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Santé

La méthode Montessori pour mieux vieillir

L’adaptation de la méthode Montessori pour les personnes âgées en situation de démence est de plus en plus utilisée dans les maisons de repos en Belgique. En plus de stimuler les aînés pour qu’ils conservent un maximum d’autonomie et d’indépendance indispensables au bien-être, elle redonne aussi beaucoup d’espoir à tous les professionnels qui les accompagnent.

© Flickrcc Julita B.C

Comment raisonner une personne âgée qui ne reconnaît plus son lieu de vie, qui répète les mêmes questions toutes les heures, jour après jour? «Là où on pouvait se sentir impuissant, l’approche Montessori permet de poser un autre regard sur la démence. En se focalisant sur les capacités qui restent, et pas sur celles qui sont perdues», explique Simon Erkes, cofondateur et responsable de l’asbl Senior Montessori, qui forme les professionnels du vieillissement. «Une femme qui hurle ‘au secours’, désorientée, on peut y voir une personne qui sait bouger, se déplacer et exprimer son avis. Et c’est là-dessus qu’on va travailler.» Et c’est bien là l’atout de cette pédagogie active qui, de l’enfance à la vieillesse, croit au potentiel humain: celui de toujours pouvoir apprendre.

Les maisons de repos: une usine à burn-out

Quand Simon Erkes découvre la méthode Montessori en France et l’exporte en Belgique en 2016, il vit une véritable révélation. Celui qui se présente comme un «gamin Freinet» porte ce bagage humaniste qui l’amène à ne jamais douter des capacités des personnes, à toujours voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Avoir baigné dès l’enfance dans les pédagogies actives a aussi nourri en lui cette critique acerbe des institutions comme l’école, l’hôpital ou les maisons de repos. Des institutions dont les structures rigides peuvent peser sur certains individus, au lieu de les soutenir. «Les maisons de repos aujourd’hui sont des usines à burn-out. Il y règne un grand sentiment d’impuissance acquise qui pousse à une forme de nihilisme thérapeutique. À défaut de savoir quoi faire, on s’adonne à des soins: bien manger, bien laver, bien médiquer. Sauf qu’avec des personnes atteintes de troubles cognitifs, les soignants sont confrontés à des situations ‘ultra-trash’. Personne n’a envie de pratiquer des actes médicaux techniques de la manière dont malheureusement la situation l’exige parfois, comme se mettre à plusieurs pour forcer un soin d’hygiène ou fermer une porte à clé pour éviter des comportements agressifs. Les maisons de repos sont organisées comme des usines de montage alors qu’elles sont censées accompagner des gens. Et on s’étonne que cela ne fonctionne pas! La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une marge de progression immense!» Le verre à moitié plein donc.

La vie quotidienne, la vie tout simplement

L’approche Montessori se base sur le respect de besoins psychologiques fondamentaux comme le sentiment de contrôle sur sa vie (l’autonomie), le besoin d’agir par soi-même (l’indépendance) et la nécessité d’endosser un rôle social au sein d’un groupe afin de se sentir utile. Dans les maisons de repos, elle permet de proposer un récit structuré autour de la vie quotidienne. «On n’accompagne pas une maladie, on n’accompagne pas Alzheimer, on accompagne une personne. On la remet donc au centre de toutes les prises de décision et de l’organisation du quotidien», explique Simon Erkes.

Quand Simon Erkes découvre la méthode Montessori en France et l’exporte en Belgique en 2016, il vit une véritable révélation. Celui qui se présente comme un «gamin Freinet» porte ce bagage humaniste qui l’amène à ne jamais douter des capacités des personnes, à toujours voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.

Brieuc Collard, ergothérapeute et responsable paramédical qui travaille depuis 17 ans dans la maison de repos Les Jardins de Scailmont à Manage, a été l’un des premiers à avoir suivi la formation Senior Montessori. «Depuis, on travaille beaucoup avec les aides externes et cela passe notamment par l’écrit, les pense-bêtes, la signalétique. Dans la cuisine mise à disposition des habitants, il est écrit sur chaque placard ce qu’il contient. Il faut bien se rendre compte que lorsqu’on souffre de troubles de la mémoire, c’est comme si on redécouvrait une nouvelle cuisine tous les jours.» Des espaces clairement délimités, auxquels on attribue une fonction précise, des codes couleurs pour se repérer dans l’espace, des outils de jardinage et de cuisine laissés à portée de main… En adaptant le plus possible l’environnement aux personnes, l’approche Montessori vise à stimuler l’action et donc l’interaction, avec le lieu, mais aussi les autres, autre aspect indispensable à l’épanouissement personnel. Les habitants peuvent se réunir au sein de comités selon leurs centres d’intérêt: comité d’accueil pour les plus hospitaliers, comité cuisine pour les gastronomes…

