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Regard critique · Justice sociale

On se rend de plus en plus compte des effets négatifs de l’augmentation ces dernières années de la sélectivité des banques dans leurs prêts auxporteurs de projets d’entreprise les moins solvables. D’où la montée de la thématique du microcrédit à la lisière entre l’économiesociale et l’insertion par l’activité économique, qui mise sur le prêt de petits montants et sur l’accompagnement rapproché du débiteur.
En Belgique francophone, autant au départ du politique que des milieux associatifs, des initiatives récentes cohabitent avec d’autres plus anciennes. Tour d’horizon.1
1. L’état du microcrédit
Un trait caractéristique du microcrédit en Belgique est la place prise par les initiatives propres des pouvoirs publics. Les banques, quant à elles, n’ont toujours pasdéveloppé d’offre qui puisse même s’apparenter à du microcrédit.
1.1. Le prêt chômeur, par lequel tout a commencé
Le prêt de lancement, jusqu’à il y a peu prêt-chômeur, est de loin la principale initiative en la matière tant en termes d’expérience qued’impact. Il a été créé par l’État fédéral dans le cadre de l’assurance-chômage pour aider des chômeurs à lancerleur propre entreprise. Géré par le Fonds de participation, il a fait l’objet de différentes modifications fin 2000. Il propose des prêts sans garantie d’unmontant maximum de 1,1 million – mais le montant est le plus souvent bien inférieur. Le prêt peut financer le salaire du porteur de projet à concurrence de 75% du montant.Et le remboursement se fait au plus en 13 ans, avec un taux d’intérêt de 3% pendant les cinq premières années, et de 5% pendant le reste del’échéance.
¿’est, depuis le début des années 80, le principal recours pour les candidats entrepreneurs refusés par les banques. Quelque 823 demandes ont étéreçues en 1999, dont 242 ont été approuvées.
1.2. Le prêt solidaire, ou l’entreprise comme levier pour sortir de la pauvreté
Une seconde génération de microcrédits arrive à partir du milieu des années 90, mais cette fois émanant de la sphère privée. Elle estessentiellement le fait du prêt solidaire de la Fondation Roi Baudouin et du microcrédit de Crédal.
C’est en 1996 que la Fondation Roi Baudouin lançait le prêt solidaire à l’attention des personnes vivant d’allocations sociales et désireuses de lancer uneactivité économique. En trois ans (97-99), la Fondation a ainsi octroyé un crédit à près de 160 personnes socialement fragilisées. Les montants ensont de maximum 250.000 francs prêtés au taux de 2,25% avec la possibilité de continuer à bénéficier de son allocation sociale pendant 36 mois. La plupart desprêts solidaires permettent de décrocher ensuite un prêt de lancement.
Pour le prêt solidaire, la Fondation collabore avec la banque Triodos et un réseau de consultants locaux comme certaines agences-conseil en économie sociale. Si ce n’estpour la sélection des projets, ce partenariat ne s’est pas avéré très efficace, notamment à cause du manque de rigueur dans la coordination et du manque decohérence dans les objectifs du dispositif (contradiction entre la lutte contre la pauvreté et le soutien à l’activité économique). Même avec une fortesélectivité – à peine 20% des demandes ont été acceptées –, il est apparu des problèmes de recouvrement dans un crédit sur deux. Ledispositif est d’ailleurs réétudié entièrement depuis l’an dernier, avec l’ambition de le relancer d’ici à la fin del’année.
1.3. Le microcrédit Crédal, avec le bénéfice de 15 ans d’expérience de l’accompagnement
Le microcrédit développé par Crédal relève en fait de la micro-finance, puisque la coopérative draine de l’épargne solidaire chez ses membres.Conçu sur la base de l’expérience française de l’Adie, l’Association pour le droit à l’initiative économique, en pointe sur cette matière,ce projet est cofinancé par le Fonds social européen et a démarré à la mi-2000. Un critère explicite de sélection des projets est que le candidatemprunteur ait effectivement subi l’exclusion bancaire.
Le premier prêt est de maximum 300.000 francs à un taux de 5% sur trois ans. Des cautions solidaires de proches tiennent lieu de garantie. À des stades ultérieurs dedéveloppement de la nouvelle activité, ce premier crédit peut être complété par d’autres à des conditions similaires. Un accent fort est mis surle conseil et les rencontres entre débiteurs (accompagnement individuel et collectif), ainsi que sur la réouverture de l’accès aux services bancaires indispensables audéveloppement d’une petite entreprise.
