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Justice

Offres restauratrices et aide à la jeunesse : la greffe prend mal

Délinquance juvénile : le modèle restaurateur peut-il prendre dans l’aide à la jeunesse ?

Un nouvel arrêté va transformer les services de prestations éducatives et philanthropiques (Spep) en services d’actions restauratrices et éducatives. Un texte qui ravive les tensions entre partisans du modèle protectionnel et ceux du modèle restaurateur comme réponses à la délinquance juvénile.

Le nouvel arrêté sur les Spep, concocté par la ministre de l’Aide à la jeunesse, provoque bien des remous. La vieille bataille entre tenants du modèle protectionnel comme réponse à la délinquance juvénile et partisans du modèle restaurateur reprend de la vigueur. Pour Michel Heinis, directeur du Spep Le Radian, « le cabinet de la ministre intègre le mot restaurateur dans notre nom, ce n’est pas pour rien, leur idée est de promouvoir les offres restauratrices ». Car les Spep sont en passe d’être rebaptisés les services d’actions restauratrices et éducatives (voir encadré Les missions des Spep).

Petit retour aux sources de la discorde. En 2006, le législateur modifie la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse et y intègre la possibilité pour un juge de la jeunesse de proposer des offres restauratrices (voir encadré Des Spep aux Sare). Charge aux Spep de les mettre en œuvre. Le but de la réforme était de privilégier des alternatives aux mesures davantage sanctionnantes.

Alors que la protection de la jeunesse se centre essentiellement sur l’éducation du jeune, à travers des « mesures » qu’on lui applique – de l’aide éducative en milieu de vie à l’enfermement en IPPJ –, les offres restauratrices organisent la rencontre entre le jeune et la victime afin qu’elles trouvent un terrain d’entente, par exemple sur une action réparatrice.

« Le premier réflexe des juges : marquer le coup »

La cohabitation entre les deux modèles fonctionne cahin-caha. Les offres restauratrices sont peu utilisées par les juges de la jeunesse. Mais c’est surtout la concertation restauratrice de groupe (CRG) qui ne prend pas. Cette médiation élargie ne semble pas plaire aux juges de la jeunesse. À Bruxelles, en 2011, il n’y eut que 4 CRG décidées par un juge contre 474 prestations et 95 médiations. C’est seulement à Charleroi et à Liège que des juges tentent le coup. En 2012, on a compté 21 CRG dans l’arrondissement judiciaire de Charleroi.

Des chercheurs se sont penchés sur la question : pourquoi les offres restauratrices, et particulièrement la CRG, ne recueillent pas l’adhésion des juges ? Dans une étude de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), plusieurs éléments de hypothèses sont proposées. « Le premier réflexe du magistrat est de marquer le coup », peut-on lire dans le rapport. Le magistrat préférera une mesure « éducative » rapide, avec une inclinaison marquée pour l’IPPJ. « Les magistrats sont dans une logique éducative qui se télescope avec la lutte contre l’impunité, détaille Isabelle Ravier, de l’INCC. Ils veulent faire ‘quelque chose tout de suite’ ». Ce qui ne correspond pas vraiment aux offres restauratrices qui, bien souvent, prennent du temps. « Il y a une crainte que le jeune ne comprenne pas, avec une offre restauratrice, qu’il a outrepassé la règle », ajoute-t-elle.

D’autres points posent problème aux juges : les offres restauratrices n’aboutissent pas toujours, car les victimes acceptent rarement d’y participer ; et les magistrats ont peu d’informations de la part des Spep qui, dans le cadre d’une médiation ou d’une CRG, peuvent se contenter de rédiger des rapports succincts.

