Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Le mentor : une espèce en voie d'apparition

Le mentorat pour jeunes à risque : une pratique balbutiante en Belgique, mais courante en Europe.

28-11-2011 Alter Échos n° 328

Les mentors sont des adultes bénévoles qui offrent un soutien à des jeunes « à risque ». Cap mentoring1 est la seule association deBelgique francophone à organiser ce type d’activité. Une pratique pourtant répandue en Europe.

Stéphane Poulard est mentor. Une espèce rare en Fédération Wallonie-Bruxelles. A l’heure actuelle, ils ne sont que treize, encadrés par l’asbl Cap mentoring.Pour Stéphane, « le mentorat est l’occasion de donner quelque chose à quelqu’un, et de recevoir ». Cela fait deux ans qu’il rencontre régulièrementAbdelhamid, un jeune Marocain à peine majeur. Stéphane nous raconte son expérience : « Un ami m’a mis en relation avec Cap mentoring qui cherchait un mentor pourun jeune qui voulait parler. C’était un mineur étranger non accompagné. Il allait de centre en centre. » Au début, les contacts sont espacés. Ilrègne une certaine méfiance, car chacun jauge cet autre assis juste en face, animé de bonnes intentions, mais inconnu. « Il y avait beaucoup de non-dits, seremémore Stéphane. Il me parlait un peu comme à un professeur. Il m’a aussi posé deux lapins, puis la confiance s’est construite jusqu’à devenir une réelleamitié. » Le mentor et le jeune apprennent à se connaître, se testent et trouvent un mode de fonctionnement. « Il s’agit d’abord de discuter dans un cadresympa, résume Stéphane. On mange au resto, on se fait un cinéma, puis on parle. »

Le mentor occupe une drôle de position. « C’est un adulte de référence qui n’est pas un éducateur ni un assistant social, tente-t-il de définir.Plutôt une sorte de grand frère. Le mentor aide un jeune à développer son réseau de connaissances. Le jeune reçoit quelques conseils de quelqu’undéjà intégré dans la société. Mais l’adulte ne se fait pas donneur de leçons. »

Mentors d’Europe

Il existe de nombreux projets de mentorat pour jeunes en situation de risques, notamment en Suède, aux Pays-Bas, en Angleterre et en France. A la demande de la Fondation Roi Baudouin,Movisie2, un cabinet d’études des Pays-Bas a listé des bonnes pratiques européennes. Il a relevé une série de critères essentiels au bonfonctionnement d’un projet de mentorat : une bonne adéquation entre la personnalité du mentor et celle du jeune, un engagement à avoir des contacts réguliers, laprésence d’un coordinateur ainsi qu’une formation destinée à bien outiller les mentors. Selon Movisie, le mentorat est une ressource inépuisable pour ces jeunesvulnérables qui « risquent de déraper » ; il accroît le capital émotionnel (confiance en soi), le capital social, intellectuel et culturel.

La plupart de ces projets supposent une participation volontaire du jeune. Une curiosité : le projet flamand Yar qui fonctionne sur base contrainte. C’est le juge de la jeunesse quipeut ordonner un suivi par un mentor, encadré par l’association.

« Promouvoir le lien social »

En Belgique francophone, c’est l’asbl Cap mentoring qui tente d’implanter le concept. Une pratique qui vient tout droit du monde anglo-saxon et qui connaît un succès important auxPays-Bas, en Espagne et dans bien d’autres pays. Catherine Leclef est la fondatrice de l’asbl. C’est aux Etats-Unis, où elle a vécu de longues années, qu’elle a piquél’idée du mentorat. A ses yeux, le mentorat est « un acte simple de citoyenneté » qui consiste à « promouvoir le lien social en créant desopportunités de lien ». Catherine Leclef l’admet volontiers, « en Belgique, il y a beaucoup d’aides pour ceux qui ont des difficultés ». Mais ces aidesont des limites : « Elles viennent de professionnels, précise-t-elle. Quant à la sphère privée, elle n’aide plus ces jeunes. Le mentorat est un levier quiaide le jeune à faire un pas de côté pour retourner vers la sphère privée. »

Pour que des adultes bénévoles et des jeunes en difficultés se rencontrent sur base volontaire, il faut pouvoir les recruter. Côté jeunes, Catherine Leclef tentede développer un réseau. Les jeunes visés ont plus de seize ans, ils traversent des difficultés et ont parfois le sentiment d’être coincés, avec l’envied’aller vers autre chose sans vraiment savoir quoi. Les écoles pourraient devenir de gros pourvoyeurs de jeunes « mentorés », tout comme les services de l’Aideà la jeunesse ou les maisons de jeunes. Mais cette perspective est assez lointaine. La pratique intrigue et il semblerait que les professionnels du social ne voient pas toujours d’un bonœil la « concurrence » de bénévoles. Malgré ces quelques résistances, Cap mentoring fait son chemin, sans précipitation. Et CatherineLeclef rassure : « Le mentor ne joue pas tous les rôles, dit-elle. Au contraire, c’est la complémentarité avec des services existants qui fera le succès del’initiative. » Quant aux adultes volontaires, c’est surtout via le réseau de relations et le bouche-à-oreille que l’asbl les déniche.

