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Regard critique · Justice sociale

Maitre Corbeau

Quand la justice fait de la politique

Ces derniers mois, la justice a eu à traiter des affaires remarquables par l’intérêt médiatique qu’elles ont suscitées, mais surtout de par les enjeux de société qu’elles ont pu soulever. Elle est alors amenée à se positionner: parquet et magistrats finalement se découvrent, sous couvert de l’application de la loi. Du procès des hébergeurs·euses à celui du climat, en passant par la guéguerre du commissaire de police à l’encontre de l’ex-président de la Ligue des droits humains…

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C’est une longue saga que le procès dit «des hébergeurs·euses de migrants»: en 2017, le parquet de Bruxelles entame des poursuites à l’encontre de douze personnes prévenues de trafic d’êtres humains pour avoir aidé des migrants à passer en Grande-Bretagne. Ces poursuites se basent sur une enquête policière, des écoutes téléphoniques, des planques sur des aires d’autoroute et, in fine, des arrestations de quatre citoyens ayant accueilli des migrants à leur domicile et de huit migrants en ayant aidé d’autres à passer en Grande-Bretagne contre rémunération.

En 2019, les hébergeurs·euses avaient été acquittés par le tribunal correctionnel de Bruxelles en première instance et sept des huit migrants, condamnés à des peines de 12 à 40 mois, avec sursis pour la majorité d’entre eux. Qu’à cela ne tienne, le parquet général, n’étant pas satisfait, faisait appel de la décision et ce fut à la cour d’appel de Bruxelles en mars dernier de réexaminer cette affaire. Chose assez curieuse, après avoir interjeté appel, le parquet général par la voix de son avocat, général lui aussi, demande l’acquittement de deux hébergeuses et présente même ses excuses à l’une d’elles, déclarant qu’elle n’aurait jamais dû être poursuivie ni en première instance ni en appel. Il requiert donc son acquittement et celui d’une autre prévenue, considérant les deux autres coupables d’avoir prêté de l’argent à ceux qu’elles logeaient, d’avoir fait des traductions pour eux ou de leur avoir permis de se servir de leur téléphone et ordinateurs.

Au moment de cet appel du parquet, Alexis Deswaef, avocat d’une des hébergeuses, dit ne pas comprendre cet acharnement: «Franchement, nous ne comprenons pas la position du parquet général et il est difficile de ne pas voir des pressions politiques derrière cet appel, dans ce climat ambiant, avec ce gouvernement dominé par la N-VA et sa politique migratoire. Et on ose espérer que la cour d’appel de Bruxelles aura la même sérénité que le tribunal correctionnel de Bruxelles et acquittera les hébergeurs.» Lors des audiences de mars dernier, les avocats ont dénoncé un procès politique, dont le but serait in fine de dissuader la population de venir en aide aux migrants, en faisant ainsi le procès de la solidarité. Lors des plaidoiries, il a également été relevé que la justice ne peut être déconnectée des réalités sociales et faire ainsi fi de la complexité des phénomènes migratoires, pour ce qui est du cas des migrants tantôt victimes, tantôt «trafiquants».

Finalement, la cour d’appel acquittera, le 26 mai dernier, les quatre hébergeurs·euses et reverra à la baisse les peines à l’encontre des migrants.

Lors des audiences de mars dernier, les avocats ont dénoncé un procès politique, dont le but serait in fine de dissuader la population de venir en aide aux migrants, en faisant ainsi le procès de la solidarité.

VDS vs Deswaef

Autre procès éclairant et riche en symbolique, celui opposant Pierre Vandersmissen, commissaire de police, à Alexis Deswaef, avocat déjà cité dans cette rubrique, mais également ex-président de la Ligue des droits humains.

Les deux protagonistes se sont côtoyés durant des années, de part et d’autre des «barricades». Le premier assure le maintien de l’ordre pour la zone Polbru (Bruxelles-Capitale/Ixelles) jusqu’en septembre 2020 où, ayant couvert les agissements d’un «photographe» qui a pulvérisé du gaz lacrymogène sur un homme lors d’une manifestation, il se voit démis de ses fonctions et versé à la sécurité des tribunaux. Le second a fait de sa carrière d’avocat comme spécialiste des droits des migrants et de son mandat de président de la LDH, un engagement politique fort. Ces deux-là ne partagent pas la même vision des enjeux de société et ne s’apprécient guère. Ce qui vaut à Alexis Deswaef de se faire arrêter sur ordre du commissaire lors d’une manifestation non autorisée se tenant devant la Bourse. Et à VDS, des déclarations publiques bien senties de la part de l’avocat sur la manière dont le policier gère le maintien de l’ordre à Bruxelles.

C’est à propos de ces déclarations que Vandersmissen poursuit donc Deswaef pour outrage et harcèlement. Une première plainte est classée sans suite par le parquet. La suivante trouvera l’oreille d’un représentant du ministère public et débouchera sur un procès devant la 50e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles. L’audience de juin sera animée, les conseils de VDS parlant de vindicte et de volonté de nuire à son intégrité, ceux de Deswaef de tentative de musellement de la liberté d’expression et de procès relevant du délit de presse et dès lors de la Cour d’assises.

C’est cette thèse que le juge du tribunal correctionnel suivra pour partie, rendant son verdict à la mi-juillet, se déclarant incompétent pour les accusations de harcèlement via les réseaux sociaux et, pour ce qui est de l’outrage, considérant que les propos de l’avocat relèvent de la liberté d’expression. VDS est dès lors débouté et condamné à payer les frais d’instance (2.560 euros). Depuis le commissaire Vandersmissen a fait appel. Et le parquet lui a emboîté le pas…

L’Affaire Climat

Point de parquet en cause cette fois, mais bien une volonté citoyenne portée par l’asbl KlimaatZaak1 et soutenue par quelque 62.000 co-plaignants, afin de voir déclarer la Belgique et ses trois entités fédérées coupables de ne pas respecter leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le fait de voir cette action déclarée recevable était déjà une victoire en soi pour le mouvement, mais entendre, le 17 juin dernier, le tribunal de première instance déclarer que la politique climatique belge viole les droits humains est autrement symbolique.

Le fait de voir cette action déclarée recevable était déjà une victoire en soi pour le mouvement, mais entendre, le 17 juin dernier, le tribunal de première instance déclarer que la politique climatique belge viole les droits humains est autrement symbolique. Le président de l’asbl KlimaatZaak, Serge de Gheldere, parle de procès historique: «Pour la première fois, on reconnaît que nous sommes en danger direct, personnel et réel» (RTBF, 17 juin 2021). L’asbl Affaire Climat souligne l’importance des termes de la décision de justice qui stipule que les gouvernements violent les articles 2 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui portent sur le «droit à la vie» et le «droit au respect de la vie privée et familiale». Sur cette base, le juge reconnaît le droit de l’homme d’être protégé contre un réchauffement climatique dangereux et estime du devoir des États de protéger ce droit.

Si le tribunal ne suit pas la demande des plaignants d’imposer des objectifs de réduction de gaz à effet de serre, comme ce fut le cas en Allemagne et aux Pays-Bas, la teneur de cette décision est hautement symbolique et donne à la lecture du droit faite par les magistrats une orientation résolument politique.

  1. Pour en savoir plus sur cette procédure: https://affaire-climat.be
Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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