Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Santé

Pass-ages. Quelque part entre ciel et terre

En regroupant en un même lieu naissance, mourance et habitat groupé, le projet Pass-ages se donne pour mission d’aider les gens à traverser les étapes de l’existence avec bienveillance et en toute solidarité. Cet espace intergénérationnel est habité depuis septembre 2021 et son objectif est de réunir les gens au cours des passages essentiels de leur vie : naître, cohabiter, grandir, vieillir, mouri

© Pass-ages

Tout sourire, le pas léger et l’œil pétillant, David entre dans le penthouse qui baigne dans la lumière une bonne partie de la journée. Il est un peu après 12 h et l’homme vient casser la croûte avant d’entamer sa journée de bénévolat chez Pass-ages, un lieu unique en son genre. Car cet habitat groupé, situé rue du Delta (dans la commune de Forest), abrite en son sein une maison de naissance et une maison de mourance. Si l’on imagine très bien à quoi peut ressembler la première, la seconde peut paraître plus énigmatique.

Le terme mourance décrit le processus physiologique et psychologique qui précède la mort, d’après Lydia Müller, autrice suisse de La fin de vie, une aventure, ouvrage qui a d’ailleurs beaucoup inspiré les fondatrices de Pass-ages. «Notre mission est d’accompagner les personnes en soins palliatifs, ainsi que leur entourage, dans un cadre le plus démédicalisé possible. L’équipe d’accompagnement se compose de bénévoles et d’infirmières spécialisées. Elles travaillent en étroite collaboration pour offrir les soins, la présence et la bienveillance nécessaires», explique Isabelle Verbist, l’une des chevilles ouvrières du projet.

L’accueil est possible lorsque la fin de vie est jugée proche, mais aussi pour de courts séjours (entre trois nuits et un mois), soit pour permettre une prise en charge à domicile après un diagnostic palliatif, soit pour accorder un répit à l’entourage. «Nous sommes les aidants proches de la famille, une sorte de maison d’hôtes pour les personnes en fin ou en début de vie.»

Le terme mourance décrit le processus physiologique et psychologique qui précède la mort, d’après Lydia Müller, autrice suisse de La fin de vie, une aventure, ouvrage qui a d’ailleurs beaucoup inspiré les fondatrices de Pass-ages.

L’aile consacrée à la mourance est composée de trois chambres. Le living, la cuisine, la terrasse et le jardin sont communs. La prise en charge du soir est théoriquement assumée par la famille et une infirmière passe deux fois par jour. Pour l’instant, c’est Lucie qui est accueillie pour mener sa fin de vie en toute quiétude, comme si elle était dans sa propre maison, laquelle est d’ailleurs située à quelques kilomètres de là. «La priorité est donnée aux gens qui ont habité tout près d’ici pour qu’il y ait une continuité dans les soins et qu’ils puissent mourir comme s’ils étaient chez eux», précise Isabelle.

«Les gens ne sont pas des numéros»

La vieille dame que nous rencontrons est attablée paisiblement, dans une salle à manger joliment décorée. Une bénévole lui prépare sa collation avec soin, dans cet environnement confortable et chaleureux. Elle est sur le point de terminer son shift. C’est David qui prendra le relais pour le reste de l’après-midi. «Nous sommes une cinquantaine de bénévoles et il y a autant de jeunes que de personnes âgées, de professionnels que de personnes non formées. Quand vous voyez comment les gens sont installés ici, il n’est pas possible d’associer la mort à de la souffrance ou à de la douleur. Vous n’avez pas l’odeur des hôpitaux, les blouses blanches. Dans cet appartement, il y a de la vie et des émotions. Les gens ne sont pas des numéros.»

Être bénévole à Pass-ages, c’est à la fois simple et complexe à définir. De manière globale, il s’agit d’offrir sa présence aux personnes qui en ressentent le besoin. Cela peut donc consister à accompagner les proches lors des derniers jours, aider à concevoir des rituels ou être là pendant la période de deuil. Mais cela ne s’arrête pas là.

