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Regard critique · Justice sociale

Santé

« Le rôle politique des mutuelles dérange »

Les mutuelles ne veulent plus être assimilées à de simples guichets de remboursement. Elles sont et veulent rester un acteur incontournable de la politique de la santé. Un rôle qui passe par une autre approche de la santé et surtout par un travail social où disponibilité et proximité sont les principales balises.

© Mathieu Van Assche

On ne parle pas souvent des mutuelles. Contrairement aux syndicats, elles attirent moins l’attention médiatique et politique. Mais en 2014, dès la mise en place du gouvernement Michel («la Suédoise» avec la N-VA), la nouvelle ministre fédérale de la Santé Maggie De Block (Open VLD) attaque durement les mutuelles leur reprochant leur manque de transparence financière, les conflits d’intérêts dont elles feraient preuve, leur fonctionnement obsolète. «Elle a été très provocatrice et a fait preuve d’une absence totale de nuances, juge Pierre Reman, économiste, ancien professeur à l’UCL, spécialisé en sécurité sociale. C’est une posture anti-corps intermédiaires classique chez les libéraux. Le fonctionnement des mutuelles est inscrit dans la loi, la remise en cause de leur légitimité était injuste. Le rôle politique des mutuelles dérange, c’est une évidence et c’était le cas au sein d’un gouvernement qui tentait alors d’écarter les interlocuteurs sociaux. Les mutuelles sont des acteurs importants de la politique de la santé, poursuit Pierre Reman. Elles mènent des combats contre les frais d’hospitalisation, elles interviennent sur la politique des médicaments dont les prix n’ont cessé de croître. Cela ne plaît pas à tout le monde.» À l’époque, les mutuelles avaient réagi vivement aux attaques du gouvernement. Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris, avait rappelé que les mutuelles sont les organismes «les plus contrôlés du pays» «avec plus de 40 personnes qui vérifient et revérifient leurs comptes à l’Office de contrôle des mutualités».

Un accord pour moderniser le secteur

La polémique a abouti à un accord avec l’ensemble des mutuelles. C’est le «pacte d’avenir avec les organismes assureurs» signé par la ministre De Block et par les mutuelles en septembre 2016, un texte qui a ensuite été complètement «oublié» par le gouvernement Michel. Jean Hermesse, ex-patron des mutualités chrétiennes, ex-président du collège intermutualiste est l’artisan principal de cette convention qui a réussi – non sans mal – à mettre d’accord les mutuelles de tous bords et a balisé leur rôle, leurs engagements pour l’avenir.

«Elles mènent des combats contre les frais d’hospitalisation, elles interviennent sur la politique des médicaments dont les prix n’ont cessé de croître. Cela ne plaît pas tout le monde.» Pierre Reman, économiste, ancien professeur à l’UCL, spécialisé en sécurité sociale

«La modernisation des mutuelles était déjà en route avec la facturation électronique, explique Jean Hermesse. Mais, avec ce pacte, nous avons rationalisé le secteur (qui comptait une pléthore de petites mutuelles locales), mis fin à certaines concurrences entre mutuelles, notamment sur les assurances complémentaires. Mais nous avons aussi affirmé l’importance de la prévention en matière de santé et notre rôle de rempart contre la marchandisation de la santé.» Pour Hermesse, ce rôle de régulateur est toujours d’actualité. Et de citer l’explosion des assurances hospitalisation commerciales comme mutuellistes depuis le début des années 2000. Une conséquence, selon lui, du manque de régulation des frais d’hospitalisation et du manque de transparence des honoraires des médecins. Une tâche à laquelle l’actuel ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), a promis de s’atteler.

Pour Jean-Pascal Labille, le combat pour un meilleur accès aux soins est l’ADN des mutuelles et ce combat est ou non appuyé par les gouvernements. «C’est une question de volonté politique: le refinancement des hôpitaux, la limitation, voire la suppression des suppléments d’honoraires, les soins dentaires, la santé mentale. Il y a plein de secteurs où l’accès aux soins doit être fortement amélioré», dit le patron de Solidaris, qui compte sur Vandenbroucke pour progresser dans ce domaine. Et, à propos des relations avec le monde politique, Labille comme Hermesse assument leur proximité historique avec des partis comme le PS («nous en sommes fiers», affirme Labille) ou le CDH. «J’ai été chef de cabinet de Dehaene pendant sept ans, rappelle Jean Hermesse. Historiquement, les mutualités chrétiennes et socialistes sont les plus engagées et donc leurs interventions dans les partis sont inévitables.» «Il y a chez ces deux mutualités une dimension sociale, militante que l’on ne retrouve pas dans une mutualité comme Partenamut ou bien moins comme dans le cas de mutualités neutres et libres», confirme Pierre Reman. Un engagement qui se confirme encore aujourd’hui. Le patron de Solidaris insiste sur le fait que sa mutualité fait partie de la coalition Corona, une vaste plateforme d’organisations de la société civile qui estime que l’épidémie doit être le moteur d’une lutte pour une société plus juste et plus résiliente au travers, notamment, d’une profonde réforme fiscale.

Pour Hermesse, ce rôle de régulateur est toujours d’actualité. Et de citer l’explosion des assurances hospitalisation commerciales comme mutuellistes depuis le début des années 2000. Une conséquence, selon lui, du manque de régulation des frais d’hospitalisation et du manque de transparence des honoraires des médecins.