Dix-neuf crédits ont déjà été acceptés. Avec une surreprésentation de Bruxellois, sans doute en partie due à la plus grande facilité detrouver des “prescripteurs“ (travailleurs sociaux, orientation professionnelle, etc.)
Pour rappel, Crédal existe depuis le début des années 80. Il s’agit surtout d’une coopérative de personnes désireuses de soutenir ledéveloppement de l’économie sociale grâce à leur épargne. Son capital approche les 240 millions et elle offre traditionnellement différents servicesfinanciers aux entreprises sociales, y compris la participation au capital.
1.4 Et la microfinance locale
D’autres initiatives de micro-finance ou de finance locale privée existent à petite échelle. Les plus anciennes datent elles aussi des années 80 et sontorganisées en petites asbl ou même en associations de fait. Ce sont avant tout des petits groupes de personnes privées qui mutualisent leur épargne pour offrir desprêts de montants peu élevés à des personnes ou à des organisations dans leur entourage immédiat (Écus baladeurs, Fourmi solidaire, etc.). Certainesfont garantir leurs crédits par Crédal. Comme ces initiatives restent très informelles et non reconnues, il n’existe pas de données qui permettentd’évaluer l’ampleur ou l’impact du phénomène.
1.5. Des initiatives d’économie mixte, à la lisière de l’encadrement de l’économie sociale
Une troisième sorte d’initiatives sont à relever : celles qui sont développées au niveau local ou régional depuis la fin des années 90 par lesintercommunales de développement économique et les pouvoirs publics. Avec des exemples comme le fonds Carolidaire de l’Igretec à Charleroi, de Fistrans del’Idélux dans le
sud de la province de Luxembourg, et même avec la Sowecsom, on a affaire à des outils de crédit et d’investissement dansl’économie sociale marchande en général, dont certaines actions peuvent s’apparenter à du microcrédit.
Leur problème commun à ce jour semble encore le manque de flexibilité et de proximité, même si elles témoignent en elles-mêmes du mouvement demodernisation des invests locaux entrepris notamment grâce à la montée en puissance des cofinancements européens depuis la fin des années 80. Il n’existe pasde compilation de leurs résultats ni par rapport à l’économie sociale, ni a fortiori par rapport au microcrédit en particulier. Les observateurs sont cependantunanimes à expliquer que leur impact n’est pas encore à la mesure des moyens financiers qu’ils mobilisent.
Un exemple particulier et plus ciblé est le dispositif d’octroi de microcrédits qu’a lancé en mars 2001 à Bruxelles la SRIB grâce à uncofinancement Objectif 2. Les conditions de ces prêts subordonnés (sans garantie) s’apparentent à celles du prêt solidaire (50 à 500.000 FB à 4% sur 3ans), mais la SRIB collabore avec un réseau de consultants locaux spécialisés pour l’accompagnement des débiteurs. La SRIB annoncera ses premiers résultats le24 septembre. On peut déjà dire que sur 25 demandes, 8 étaient recevables et 2 ont déjà été acceptées.
Il faut aussi citer la Coupole PME qu’a annoncée il y a peu la Région wallonne, qui entend rassembler tous les organismes actifs en matière de financement des PME, et qui auraparmi ses projets l’offre de microcrédits.
1.6. Levier communal, un dispositif hybride
Ce sont toujours les mêmes principes qui ont été mis en œuvre dans l’initiative Levier communal lancée en 1999 par la Fondation Roi Baudouin et quelques communeswallonnes volontaires. Les prêts proposés aux porteurs de projets d’entreprise sont au plus de 480.000 francs, mais n’ont à être remboursés que sil’activité démarre avec succès. Si l’entreprise tombe en faillite dans le terme du prêt, le solde est rétroactivement transformé en subside etl’entrepreneur n’a plus rien à rembourser. L’entrepreneur est accompagné par un consultant de sa région. Les résultats de l’expérienceseront publiés par la Fondation d’ici un mois, et on ne sait pas encore si l’expérience sera reconduite.
2. Les mesures de soutien au microcrédit
La prise en compte politique et réglementaire du microcrédit révèle un paysage encore plus éclaté que celui que laisse voir le panorama de l’offre.Deux sources de soutien sont à considérer pour le microcrédit en Belgique :
> les politiques de soutien au développement de l’activité économique en général, qui recourent à différents types de subventions,d’où ont émergé les programmes de microcrédit semi ou parapublics que nous venons de décrire. Les mesures de soutien qui relèvent de cettecatégorie ont une approche généraliste et sont développées pour un profil non spécifique d’entrepreneurs. Dans une logique traditionnelle de servicepublic, elles se contentent d’être à la disposition de leurs clients.