Plus de liberté, plus de risques

Pouvoir manger et se laver quand on le souhaite. Voilà des besoins élémentaires qui paraissent évidents, mais qui ne le sont pourtant pas dans les maisons de repos avec un planning à heures fixes. «L’idée, c’est de créer un lieu de vie, pas de repos. Dans certaines maisons de repos, on interdit de boire de l’alcool et de fumer par exemple. Ici, on est sorti de ça complètement. Les gens veulent vivre et c’est eux qui décident comment et ce qui est bon pour eux. On arrête de penser à leur place», résume Brieuc Collard. Aux Jardins de Scailmont, les habitants peuvent choisir de mettre de côté leur assiette du dîner pour la réchauffer plus tard. Mais, au final, ces aménagements ont-ils un coût? «On n’a pas plus de personnel qu’ailleurs. Ce qui est difficile, c’est le changement, parce que cela exige de remettre en question sa façon de travailler. Or, quand on lâche prise, on se rend compte que ça ne représente pas grand-chose en termes d’organisation.» Au contraire, intégrer l’approche Montessori en maisons de repos contribuerait même à diminuer certains coûts indirects comme les médicaments ou les médecins souvent appelés pour les chutes. «On a réduit l’usage des contentions dans l’idée de permettre aux personnes de bouger plus. On s’est rendu compte ensuite qu’on avait davantage de chutes, mais moins de chutes graves avec fractures, parce que les gens, au final, marchaient plus et sollicitaient mieux leurs corps.» Laisser la place au risque… Une attitude contre-intuitive vis-à-vis des aînés qu’on a tendance à surprotéger, alors que c’est bien au moment de la fin de vie qu’on n’a plus rien à perdre.

L’approche Montessori se base sur le respect de besoins psychologiques fondamentaux comme le sentiment de contrôle sur sa vie (l’autonomie), le besoin d’agir par soi-même (l’indépendance) et la nécessité d’endosser un rôle social au sein d’un groupe afin de se sentir utile.

Créer des solutions d’habitat alternatives

Preuve que les choses bougent dans le secteur du vieillissement, l’organisme d’intérêt public bruxellois Iriscare a lancé un appel à projets pour améliorer les résidences-services. La Centrale des services et des soins à domicile (CSD) a mené dans ce cadre une étude avec les asbl Senior Montessori et Bras-dessus Bras-dessous pour déterminer quelles seraient les innovations sociales à intégrer pour rendre ces lieux où l’on vieillit plus accessibles, plus ouverts sur le monde extérieur, plus conviviaux. En résulte l’identification de 220 bonnes pratiques regroupées en fiches thématiques, un outil clé en main destiné à aider les résidences-services à améliorer leur cadre de vie. Mais toute l’originalité du projet, c’est qu’il aboutira à la création d’ici à 2024 d’un prototype de résidence-service sociale dans les bâtiments actuels de la CSD, en plein cœur de Saint-Gilles. Un test grandeur nature pour proposer non pas un logement, mais un habitat. Une nuance primordiale à laquelle tient Thibault Koten, qui a coordonné le projet de résidence-service sociale de la CSD. «Lorsque le logement renvoie à des fonctions, l’habitat déploie l’idée de faire corps avec son lieu de vie. Les résidences-services et les maisons de repos sont souvent perçues comme des lieux très fonctionnels, qu’on subit, dans lesquels on parque les gens. Nous souhaiterions montrer qu’il existe des alternatives de lieux de vie où l’on fait le choix délibéré d’habiter.»

Impossible de terminer l’entretien sans mentionner le scandale Orpea révélé dans l’enquête «Les Fossoyeurs». Thibault Koten cite une étude d’Iriscare, selon laquelle le secteur privé commercial possède 62% des lits à Bruxelles: «L’idée d’Iriscare est de renforcer l’offre du secteur public et associatif. Car les aînés ne sont pas un bien, pas une marchandise.»

La méthode Montessori, des enfants aux aînés, même combat: l’autonomie

C’est en commençant à travailler auprès d’enfants atteints de troubles psychiatriques et issus de milieux défavorisés au début du XXe siècle que la médecin et pédagogue italienne Maria Montessori découvre que tous les apprentissages deviennent possibles, pourvu qu’on crée un environnement propice à l’action et que l’on fournit des outils adaptés. «Aide-moi à faire seul», «Parler moins, montrer plus». Voilà quelques-uns des adages de la célèbre pédagogie active qui fait de l’indépendance et de l’autonomie les gages de l’épanouissement personnel. Dans les années 90, le psychologue et chercheur américain Cameron Camp adapte la méthode Montessori pour les personnes âgées atteintes de démence. Son travail vise à améliorer le quotidien des personnes dépendantes en mettant la priorité sur ce qu’elles aiment faire et arrivent encore à faire, plutôt que de les réduire à leurs pathologies et aux soins que ces dernières nécessitent.

 

 

 

 

 

Émilie Pommereau

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