Une approche différente de la santé

Elisabeth Degryse, vice-présidente des mutualités chrétiennes, définit son organisation comme basée sur trois piliers: assureur social par la politique de remboursement, entrepreneur social en répondant aux besoins qui évoluent dans la société, mais aussi «vigie», car la mutuelle doit interpeller le politique sur les nouvelles réalités en matière de santé. La vice-présidente aime aussi rappeler l’histoire des mutuelles. «La sécurité sociale s’est construite au départ de citoyens qui, entre eux, ont cotisé pour se soutenir face aux difficultés de la vie. Les caisses mutuelles sont à l’origine de la sécurité sociale. C’est la Sécu qui nous a permis de tenir dans cette crise sanitaire. Il faut réhabiliter le rôle fondamental des corps intermédiaires et de la sécurité sociale. Et, pour la politique de santé, inverser la balance: passer à un système plus préventif, travailler plus sur les déterminants de la santé que sont le logement, l’alimentation, les inégalités sociales. C’est un défi gigantesque qui est déjà entamé au sein de l’Inami avec des approches plus axées sur le patient.»

Cette vision plus préventive de la santé suppose une meilleure information du patient. C’est un vrai défi pour les mutuelles. Certaines disposent de journaux pour informer leurs membres, mais ça ne suffit pas. «C’est compliqué, même pour des gens formés, de s’y retrouver dans la complexité des soins de santé», reconnaît Elisabeth Degryse. Pour elle, la légitimité des mutuelles et leur force reposent sur leur contact avec les affiliés. Les mutualités chrétiennes sont actuellement en pleine préparation des élections mutuellistes. Elles sont quasi les dernières à en organiser et cela n’a rien d’évident aujourd’hui. Comme pour les syndicats dans les PME, les candidats se font rares et l’engagement est plus limité dans le temps. «Nous avons déployé des centres mutuellistes de santé dans lesquels nos membres peuvent s’investir de manière très ponctuelle. Le Covid a été un tremblement de terre dans notre organisation qui repose beaucoup sur les bénévoles, mais cela nous a permis d’innover dans l’utilisation des outils numériques avec nos bénévoles et nos membres.»

Sauver le téléphone

Garder le contact et ne laisser personne en bord de route, c’est l’obsession des deux grandes mutuelles. «Notre force, c’est et ce sera toujours la disponibilité, poursuit Elisabeth Degryse. Ceux qui préfèrent gérer seuls leur dossier auront les outils informatiques pour le faire, mais pour ceux qui ont besoin d’un accompagnement ou le veulent, nos agences seront là. Le téléphone aussi. Nous avons mené une enquête auprès de nos membres sur les moyens de communication qu’ils préfèrent. Le téléphone arrive en tête. Il faut pouvoir avoir un contact direct avec un être humain.» Jean-Pascal Labille confirme: «L’accessibilité aux soins a un volet financier bien sûr, mais aussi social, culturel, géographique. Pour éviter le largage numérique, il faut garder toutes les facettes de la proximité. Malgré la facturation électronique qui existe chez la plupart des médecins, nos agences ne désemplissent pas. Les gens ont besoin de contacts, de conseils, de comprendre. Mes enfants n’iront jamais dans une agence. Ils régleront leurs problèmes avec les outils internet à leur disposition, mais, pour le public le plus fragilisé, rien ne remplacera le contact humain.»

«Il faut réhabiliter le rôle fondamental des corps intermédiaires et de la sécurité sociale. Et pour la politique de santé, inverser la balance: passer à un système plus préventif, travailler plus sur les déterminants de la santé que sont le logement, l’alimentation, les inégalités sociales. C’est un défi gigantesque qui est déjà entamé au sein de l’Inami avec des approches plus axées sur le patient.» Elisabeth Degryse, vice-présidente des mutualités chrétiennes

Les mutuelles restent encore souvent perçues comme des «guichets de remboursement» des attestations médicales: «Si on demande aux gens à quoi sert une mutuelle, 99% vont répondre: à payer mes soins de santé, constate le secrétaire général de Solidaris. Mais si on évoque les centres de planning, les services d’aides à domicile, les relations avec les hôpitaux, ils reconnaissent qu’une mutuelle, c’est bien sûr être un assureur efficace, mais aussi informer, organiser des services au travers des structures associatives. Autour de notre mutuelle gravite tout un réseau associatif qui permet de rester en contact avec ceux qui passent souvent sous les radars. Il faut aller sur le terrain, aller vers les gens, comme on le fait avec les ‘agents de prévention’ financés par le fédéral et les Régions. Nous travaillons déjà en partenariat avec le réseau wallon de lutte contre la pauvreté.»

Jean Hermesse va plus loin encore. «On a en Belgique une banque de données personnelles énorme, la plus détaillée au monde. On sait tout. Sur les médicaments consommés, les opérations subies, l’âge, si on vit seul ou pas. Cela permet d’imaginer une politique de santé plus proactive. On peut prévoir qu’une femme VIPO, seule, hospitalisée déjà trois fois aura besoin d’aide et de services. Pourquoi ne pas anticiper, pourquoi ne pas proposer une aide sans attendre qu’elle soit exprimée (ou pas)? Les mutuelles peuvent libérer du temps et du personnel plutôt que de maintenir celui-ci dans des agences.»

Un peu Big Brother comme projet? «Non. Tout dépend de la finalité dans l’utilisation de ces données», estime l’ex-patron des mutualités chrétiennes. L’idée fait débat dans le secteur. Une certitude pour Pierre Reman: le travail de proximité, c’est le plus gros défi pour les mutuelles, avec la nécessité d’organiser des services sociaux toujours plus étendus. Jean-Pascal Labille confirme: «Nous sommes devenus le principal employeur de travailleurs sociaux. Au moins autant que les CPAS.»

 

En savoir plus

«Covid-19: un petit coup de téléphone, ça ne peut pas faire de mal», Alter Échos web,  6 juillet 2021, Julien Winkel.

«Bruxelles: agir local pour une santé globale», Alter Échos n° 494, juin 2021, Marinette Mormont.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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