Une autre étude, commandée par Évelyne Huytebroeck, la ministre de l’Aide à la jeunesse, à l’unité de justice restauratrice, de délinquance juvénile et de victimologie de l’Université de Liège, est venue confirmer les résultats de l’INCC. La recherche n’abordait cette fois-ci que la concertation restauratrice de groupe. La mal-aimée de la protection de la jeunesse. Pour Aurore Dauchy, la rédactrice de l’étude, l’un des gros problèmes de fond, « c’est la méconnaissance généralisée de l’offre restauratrice. Parmi les juges, certains ne connaissaient même pas l’acronyme CRG ». Dès lors, c’est en sensibilisant « les magistrats, les Spep et même certains avocats », que l’on pourrait inciter à utiliser davantage cet outil. À Charleroi, le SPEP est en contact régulier avec le parquet et le juge de la jeunesse.

Un quota qui ne passe pas

En modifiant l’arrêté sur les Spep, le cabinet d’Évelyne Huytebroeck souhaite que « les offres restauratrices soient mises en œuvre de manière effective et dans les meilleures conditions ».

Pour inciter les Spep, le cabinet a inscrit dans l’arrêté qu’au moins 30 % de leurs missions devront être des offres restauratrices. « Nous constatons que les services qui sont les plus favorables aux offres restauratrices sont ceux qui ont le plus de missions et les accomplissent de la façon la plus complète », explique Denis Van Doosselaere, du cabinet de la ministre. Le manque de popularité de la CRG viendrait donc du manque d’enthousiasme des services qui sont censés l’appliquer. Ces derniers rechigneraient à sensibiliser les juges sur le bien-fondé de l’offre.

Aujourd’hui, la voix des Spep est unie. Tous s’inquiètent de ce quota de 30 %. Avec un argument-choc : ce sont les juges qui décident des mesures, pas les Spep. Comment, dès lors, leur appliquer un quota de prises en charge ? Derrière cette unanimité de façade, les anciennes divisions resurgissent.

Le minisecteur des Spep (13 services en Belgique francophone) est scindé en deux fédérations. D’un côté, on trouve la Femmo (Fédération des équipes mandatées en milieu ouvert), globalement favorable aux offres restauratrices. De l’autre, il y a la Fase (Fédération des associations socio-éducatives), historiquement peu encline à appliquer ces offres. La première compte sept membres, la seconde cinq. Le treizième SPEP compte les points dans une autre fédération.

Porte-parole de la Fase, et directrice du Spep Le Prisme à Mons, Caroline Quisenaire estime que l’avant-projet d’arrêté du gouvernement est « une catastrophe ». Elle rappelle la position de sa fédération au sujet des offres restauratrices : « Dans le modèle protectionnel, le passage à l’acte est un symptôme de dysfonctionnements. Nous considérons le jeune dans son contexte psychosocial. La médiation ne prend pas assez en considération l’avis du jeune. Certes, je considère que la médiation ne devrait pas avoir cette place-là dans la loi, mais comme elle existe, nous essayons de remplir cette mission au mieux. » Dans le viseur de la Fase : le quota de 30 % : « Cela revient à dire que les services ne sont pas motivés, ce qui est faux. » Plus grave, cette idée s’apparenterait à « du contrôle des services et une tentative de cadrage du travail des magistrats. Pour moi, c’est une ingérence du pouvoir politique sur le judiciaire », lâche Caroline Quisenaire. Dans ce contexte, la volonté politique de davantage utiliser la CRG ne passe pas : « La CRG est un produit qu’on veut nous vendre et qui n’a aucun sens sur le terrain. Les magistrats ne l’utilisent pas. »

Autre son de cloche à Charleroi. Géraldine Bodart, directrice du Spep local, le Gacep, est convaincue du bien-fondé des CRG : « Les résultats sont très intéressants pour le jeune qui entame une réflexion autour de trois axes : ce qu’il peut faire vis-à-vis de la victime, vis-à-vis de la société et vis-à-vis de lui-même. » C’est dans cet arrondissement qu’on a tenté d’imaginer une sorte de vade-mecum transposable ailleurs. « Nous avons simplement été plus attentifs à une meilleure collaboration entre différents acteurs et à la sensibilisation des magistrats », relativise la directrice.

