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Regard critique · Justice sociale

Logement

L’habitat léger wallon prend du galon

Longtemps ignoré par la réglementation, l’habitat léger bénéficie désormais d’une reconnaissance dans la police du logement wallon. Des communes, à l’image de Tintigny, se lancent dans l’aventure du léger. Cet habitat alternatif peut-il représenter une réponse face à la crise du logement?

© Flickrcc musicalingus

C’est à quelques mètres de la Halle de Han, espace citoyen et marché fermier, dans la commune de Tintigny, que Joëlle va prochainement installer sa yourte. Massothérapeute, Joëlle était en recherche d’un lieu pour exercer son activité. Face au coût exorbitant de la location dans la province de Luxembourg, elle se tourne vers ces tentes venues des steppes mongoles: «C’est plus accessible financièrement qu’une maison en dur, mais cela amène également une atmosphère très agréable et qui est une plus-value pour mon secteur.»

80 euros par mois

«Certaines personnes à revenus moyens ne peuvent plus se loger dans nos communes», observe Benoît Piedbœuf, bourgmestre de Tintigny (MR). En poste depuis 1989, il a assisté à la croissance démographique et à l’explosion du coût de l’immobilier dans sa commune. «Quand j’ai commencé à vendre des places à bâtir, l’are de terrain coûtait environ 20.000 francs belges (500 euros). Aujourd’hui, on est entre 10.000 et 12.000 euros!» Face à ces constats, le bourgmestre a décidé de dédier un terrain de quatre ares, propriété de la commune à l’accueil d’habitations légères. Huit à 15 tiny houses, yourtes ou cabanes sont attendues dès cet été. Les futurs habitants devront s’acquitter de 80 euros par mois pour la location d’une parcelle, auxquels s’ajoutent des frais pour les raccordements aux impétrants. L’achat des habitations revient aux habitants: «Pour 30.000 à 50.000 euros, on pourra se loger», évalue le bourgmestre. Un community land trust permettra de déléguer la gestion de l’espace aux habitants, ces derniers étant chargés de la cooptation des nouveaux arrivants, et des expulsions en cas de nuisance. En cas de vente d’une habitation, le community land trust captera la valeur, évitant ainsi toute spéculation immobilière. Benoît Piedbœuf en est convaincu: «L’habitat léger est une solution pour l’avenir.» Pour preuve, la longue liste d’attente de personnes intéressées pour s’installer sur le terrain.

«Des contacts sont pris avec la Région pour réfléchir à une note explicative à destination des communes, ces dernières étant souvent aux prises avec des guides communaux trop stricts.» Vincent Wattiez (RBDL) 

Régime différent pour les locataires et propriétaires

Le projet de Benoît Piedbœuf s’inscrit dans une reconnaissance plus large de l’habitat léger en Wallonie. Depuis le décret du 2 mai 2019, la notion d’habitation légère a fait son entrée dans le Code du logement, devenu depuis le Code wallon de l’habitation durable (lire «Habitat léger: premier jalon d’une reconnaissance juridique», AÉ n°474, juin 2019). Ce dernier définit l’habitation légère comme une habitation ne répondant pas à la définition du logement, mais «qui satisfait à au moins trois des caractéristiques suivantes: démontable, déplaçable, d’un volume réduit, d’un faible poids, ayant une emprise au sol limitée, autoconstruite, sans étage, sans fondations, qui n’est pas raccordée aux impétrants». Cette consécration fait suite à une étude juridique participative menée en 2018 par des universitaires, des habitants, des collectifs et associations.

«Pour les habitations légères mises en location, les critères de superficie se rapprochent de ce qui existe au niveau des logements classiques, au contraire de celles occupées par leur propriétaire. Cela vise à éviter la création de sous-logements par des propriétaires-bailleurs peu scrupuleux.» Luc Jandrain, directeur du service wallon Études et de la qualité des logements à la Région

Le décret du 9 décembre 2020 poursuit ce travail en définissant les normes de salubrité applicables à l’habitat léger. «C’est un prolongement intéressant puisque dans le même mouvement on reconnaît l’habitat léger comme logement, on l’assujettit aux normes de salubrité, tout en les adaptant pour qu’elles ne soient pas trop strictes», observe Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis.

