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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Huytebroeck : l’heure des bilans

La législature se termine. Dans sa newsletter, Evelyne Huytebroeck, ministre de l’aide à la jeunesse, propose un « coup d’oeil dans le rétro ». Alter échos l’a prise au mot et a demandé à quatre acteurs clé du secteur de dresser leur bilan des cinq ans écoulés.

La législature se termine. Dans sa newsletter, Évelyne Huytebroeck, ministre de l’Aide à la jeunesse, propose un « coup d’œil dans le rétro ». Alter Échos l’a prise au mot et a demandé à quatre acteurs clés du secteur de dresser leur bilan des cinq ans écoulés.

Une législature qui se termine et c’est l’heure des bilans. Évelyne Huytebroeck (Ecolo), la ministre bruxelloise de l’Aide à la jeunesse, a discrètement proposé, dans sa newsletter, il y a près de deux mois, un petit « coup d’œil dans le rétro ». Une discrétion de mise pour une fin d’exercice périlleuse, faite de grèves et de protestations dans un secteur chauffé à blanc. Les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse réclamaient plus de moyens. Pour eux, mais aussi pour les services agréés de l’aide à la jeunesse qui accueillent, suivent et prennent en charge ces mineurs en danger.

Le refinancement du secteur, un débat délicat. Dans son propre bilan, intitulé « des réponses plus cohérentes, plus nombreuses et plus adaptées en aide à la jeunesse », Évelyne Huytebroeck met justement en avant son action en la matière à travers son « plan de renforcement du secteur ». C’est d’ailleurs sa « ligne de force » numéro 1. Elle évoque la « capacité supplémentaire de 650 prises en charge », ainsi que les 41,5 équivalents temps plein au sein des services de l’aide à la jeunesse (SAJ) et des service de protection judiciaire (SPJ). À quoi il faut ajouter un renfort de 14 équivalents temps plein supplémentaires d’ici le premier juin 2014 en réponse au mouvement de grève. Mais était-ce suffisant ? Son cabinet concède, lorsqu’on l’interroge à ce sujet, que « le manque de places est toujours une réalité, malgré les efforts. On ne peut pas nier que les délais de prise en charge sont toujours trop longs ».

Dresser son propre bilan, sans verser dans l’auto-glorification, n’est pas évident

Dans le domaine, politiquement sensible, de la délinquance juvénile, c’est la « diversification et l’augmentation de l’offre de prises en charge dans le milieu de vie, en alternative ou après une mesure de placement en IPPJ », qui résumerait les cinq ans. La création des Samio, services d’accompagnement, de mobilisation intensifs et d’observation (une alternative à l’enfermement), est soulignée. Ce type de nouvelles réponses à la délinquance, associé aux places fermées, permettrait « d’atteindre un équilibre acceptable entre offre et demande ».

Dans d’autres domaines, la ministre s’évalue aussi positivement. « Amélioration des processus d’attribution des prises en charge des mineurs » ou « décloisonnement du secteur de l’aide à la jeunesse avec les secteurs partenaires », via des protocoles de collaboration. Le tout enrobé d’une méthode : la participation.

Nous inspirant de cette méthode, Alter Échos a demandé à quatre interlocuteurs importants du secteur de remplir un petit questionnaire standardisé. Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant, Isabelle Druitte, présidente du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse, Christelle Trifaux, directrice du Service droit des jeunes et Annie Molet, présidente de l’Inter-fédération de l’aide à la jeunesse, se sont prêtés au jeu. Un bilan nuancé, franc et sans complaisance.

Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant

Alter Échos : La ministre met en avant la création de 650 prises en charge supplémentaires ainsi que le renforcement des effectifs au sein des SAJ-SPJ. Était-ce possible de faire plus, ou différemment ?

Bernard De vos : Il n’y a pas lieu de contester la volonté de renforcer les moyens du secteur. Cette augmentation de moyens paraît toujours trop limitée à l’égard des nombreux nouveaux défis auxquels l’aide à la jeunesse est confrontée, dont la précarisation dramatique des familles. Le récent mouvement de colère des SAJ-SPJ rappelle que les quelques dizaines d’équivalents temps plein octroyés à ces services ne constituent pas une réponse suffisante.

A.É. : Le bilan est-il à la hauteur au sujet de la prise en charge des mineurs délinquants ?

B.D.V. : Je salue les efforts consentis en matière de diversification des modes de prise en charge des mineurs concernés. La création des Samio (services d’accompagnement, de mobilisation intensifs et d’observation) en constitue l’initiative la plus marquante. Une évaluation fine devrait permettre d’objectiver qu’ils constituent bien une alternative aux placements en IPPJ.