Être vraiment présent, tout simplement

De l’autre côté du couloir, toujours au niveau du rez-de-chaussée, on retrouve l’aile destinée à la naissance, à l’autre extrémité du continuum de la vie. Là encore, trois chambres ont été spécialement aménagées pour accueillir le nouveau-né et sa maman dans un cocon de douceur. Chaque pièce a sa propre ambiance, de manière à permettre une naissance comme à la maison, dans le respect des processus physiologiques de la naissance.

La maison de naissance de Pass-ages offre un suivi global qui débute depuis le désir d’enfant jusqu’à un an postnatal. Des sages-femmes indépendantes et formées pour pratiquer des accouchements physiologiques – aussi appelés «naturels», car ils limitent les interventions médicales comme la péridurale, l’épisiotomie, etc. – sont sur place pour assurer les consultations prénatales ainsi que pour soutenir les (futurs) parents dans les moments de préparation à la parentalité. À l’avenir, des activités autour de la naissance (sur l’allaitement, les massages, etc.) seront organisées.

Être bénévole à Pass-ages, c’est à la fois simple et complexe à définir. De manière globale, il s’agit d’offrir sa présence aux personnes qui en ressentent le besoin. Cela peut donc consister à accompagner les proches lors des derniers jours, aider à concevoir des rituels ou être là pendant la période de deuil. Mais cela ne s’arrête pas là.

Il est à noter que seules les grossesses ne présentant pas de risque peuvent être suivies à Pass-ages. L’association a toutefois établi une convention de collaboration avec la maternité de l’hôpital Saint-Pierre (Bruxelles) qui permettrait un éventuel transfert si cela s’avérait nécessaire. «On peut avoir peur de donner naissance en dehors d’un contexte hospitalier, car on s’imagine un tas de choses, alors que la femme est assez puissante pour ça, et le bébé aussi. Il faut faire confiance à la vie», souligne Thérèse Evrard, l’une des fondatrices historiques et ancienne infirmière pédiatrique.

Ici aussi, les bénévoles font tourner la maison en donnant de leur temps et de leur énergie. Lorsque nous visitons les lieux, il n’y a pas encore eu d’accouchement, mais David et les autres volontaires se réjouissent déjà à l’idée de voir arriver le premier «bébé Pass-ages». «Je ne serai pas là à l’accouchement bien sûr, mais ma mission sera peut-être d’apporter le plateau du petit déjeuner le lendemain, de garder les autres enfants de la fratrie, de faire en sorte que le lieu soit bien tenu, d’aller boire une tasse de café avec le papa s’il a des angoisses et qu’il a besoin de les partager… Ou même de déboucher le champagne pour fêter la naissance du bébé, s’amuse David. Bref, c’est être là en cas de besoin. La famille sait qu’elle n’est pas seule.»

Ensemble, traverser la vie visible

Sur le plan philosophique, il semblait primordial, pour les fondatrices, d’associer naissance et mourance, deux moments de saut vers l’inconnu. «Pass-ages propose de repositionner ces deux extrémités de la vie dans le continuum de celle-ci, au cœur du quotidien, entourées de douceur et d’amour. Naître et mourir font partie de la vie, ce sont deux moments initiatiques au cours desquels on veut remettre du vivre-ensemble», assure Thérèse. «Mourir, ce n’est pas seulement le moment de la mort. Ce sont aussi toutes les petites morts qui surviennent au cours de la vie. Nous, on décide de traverser ça ensemble», complète Isabelle.

Car Pass-ages, c’est avant tout un habitat groupé basé sur la mixité. Intergénérationnelle d’abord: «Nous sommes fières d’avoir réussi à regrouper autour de notre projet dix ménages désireux de vivre ensemble entre générations. Nos habitants sont âgés de quelques mois à plus de 80 ans!» Sociale ensuite: «Nous visons à permettre à des personnes à faibles revenus comme avec des revenus moyens à élevés de vivre ensemble. Notre volonté est d’ouvrir l’accès à un habitat de qualité à des personnes qui en sont généralement exclues.» Ainsi, trois des dix appartements sont exclusivement destinés à des personnes ou ménages précaires financièrement.

«La naissance et la mort, c’est le premier et le dernier souffle, l’inspir et l’expir. Chaque minute, on reçoit et on donne la vie en respirant. Et entre ces deux souffles, il y a la vie visible», conclut Thérèse, en souriant.

Sang-Sang Wu

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)