Un travail qui semble avoir fonctionné quand on entend le juge de la jeunesse carolo André-Pierre Hallet qui souligne les « changements notables que la CRG a entraînés chez les gamins mais aussi chez les victimes ». Selon lui, le nouvel arrêté vise « à valoriser ces mesures ». Aujourd’hui, l’enjeu est de « sensibiliser les juges », de bien expliquer en quoi consistent les offres restauratrices aux victimes et de valoriser ces offres auprès des Spep. Aux yeux du juge, « il y a parfois une complicité objective entre les Spep et certains juges. Quand les Spep jouent le jeu, il y a davantage de mesures ».

Si la CRG et les offres restauratrices créent à nouveau le débat c’est, selon André-Pierre Hallet, pour des « raisons idéologiques » : « Certains ne veulent pas entendre parler des victimes, ils ne veulent que de l’éducatif », pointant du doigt le délégué général aux droits de l’enfant qui a récemment fait une sortie remarquée dans une note présentée au Conseil communautaire de la jeunesse. « Le délégué général s’inquiète de la place privilégiée accordée au modèle restaurateur par rapport au modèle protectionnel », peut-on lire dans cette note. Ce dernier précise son propos : « Attention, je crois au modèle restaurateur, mais il doit être intégré dans une stratégie éducative. Je m’inquiète au sujet des nouvelles contraintes du projet d’arrêté, des 30 %. Ces objectifs pourraient nuire à la stratégie éducative en calibrant trop le travail. »

 

Les Spep

Les Spep ont pour but d’apporter une réponse éducative à la délinquance juvénile. Ils sont mandatés par les parquets et juges de la jeunesse pour deux types de missions :

– mesures éducatives : la prestation éducative et d’intérêt général. Le jeune doit réaliser un travail non rémunéré au bénéfice de la collectivité ;

– offres restauratrices : la médiation et la concertation restauratrice de groupe. La médiation vise à résoudre un litige entre deux personnes, l’auteur du délit et la victime, grâce à l’intervention d’un tiers neutre. La concertation restauratrice de groupe est une médiation élargie à l’entourage de la victime et de l’auteur, mais aussi à un représentant de la « société », comme un policier, un échevin ou autre.

 

Des Spep aux Sare

Les Services de prestations éducatives et philanthropiques vont avoir un nouvel arrêté.

Les Spep s’appelleront désormais les Sare, pour services d’actions restauratrices et éducatives. Un choix qui s’explique logiquement. La loi de 1965 sur la protection de la jeunesse ne fait plus référence à des prestations philanthropiques mais à des prestations éducatives et d’intérêt général. L’objectif du nouvel arrêté est donc de faire coller l’appellation de ces services à la réalité de leur travail. En outre, depuis 2006, année de la modification de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse, les Spep sont chargés d’appliquer des « offres restauratrices ». Le nouveau nom met en avant cet aspect du travail des ex-Spep.

Les Sare vont se voir confier de nouvelles missions. Ils pourront désormais proposer des « prestations positives » ainsi que des « modules de formation ou de sensibilisation aux conséquences des actes accomplis et de leur impact sur les éventuelles victimes ». Les services pourront choisir de n’organiser qu’une de ces nouvelles missions.

Les Spep voient aussi d’un mauvais œil une proposition visant à changer le mode de calcul de leurs prises en charge. Ce qui entraînerait, selon eux, une augmentation de leur charge de travail sans compensation financière.

En savoir plus

Spep Le Radian : rue du marché aux herbes, 105 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 215 16 76 – courriel : asbl.radian@skynet.be

Gacep : boulevard Devreux, 30 à 6000 Charleroi – tél. : 071 30 57 91 – courriel : gacep@skynet.be

Spep Le prisme : rue des tuileries, 7 à 7000 Mons – tél. : 065 34 94 51 – courriel : prisme@swing.be

 A lire dans ce dossier :

https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=375&l=1&d=i&art_id=23599 Des peines pas si alternatives

https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=375&l=1&d=i&art_id=23595 Maisons de justice, une communautarisation qui interroge

https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=375&l=1&d=i&art_id=23588 Les justes mots d’une justice accessible

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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