La ministre assume les décisions de la précédente majorité consistant à augmenter encore le nombre de places fermées à une époque où les chiffres semblent indiquer sinon une diminution, au moins une stagnation de la délinquance juvénile. Chaque place ouverte en détention est une place occupée et constitue une solution « de facilité » qui décourage toute créativité quant à des alternatives sérieuses et durables.

Enfin, la question du dessaisissement, qui constitue toujours une entrave à l’application complète de la Convention internationale des droits de l’enfant, a fait l’objet d’une réflexion dans le cadre du transfert du droit « sanctionnel » aux communautés. Le caractère « secret » et la lenteur du groupe de travail initié par la ministre n’a pas autorisé un large débat de société.

A.É. : Quel est le grand oubli de ces cinq dernières années ? Quelle est l’avancée la plus significative ?

B.D.V. : Outre ses collaborateurs(trices) expérimenté(e)s, la ministre a pu compter sur la compétence et la vision prospective et intégrative proposée par la directrice générale. C’est ainsi que le secteur s’est particulièrement ouvert aux réalités sociétales connexes (enseignement, pauvreté, migrations, innovations, citoyenneté, etc.), qui a conféré aux divers protocoles la légitimité et la crédibilité indispensables. Autre point fort : les efforts fournis pour populariser et soutenir l’action des familles d’accueil.

Point faible à regretter : le manque de réflexion en profondeur sur la durée et l’efficacité des placements en institution. En ligne de mire : l’investissement toujours insuffisant du travail avec les familles. Si d’indéniables efforts ont été consentis en la matière, il reste que ce travail spécifique, complémentaire à la prise en charge du mineur en institution, devrait se faire dès l’entame du placement, sans doute par une équipe distincte.

Isabelle Druitte, présidente du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse

Alter Échos : La ministre met en avant la création de 650 prises en charge supplémentaires ainsi que le renforcement des effectifs au sein des SAJ-SPJ. Était-ce possible de faire plus, ou différemment ?

Isabelle Druitte : Les 650 prises en charges résultent du renforcement de services de type SAIE (services d’aide et d’intervention éducative… qui interviennent dans le milieu de vie du jeune, NDLR), COE (centres d’orientation éducative),… il ne s’agit donc pas de 650 places d’hébergement en plus, mais d’une optimalisation des services existants et il s’agit donc d’un renforcement de l’accompagnement des familles. Or la première priorité du secteur est selon moi une augmentation des places en SAAE (services d’accueil et d’aide éducative) ou autre type d’hébergement.

A.É. : Le bilan est-il à la hauteur au sujet de la prise en charge des mineurs délinquants ?

I.D. : La prise en charge des mineurs délinquants doit continuer à être au centre du dispositif d’aide et de protection de la jeunesse, et ce, selon les principes fondamentaux du décret à savoir de privilégier l’approche restauratrice et éducative, de rechercher la solution la plus efficace et la moins déstructurante pour le jeune. La mise en œuvre des Samio est effectivement une avancée en la matière et mérite une attention particulière du secteur. Il faut reconnaître que la ministre a bloqué l’extension du centre fermé de Saint-Hubert ce qui me semble une bonne chose eu égard aux budgets du secteur et au peu d’effectivité de cette mesure.

A.É. : Quel est le grand oubli de ces cinq dernières années ? Quelle est l’avancée la plus significative ?

I.D. :  Ce qui a manqué lors de cette législature est l’aboutissement d’une réelle simplification du secteur dont une simplification administrative pour les services agréés : complexités comptables, administratives, justificatives, anticipatives… Et ce qui m’importe n’est pas la simplification administrative en soi, mais bien des solutions pour permettre de maintenir le temps de travail à des fins éducatives et d’attention aux jeunes et aux équipes.

Je noterai personnellement comme avancée significative la prise en compte d’une des grandes difficultés vécues par les jeunes en autonomie, celle de l’accès au logement. Jusque-là, la Communauté française rendait impossibles les conditions d’accès à un logement en ne finançant ni les loyers à hauteur des prix du marché actuel, ni les cautions locatives. Cela revenait à dire aux jeunes : « Sois autonome à seize ans mais débrouille-toi parce que nous on n’a pas de budget. » Ce paradoxe a été levé partiellement par la création d’un fonds autonomie et c’est déjà une belle avancée.