> Le soutien aux initiatives locales prises au sein du non-marchand pour drainer l’épargne privée vers la nouvelle économie sociale, en essayant justement de soulager lepoids provoqué par le caractère non spécifique des réglementations inappropriées et des formules d’aide traditionnelles. Ce type de mesures est en fait surtoutactuellement à l’état de projet. Elles s’appuient sur des réseaux d’organisations locales pour coller à la demande et pour identifier les projetsdormants et les entrepreneurs découragés.
2.1. Politiques de développement économique
Depuis la seconde guerre mondiale, et surtout depuis le milieu des années 70, l’intervention publique a créé une très large gamme d’outils financiers –surtout des subventions (en capital, en taux d’intérêts réduits, en garanties, etc.) – pour aider les jeunes PME.
> C’est de cette logique que relèvent plusieurs initiatives semi ou parapubliques : non seulement celles que nous avons décrites ci-dessus, mais aussi des mécanismes desubvention de PME en création qui se réclament de façon plus ou moins volontariste du microcrédit. Au moins deux exemples connus sont les projets bruxellois(Micro-Bruxelles) et courtraisien lancés dans le cadre du programme Capital local à finalité sociale du FSE en 1999.
> Il faut aussi mentionner parmi les mesures traditionnelles d’appui au développement économique les garanties offertes par l’État aux entreprises en vue de leurassurer l’accès au crédit bancaire pour certains types d’investissements. Cela contribue probablement à limiter le besoin en microcrédit, et peut par ailleursfonctionner quel que soit le créditeur, donc pourquoi pas avec un organisme de microcrédit. Quoi qu’il en soit, aucune des données disponibles ne permet de savoir si cescas de figure sont fréquents.
2.2. Mesures d’appui à la nouvelle économie sociale
Le microcrédit comme tel n’a pas d’existence dans la législation, qu’elle soit fiscale, sociale, économique ou bancaire. Il n’y a donc pas deréglementation spécifique à laquelle doivent se soumettre les initiatives de microcrédit. Les petits clubs d’épargnants solidaires n’ont même pasa priori l’obligation de se constituer en asbl.
Il va donc de soi qu’on ne trouvera pas de mesure de soutien spécifique… Il en découle comme on l’a vu un important manque de données sur l’ampleur dumicrocrédit dans notre pays, ainsi d’ailleurs que sur la finance alternative en général.
Les coopératives de crédit – à savoir Crédal et son équivalent flamand Hefboom – ont depuis des années lobbyé pour des mesures de soutienaux acteurs financiers de l’économie sociale. Le précédent ministre des Finances Philippe Maystadt avait préparé quelques mesures leur accordant des avantagesfinanciers (exonérations fiscales, etc.), mais rien ne fut finalisé. Le nouveau gouvernement fédéral et son ministre de l’Économie sociale Johan Vande Lanotteparlent de créer un fonds fédéral de garantie pour les investisseurs dans l’économie sociale, et ont déjà créé différents groupesde travail pour adapter à l’économie sociale plusieurs législations à portée générale (TVA, etc.)
Parmi les obstacles que rencontrent les coopératives de crédit et les organismes privés de microcrédit, il faut citer le montant de capital à rassembler pours’établir en coopéra
tive, ainsi que celui, bien plus important, imposé par la législation bancaire pour faire appel à l’épargne privéesous forme de dépôts plutôt que sous forme de parts de coopérateur. Un avantage qu’offre toutefois la coopérative est l’absence d’obligation decouvrir les prêts par un minimum de fonds propres.
Le problème du montant de capital à rassembler est aussi rencontré pour le passage en société à finalité sociale, opération qui rested’ailleurs difficilement praticable pour les asbl en général.
1 Ces informations ont été rassemblées comme contribution d’AlteR&I à un état des lieux du microcrédit en Europe. Ce projet est piloté par le NewEconomics Foundation de Londres et cofinancé par le Fonds social européen. Les résultats des autres pays seront incessamment disponibles sur Internet : http://www.localdeveurope.org On y trouvera aussi les coordonnées des organismes présentés ici.

Thomas Lemaigre

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