Désormais, une habitation légère destinée à être louée sera soumise à un permis de location délivré par l’administration. Un régime différent pour les propriétaires occupants et les locataires d’habitations légères est également mis en place. «Ces nouvelles normes de salubrité établissent une distinction qui n’existe pas au niveau du logement, explique Luc Jandrain, directeur du service wallon Études et de la qualité des logements à la Région. Pour les habitations légères mises en location, les critères de superficie se rapprochent de ce qui existe au niveau des logements classiques, au contraire de celles occupées par leur propriétaire. Cela vise à éviter la création de sous-logements par des propriétaires-bailleurs peu scrupuleux qui pourraient offrir ce type de logement à des personnes dont ce n’est pas le choix.»

Un changement de paradigme

Car vivre dans une yourte, une bulle ou une kerterre, c’est vivre dans un petit espace. Simon, maraîcher, vit dans une tiny house de 20 m² attenante au lieu où il produit ses légumes. Un choix autant financier que politique: «Cela répondait à ma volonté d’aller vers un mode de vie plus minimal, sans dépenser l’argent d’un loyer.» Un mode de vie «plus libre», mais qui, selon lui, ne doit pas occulter la réalité sociale des actuels habitants du léger. «Dans les médias, il y a souvent une focalisation sur la population ‘bobo’, et on oublie souvent de considérer les personnes qui vivent en zone d’habitat permanent, où se posent de vraies questions sociales.»

«Je pense que le logement public, orchestré par les Régions, doit se concentrer sur le logement en briques, et surtout pas sur l’habitat léger par manque d’argent.» Vincent Wattiez, du RBDL

Selon le Réseau brabançon pour le droit au logement (RBDL), environ 25.000 personnes vivent en habitat léger en Wallonie. Parmi elles, on distingue trois «familles»: 12.000 habitants en zone de loisirs, 10.000 gens du voyage et 3.000 habitants dits «alternatifs». Ce nombre est-il amené à se développer? Dans sa Déclaration de politique régionale wallonne 2019-2024, la Région évoque «le soutien à des solutions innovantes», dont l’habitat léger comme levier à activer pour encourager la production de logements publics. Une déclaration programmatique qui n’a, pour l’instant, pas encore trouvé à se concrétiser, mais qui interpelle Vincent Wattiez, du RBDL: «Je pense que le logement public, orchestré par les Régions, doit se concentrer sur le logement en briques, et surtout pas sur l’habitat léger par manque d’argent. Il y a un réel besoin de créer du logement public en Wallonie, mais l’habitat léger ne doit pas être une idée frelatée qui permettrait de détourner l’attention du logement public.»

Faire entrer l’habitat léger dans la culture de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, c’est désormais le gros chantier pour l’habitat léger. Prévoir des zones spécifiques dédiées à l’habitat léger, densifier les zones d’habitat en développant l’habitat léger dans les jardins… les pistes de réflexion ne manquent pas. «Des contacts sont pris avec la Région pour réfléchir à une note explicative à destination des communes, ces dernières étant souvent aux prises avec des guides communaux trop stricts pour accueillir de l’habitat léger», détaille Vincent Wattiez. En effet, ces règles ont été conçues pour des maisons traditionnelles: comment accueillir une yourte lorsque le guide communal prévoit que toutes les maisons doivent être construites en briques? «Que le logement puisse être mobile est un changement de paradigme fort qui bouleverse les conceptions de l’habitat classique», observe Nicolas Bernard. Et les mentalités sont parfois plus dures à changer que les lois.

En savoir plus

«Tiny houses: aux grands maux les mini-remèdes?», Alter Échos n° 480, janvier 2020, Manon Legrand.

«L’habitat léger: en finir avec la brique dans le ventre» (dossier), Alter Échos n° 398, mars 2015.

Pauline Porro

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