 

Christelle Trifaux, directrice du Service droit des jeunes de Bruxelles

Alter Échos : La ministre met en avant la création de 650 prises en charge supplémentaires ainsi que le renforcement des effectifs au sein des SAJ-SPJ. Était-ce possible de faire plus, ou différemment ?

Christelle Trifaux : Selon les autorités mandantes (SAJ/SPJ), ce renforcement n’est pas suffisant. Il serait nécessaire, selon eux, de disposer de places d’hébergement supplémentaires et davantage de prises en charge en famille.

De manière plus globale, nous constatons que tout le social est précarisé, tout comme les usagers que nous accompagnons : les CPAS éprouvent des difficultés à prendre en charge toutes les situations qui leur parviennent, le secteur de l’enseignement éprouve des difficultés, les services de santé mentale sont débordés, etc.

La situation risque de ne pas s’améliorer, au contraire. Les jeunes et leur famille sont dans des situations de plus en plus précaires et complexes à tout niveau. Il serait donc nécessaire de renforcer l’ensemble du secteur afin d’éviter que des situations ne « pourrissent », faute de moyens pour intervenir.

 A.É. : Le bilan est-il à la hauteur au sujet de la prise en charge des mineurs délinquants ?

C.T. : Il y a eu une diversification des réponses notamment due à la réforme de la loi relative à la protection de la jeunesse, en 2006. Les Samio ont en effet été mis en place. Nous pouvons nous réjouir que dans le cadre de la législature de Madame Huytebroeck, aucune place fermée n’ait été créée.

Au-delà des problèmes de places, il est à relever que des difficultés persistent dans la prise en charge des jeunes placés en IPPJ. En effet, pouvons-nous être satisfaits de l’enseignement prodigué au sein des IPPJ ? Pouvons-nous être satisfaits du travail effectué avec les familles dès le début du placement du jeune ? Pouvons-nous être satisfaits de la réinsertion des jeunes après leur passage en IPPJ ?

 A.É. : Quel est le grand oubli de ces cinq dernières années ? Quelle est l’avancée la plus significative ?

C.T. : Un oubli :  selon le Service droit des jeunes, un mineur étranger non accompagné ou un enfant issu d’une famille en séjour irrégulier n’est toujours pas considéré comme un enfant relevant de l’aide à la jeunesse disposant des mêmes droits qu’un enfant belge. Par ailleurs, force est de constater que des « vieux » mineurs de dix-sept ans ne bénéficient pas d’une prise en charge systématique par le service de l’aide à la jeunesse faute d’engorgement de ses services. Ainsi, nous déplorons le fait qu’un jeune de quatorze ans et un jeune de dix-sept ans ne soient pas toujours égaux.

Annie Malet, présidente de l’Inter-Fédération de l’aide à la jeunesse

Alter Échos : La ministre met en avant la création de 650 prises en charge supplémentaires ainsi que le renforcement des effectifs au sein des SAJ-SPJ. Était-ce possible de faire plus, ou différemment ?

Annie Malet : Nous pouvons relever la volonté de la ministre d’étoffer l’offre de services, mais l’annonce de 650 places est sans doute trop optimiste et l’augmentation de la capacité de services rend encore plus complexe leur gestion (subsides provisoires). Plusieurs emplois ont été créés. Nous pouvons cependant regretter que ces emplois n’aient pas tous été pérennisés, ainsi que le sous-financement des emplois créés qui met à mal les finances des services.

A.É. : Le bilan est-il à la hauteur au sujet de la prise en charge des mineurs délinquants ?

 A.M. : Il est difficile pour l’Inter-fédération de se prononcer sur les pratiques des services publics. Nous regrettons quand même la sous-utilisation par le pouvoir judiciaire des alternatives au placement en IPPJ, telles que celles proposées par les services privés compétents pour offrir des réponses diversifiées, notamment par les services de prestations éducatives et philanthropiques (devenus Sare…pour services d’actions restauratrices et éducatives).

 A.É. : Quel est le grand oubli de ces cinq dernières années ? Quelle est l’avancée la plus significative ?

A.M. :  L’oubli, c’est le manque de prise en compte des difficultés des services agréés : le sous-financement, la surcharge administrative, le cadre de personnel insuffisant. Les avancées : la refonte des arrêtés d’application du secteur et la volonté réelle d’augmenter l’offre de prises en charge.

Aller plus loin

Alter Échos n°374 du 20.01.2014 : Aide à la jeunesse la responsabilité pénale fait déborder le vase

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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