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Regard critique · Justice sociale

Santé

Salles de consommation, sujet à risque (électoral) ?

Bientôt des salles de consommation en Belgique ? Le sujet est sensible. Et la communication des autorités publiques sur le sujet est sous contrôle…

À l’annonce de la journée d’étude « Bientôt des salles de consommation à moindre risque en Belgique » organisée le 24 octobre prochain par la Liaison antiprohibitionniste, Alter Échos s’est jeté sur son téléphone pour prendre le pouls de l’état d’avancement de la réflexion ici et là. Force est de constater que le sujet est sensible. Et que la communication des autorités publiques sur le sujet est sous contrôle…

Les salles de consommation en quelques mots

Les salles de consommation à moindre risque ont pour but de permettre à des usagers de drogues de consommer leurs produits dans de bonnes conditions d’hygiène, sous la surveillance d’un personnel qualifié et dans un environnement sans stress (notamment parce qu’ils se trouvent dans un espace d’exception où ils sont légalement protégés). « Les salles de consommation ont un impact en termes de santé publique », explique Éric Husson, coordinateur du projet Lama et de la Concertation bas-seuil, invoquant notamment le fait que plus de 80 % des nouvelles infections par le virus de l’hépatite C en Belgique concernent aujourd’hui les usagers de drogues injectables (étude du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) : « Hépatite C : dépistage et prévention », janvier 2012). « Mais ces salles permettent aussi de garantir une meilleure cohésion sociale dans les quartiers où l’usage de drogues est problématique », ajoute-t-il : disparition des scènes d’injection en rue, moins de seringues usagées qui traînent, diminution de la petite délinquance liée à l’acquisition de produits.

En Région bruxelloise, l’idée d’une salle de consommation a déjà fait son chemin. Molenbeek et Bruxelles-Ville ont montré leur intérêt pour ce type de dispositif (voir AE n° 355). Mais où en est-on aujourd’hui ? Les discussions ne sont pas au point mort, explique Éric Husson, coordinateur du projet Lama et de la Concertation bas-seuil (Mass, Projet Lama, Transit). Mais le projet devra sans doute être porté au niveau régional pour aboutir : « C’est difficile pour une commune d’avancer seule sur ce sujet », ajoute-t-il, tout en espérant que le plan de réduction des risques commandité par Benoît Cerexhe, et aujourd’hui porté par Céline Frémault ministre de la Santé à la Cocof, permettra de soutenir ce type de dispositifs.

Plus largement, l’idée est de faire se rencontrer les projets en réflexion dans différentes communes : Bruxelles, Liège, Charleroi ou encore Gand et Anvers. Les confronter, les porter au niveau national. « Depuis 2012, nous poursuivons la réflexion, indiquait ainsi Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi lors du conseil communal du 25 mars dernier. Des initiatives ont été prises, chez nous comme ailleurs, pour porter le débat au niveau national (…). Ce type de politique ne peut fonctionner que si elles sont territorialement réparties et c’est donc à cette réflexion que Charleroi participe. »

La Belgique en retard

Entre marche arrière et ouverture, Charleroi navigue entre deux eaux. Ici, la réflexion sur l’ouverture d’une salle de consommation à moindres risques a été initiée en 2006, nous apprend-on à la division prévention drogues de la commune. « Le projet était assez abouti, nous avions reçu l’aval du bourgmestre de l’époque, Jean-Jacques Viseur, ainsi que celui du procureur du roi en fonction, Christian De Valkeneer, et du chef de zone de police, précise Jérôme Boonen. Tous y étaient favorables. » Un projet alors refoulé par le Fonds fédéral de lutte contre les assuétudes, à qui une demande de financement avait été adressée. Avec le départ de deux protagonistes principaux, le bourgmestre et le procureur du roi, c’est retour à la case zéro. Même si, souligne Jérôme Boonen, les autorités actuelles se sont dites « prêtes à entamer une réflexion sur le sujet » et à lancer une étude de faisabilité. Pour preuve de leur ouverture : l’organisation de la journée d’étude susmentionnée sur le territoire carolingien. Ce cas de figure pose néanmoins la question, classique, de la continuité des actions d’un mandat politique à l’autre.

La frilosité est de mise chez les politiques quand on aborde le sujet. Pas très porteur, électoralement parlant, c’est le moins qu’on puisse dire. L’approche des élections aurait tendance à freiner l’engouement porté à ces dynamiques – quand engouement il y a. En témoigne peut-être aussi le sort réservé par le parti Écolo à la proposition récente des jeunes écolos sur la dépénalisation des drogues.

Le soutien du secteur de l’aide aux toxicomanes à ce type de projets semble aujourd’hui être acquis. De même, les forces de l’ordre y sont généralement réceptives. Mais l’opinion publique et le monde politique y sont encore peu sensibilisés : « La notion même de réduction des risques est encore souvent mal comprise, explique Jérôme Boonen. Et il y a encore beaucoup d’amalgames, même chez des hommes politiques bien placés. Entre une salle de consommation et le projet Tadam [NDLR projet de délivrance d’héroïne sous contrôle médical] par exemple. » Éric Husson confirme le retard de la Belgique en la matière : « C’est un sujet délicat, difficile à porter par les autorités politiques. Pourtant quand ces responsabilités politiques ont été prises, on a pu voir dans les villes où des salles ont été lancées que les impacts ont été tellement positifs que même les riverains ne voulaient plus s’en séparer. » Car leurs effets sur la qualité de vie dans les quartiers ne sont plus à démontrer. « Mais dans l’appareil politique, le sujet est débattu, continue-t-il. Il faut trouver l’opportunité de le porter devant les électeurs, ne pas avoir peur d’en parler : les citoyens, les riverains sont capables de se mettre autour de la table et de négocier leurs garanties touchant à la sécurité et à la convivialité. »

« Comme cela avait été le cas pour le projet Tadam, il faut arriver à un consensus politique, nous affirme elle Laurence Comminette, porte-parole du bourgmestre de Liège, Willy Demeyer. Sinon le projet est mis en danger. » À Liège, les conseillers communaux ont été mis au courant de la réflexion, qui devrait se poursuivre prochainement.

Toucher à la législation

Ce sont aussi les pouvoirs judiciaires qu’il s’agit de convaincre. Notamment pour pouvoir déroger à l’article 3 de la loi de 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes. Son article 3 punit en effet la mise à disposition d’un local pour des usagers de stupéfiants. « Une salle de consommation, c’est plus compliqué au niveau législatif que le projet Tadam, précise Laurence Comminette. Parce que ce dernier était une expérience scientifique. Ici il faut impliquer le Parquet. Le bourgmestre Willy Demeyer a déjà rencontré le procureur général à ce sujet. »

En savoir plus

Alter Échos n° 355 du 04.03.2013 : Un tour du monde des salles de consommation
Alter Échos n° 355 du 04.03.2013 : Abrigado abrite les toxicomanes luxembourgeois
Alter Échos n° 355 du 04.03.2013 : Une Riboutique à Ribaucourt ?
Alter Échos n° 355 du 04.03.2013 : Tadam attend son évaluation

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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