« Un très beau moment pour le jeune »

Avant que « les deux fassent la paire », Cap mentoring organise une série d’étapes préalables. Hors de question de livrer le duo à lui-mêmeen le jetant dans un restaurant et basta ! Les professionnels de l’asbl rencontrent d’abord le jeune et son entremetteur. Le mentor, lui, rencontre aussi Cap mentoring et reçoit del’information. Ensuite, deux rendez-vous entre le jeune et son futur mentor sont organisés autour d’un lunch. S’ils accrochent, ils se reverront. Mais avant, il leur faudra signer un contratexplicitant le cadre de leur relation (rencontre une fois par mois, pas de sollicitation d’argent, pas d’hébergement). Catherine Leclef estime qu’il s’agit là d’un momentimportant : « Ils formalisent leur relation en connaissance de cause. C’est un très beau moment pour le jeune de voir le mentor signer et s’engager à le voir,lui. » S’enchaînent ensuite les rencontres, les activités, les discussions. La relation est amicale, mais vise aussi à élargir le réseau social du jeune,à attiser sa curiosité, à imaginer des projets.

Le mentorat est une façon originale de faire du volontariat. Il favorise la rencontre entre milieux différents et peut donner un coup de pouce à certains jeunes. Mais il n’estpas pour autant la solution à tous les problèmes. C’est la conclusion que tire Stéphane Poulard : « Le mentorat est utile, mais il n’est pas adaptéà tous les cas. C’est une partie de la solution sans être une solution en soi. Faire du mentorat auprès d’un Mena ne réglera pas les problèmes plus structurelsliés a
ux enjeux migratoires. »

Le parrainage à la française

Interview de Lise-Marie Schaffhauser, présidente de l’association française Unapp3, l’Union nationale des associations de parrainage de proximité. Un pays oùle mentorat s’appelle parrainage.

Dans quel cadre évolue le parrainage en France ?

Il y a deux réseaux qui font du parrainage. L’un plus tourné vers l’insertion sociale et professionnelle et l’autre vers les enfants et leurs familles. Un des objectifs de l’Unapp,c’est d’établir des ponts entre ces deux réseaux qui s’ignorent. En 2005, une charte nationale du parrainage, précisant les valeurs du parrainage, a étéadoptée : tout enfant et tout parrain doivent être volontaires, les parrains et les parents s’engagent dans la durée, l’autorité parentale et le choix de l’enfant sontrespectés, les engagements réciproques sont formalisés dans une convention. Le tout s’inscrit dans un projet collectif et associatif. Les organisations de « parrainagede proximité » membres de l’Unapp comptent 5 000 jeunes et parrains.

La plupart des projets européens visent des jeunes « en situation de risque ». Ce n’est pas le cas en France, pourquoi ?

Historiquement, le parrainage tel qu’il a été créé dans les années ’70 ciblait les jeunes à risques. Les méthodes de travail étaientfinalement assez proches de celles du travail social. Dans les années 2000, cette vision a changé. La politique familiale a changé et le parrainage s’est inscrit dans un puzzledu soutien à la parentalité. C’est dans ce contexte qu’est née la charte nationale du parrainage qui a une vision universaliste, ouverte et non stigmatisante. Les jeunes« à risque » ne sont plus visés en particulier. Mais dans la pratique, ça change doucement. Nous essayons aujourd’hui d’ouvrir les façons defaire.

Comment le parrainage est-il perçu par les professionnels du social ?

Il y a parfois des problèmes avec les travailleurs sociaux qui voient le monde de leur place et qui se sentent menacés. Mais dans les faits, la société ce ne sont pasque les travailleurs sociaux. Il n’empêche que le partenariat avec les services sociaux est essentiel, car les mentors ne doivent pas être des professionnels.

Votre action s’inscrit aussi dans un cadre européen…

Avec quatre autres organisations de parrainage, nous avons contribué à la rédaction de la charte européenne du parrainage. Son objectif est de dégager desprincipes d’action communs pour des projets de solidarité de proximité qui vont du tutorat au parrainage. Tous les projets devraient respecter ces principes qui touchent aux droitsfondamentaux et notamment au droit à la vie familiale. Il y a, par exemple, des projets directement importés des Etats-Unis ou d’Australie qui poussent le contrôle social assezloin et cherchent à faire changer les gens. Des projets éloignés des principes de la charte.

1. Cap mentoring:
-adresse: Heiligenbore, 176 à 1170 Bruxelles
– courriel : info@capmentoring.eu
– site : www.capmentoring.eu

2. Le mentorat pour des jeunes en situation de risque. Revue de pratiques belges et internationales. Disponible sur le site de la fondation Roi Baudouin : www.kbs-frb.be.

3. Unapp:
– adresse : 87 rue d’Assas à 75 006 Paris, France
– courriel : contact@unapp.net
– site : www.unapp.net

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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