avril dernier, pendant la première vague, dans un article d’Emilie Gline, intitulé «Le Covid-19 étouffe le secteur de l’aide alimentaire». Face à l’augmentation des demandes d’aide alimentaire, à l’émergence de «nouveaux publics», les associations ont dû se démener avec un effectif de bénévoles considérablement amoindri, et des dons de nourriture en baisse, du moins au tout début du premier confinement. «De nombreuses associations doivent acheter à leurs frais», pouvait-on lire.

Des chômeurs temporaires, des étudiants jobistes, des sans-papiers sont venus grossir les rangs de ceux qui ont faim. Face à l’urgence, des questionnements de fond émergeaient. La Fédération des services sociaux (FdSS) réclamait, par la voix de Céline Nieuwenhuys, sa secrétaire générale, que des chèques-repas soient distribués, en lieu et place des «colis alimentaires». «Donner des colis aux pauvres relève d’une époque révolue. Nous devons migrer vers un système moins stigmatisant», disait-elle.

«L’État belge ne respecte pas ses obligations en se déchargeant sur l’associatif.» Olivier De Schutter, en 2008 dans Alter Échos

Aide alimentaire: la charité ou l’État

L’aide alimentaire se situe au croisement de la charité et de l’action sociale. Elle génère parfois une forme d’embarras. En décembre 2008, dans son article «L’aide alimentaire: entre les saints et les communistes», Catherine Morenville, alors journaliste chez Alter Échos, décrivait un sujet «de l’ordre de l’infra-ordinaire, qui fait partie des pratiques cachées, qui restent au fond des tiroirs». Comment expliquer, dans nos pays riches, que tant d’hommes et de femmes ne mangent pas à leur faim? Est-ce vraiment au secteur associatif de distribuer des vivres aux plus démunis? À cette époque, Olivier De Schutter, fraîchement nommé rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, rappelait que se nourrir «est un droit». «L’État belge ne respecte pas ses obligations en se déchargeant sur l’associatif», ajoutait-il. Hugues-Olivier Hubert, sociologue et chercheur à la Fédération des centres de services sociaux (ancêtre de la FdSS), imaginait qu’à la mission «d’aide médicale urgente donnée aux CPAS, s’ajoute une mission d’aide alimentaire urgente». Douze ans plus tard, dans l’article d’Emilie Gline, c’est Agathe Osinski, d’ATD Quart-Monde, qui affirme, peu ou prou, la même chose: «Ce n’est pas le rôle du secteur associatif et de ses milliers de bénévoles de nourrir les personnes en situation de pauvreté.» En douze ans la situation n’a pas vraiment changé. Enfin si. En 2008, environ 150.000 personnes bénéficiaient de l’aide alimentaire, contre, environ, 450.000 en 2020, et encore, il s’agit d’une estimation préalable au second confinement.

Les lents progrès d’une aide alimentaire saine

En 2008, dans l’article de Catherine Morenville, on évoquait «la rudesse de certains jugements à l’égard de bénéficiaires», entre les «bons» et «mauvais» pauvres. Sept ans plus tard, en 2015, un article coécrit par Nathalie, une personne surendettée, dans le cadre d’Alter Médialab, un projet de journalisme participatif de l’Agence Alter, revenait sur ce regard «parfois jugeant» qu’elle rencontrait en allant chercher son colis alimentaire. Dans cet article intitulé «Mal manger n’est pas une fatalité», c’est la qualité nutritionnelle des aliments distribués qui était abordée.

Est-il possible de recevoir une nourriture saine au titre de l’aide alimentaire? «C’est terriblement difficile de manger sainement lorsqu’on est en situation de précarité», nous rappelait alors Sabine Fonville, des restos du cœur à Saint-Gilles. Les restaurants sociaux et épiceries sociales tentent, au fil des années, de davantage incorporer dans leur offre des produits locaux et de saison, voire des produits bio, récupérés dans des magasins spécialisés. Mais les questions de logistique, de transport, de stockage se posent régulièrement. En décembre 2015, dans le numéro 413 d’Alter Échos, Julie Luong décrivait «Soli-food», une initiative du réseau des épiceries sociales Wallonie-Bruxelles, dont l’objectif était de négocier les prix collectivement auprès de grandes surfaces. L’intention, à terme, était bien de «travailler avec de petits producteurs locaux». C’est dans la même veine que «Récup’kitchen» – projet décrit dans notre n°418 de février 2016 – proposait de récupérer les invendus des marchés bruxellois et de confectionner, à partir de légumes locaux et/ou bio, des plats pour les plus précaires.

«Avant de parler de nutrition, il faut que les gens aient à manger. C’est le besoin premier à remplir.» Jean Delmelle, président de la Fédération belge des banques alimentaires, dans Alter Échos n°344, en 2012

Intégrer des produits frais dans les colis alimentaires est un vieux combat. «Souvent une préoccupation seconde, voire taboue, du secteur», lisait-on dans l’article de Julie Luong. C’est un combat encore plus difficile lorsqu’on aborde la distribution des colis alimentaires, en provenance des banques alimentaires, secteur tributaire des dons et programmes européens.

Dans notre article de l’Alter Médialab, on apprenait que «certains produits peu ragoûtants sont passés dans la ‘légende’, souvent moqués par les bénéficiaires. On pense aux carbonnades flamandes en boîtes, connues pour leur faible teneur en viande – tendance plastique à mastiquer – et leur grande quantité de gras et de sucres ajoutés». Mais au sein de la Fédération belge des banques alimentaires, l’état d’esprit changeait au fil des années. En 2015, Alfons De Vadder, l’administrateur délégué, constatait l’augmentation «spectaculaire» de la quantité de produits frais reçus par les banques alimentaires, «alors qu’il s’agissait de notre faiblesse», admettait-il. Une évolution, si l’on compare ces propos à ceux que tenait Jean Delmelle, président de la Fédération belge des banques alimentaires, en 2012, dans «Aide alimentaire et durabilité: duo impossible», un article du numéro 344: «Avant de parler de nutrition, il faut que les gens aient à manger. C’est le besoin premier à remplir.»

Dans cet article, une autre question émergeait. À force de vouloir offrir une nourriture «durable», ne risque-t-on pas d’être normatifs et paternalistes avec les plus précaires? «On ne va pas mettre tout le monde au régime végétarien sous prétexte que c’est durable», pouvait-on lire dans cet article. Et Louise Martin Loustalot, de l’association de récupération d’invendus bio et locaux Les Gastrosophes, de conclure, en 2020: «Il faut arrêter avec la charité et les solutions paternalistes. Cette crise montre que ça ne va pas.»

En savoir plus

«Soreal, rien à jeter», Focales n° 38, octobre 2017, Olivier Bailly.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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