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Dentisterie sociale : le tiers-payant serait-il mis en danger par le nouvel accord dento-mutualiste ?

Le recours au dentiste est devenu un luxe pour nombre de patients. Le nouvel accord dento-mutualiste n’irait pas assez loin, selon des professionnels de la dentisterie sociale et desassistants sociaux attachés aux mutuelles qui énoncent les limites de cet accord. Parmi celles-ci, la suppression de facto, selon l’asbl Dentisterie sociale1, dutiers-payant en dentisterie.

15-03-2007 Alter Échos n° 225

Le recours au dentiste est devenu un luxe pour nombre de patients. Le nouvel accord dento-mutualiste n’irait pas assez loin, selon des professionnels de la dentisterie sociale et desassistants sociaux attachés aux mutuelles qui énoncent les limites de cet accord. Parmi celles-ci, la suppression de facto, selon l’asbl Dentisterie sociale1, dutiers-payant en dentisterie.

Officiellement, le compromis est un succès : les honoraires des dentistes ont été indexés de 1,65 %, et des marges sont dégagées pour améliorer lacouverture des patients. Concrètement, un peu plus de neuf millions d’euros seront consacrés aux politiques nouvelles. Exemples : le remboursement de l’extraction d’une dent chez lepatient de moins de 15 ans, à partir du 1er juin prochain, voire, si le budget le permet, la gratuité des soins usuels, jusqu’à l’âge de 15 ans, en 2008 (contre12 ans, actuellement).

Des soins nécessaires ne sont pas remboursés

L’asbl Dentisterie sociale ne voit pas les choses du même œil, ainsi son président, Pierre-Yves Loiseau, rappelle certaines réalités : « Certains soins debase ne sont toujours pas remboursés : 20 % de la population reste avec des problèmes dentaires spécifiques faute de pouvoir payer les soins. » Et de citer l’extractiondentaire ou le détartrage curatif, qui ne sont pas remboursés. Résultat : des foyers infectieux, pour 20 % de la population, ce qu’on appelle ostéite, qui peuvent menerà des situations dramatiques, comme des trous osseux dans la mâchoire, des complications cardiaques ou encore des infections cérébrales.

« Le remboursement des extractions avant 15 ans que propose le nouvel accord, c’est une très bonne chose, poursuit Pierre-Yves Loiseau, mais on sait qu’à cetâge, les dents ne nécessitent pas d’extraction. Par ailleurs, en ce qui concerne le remboursement des extractions après 65 ans, étant donné que les dents nes’extraient pas par usure mais par infection, on sait que c’est un âge auquel, si on a conservé ses dents, on n’est plus vraiment concerné par ces extractions.»

Un constat confirmé par le service social des mutualités chrétiennes : « Concrètement, de très nombreuses personnes, particulièrement dans lesmilieux sociaux défavorisés, n’entrent pas dans les conditions d’âge et de dérogations pour pouvoir bénéficier d’un remboursement de leurprothèse dentaire par l’assurance maladie », explique Serge Jacquinet, responsable du service social à l’Alliance nationale des mutualitéschrétiennes2.

Par ailleurs, les patients sont confrontés à des choix complexes, et insécurisés devant les techniques et matériaux qui leur sont proposés par lespraticiens à des prix extrêmement variables, alors que le remboursement par l’assurance obligatoire est forfaitaire.

« Cette difficulté est amplifiée par le fait que près de 50 % des dentistes ne sont pas conventionnés ! D’après les dossiers que nous avons vus, iln’est pas rare que les personnes doivent débourser entre 800 et 1200 euros pour une prothèse dentaire ! Pour des familles ou personnes à faibles revenus, cette somme estévidemment bien trop lourde à assumer d’autant qu’elles font face en même temps à d’autres dépenses qu’elles ne peuvent éviter oureporter (pension alimentaire, remboursement de dettes, autres frais médicaux…).

Dans beaucoup de situations, la personne (partiellement) édentée est finalement obligée de renoncer à sa prothèse dentaire. Or, les prothèses dentairescontribuent à rétablir la physionomie, l’élocution, la mastication et plus globalement mais non moins significativement le bien-être de la personne, son estime desoi, et partant, ses chances d’intégration socioprofessionnelle. »

Serge Jacquinet plaide également pour qu’on élargisse le champ des dérogations à toutes les pathologies ayant pu conduire à une détériorationprécoce de la dentition. « En d’autres termes, interroge-t-il, la priorité ne doit-elle pas être aussi de répondre aux situations où l’absence dedents, quel qu’en soit le motif, se révèle handicapante pour la personne dans le cadre de son bien-être personnel et de sa pleine participation sociale ? » Et dedemander qu’on évalue également davantage les coûts cachés de l’absence de dentition saine (difficulté d’alimentation, risque d’infections,difficulté sur le marché de l’emploi, isolement social, dépression,…) en regard des avantages et des coûts d’une politique moins économe etdavantage axée sur le long terme.

« Les mutualités chrétiennes, surenchérit Serge Jacquinet, ont déjà inscrit ces revendications – remboursement des extractions et des prothèses -dans le mémorandum que nous adresserons aux partis en vue des élections. »

La fin du tiers-payant pour la dentisterie sociale ?

Mais du côté de l’asbl Dentisterie sociale, ce qui fâche surtout dans ce nouvel accord dento-mutualiste 2007-2008, c’est la suppression de facto dutiers-payant en dentisterie. Pierre-Yves Loiseau s’en explique : « La convention dento-mutualiste 2007 subordonne le droit du patient au tiers-payant au chiffre d’affaires (enpaiement direct) du prestataire. Ce qui signifie que les pauvres reconnus par l’arrêté royal auront droit à leur tiers-payant à concurrence de trois fois le chiffred’affaires (en paiement direct) de leur dentiste, et les pauvres « autoproclamés »3 à concurrence de 5 % du chiffre d’affaires (en paiement direct).Le problème, c’est que même si 15 % des patients sont capables d’avancer les honoraires, ils ne représentent que 5 % du chiffre d’affaires comme le montre larécente étude épidémiologique de l’Observatoire de la Santé du Hainaut4 ; – les patients aisés ayant logiquement moins de problèmesdentaires lourds à soigner. » Il faut savoir qu’en dentisterie sociale, 50 % des patients sont des pauvres reconnus5 et 45 % des pauvres autoproclamés.»

Les dentistes sociaux n’ont donc pas suffisamment de patients aisés pour leur permettre d’aider leurs patients dans la précarité, qui ont besoin de soinsimportants et particulièrement coûteux. Pierre-Yves Loiseau poursuit : « Parmi les pauvres autoproclamés, une moitié sera sans doute couverte par l’extension dela reconnaissance de la pauvreté par le nouveau statut Omnio. Il n’en reste pas moins qu’une dévitalisation de molaire à 175,83 euros, mieux vaut que çan’arrive pas fin de mois… (la nuit ou le week-end, ajoutez 80,52 euros). Le tiers-payant implique qu’on est payé 90 jours fin de mois, qu’on fait gracieusement letravail administratif des mutuelles, et qu’on est obligé d’être entièrement conventionné sur le site où on le pratique ; on ne peut donc pas ydévelopper un patientèle aisée, alors oui, ce nouvel accord supprime de facto le tiers-payant pour la dentisterie sociale. »

Rudy Demotte tempère

Muriel Gerkens, parlementaire Ecolo à la Chambre, a interpellé le 7 mars le ministre des Affaires sociales, Rudy Demotte (PS), à ce sujet6. Le ministre s’estvoulu rassurant : « Pour combattre les abus, une interdiction d’application du régime du tiers-payant a été imposée pour un certain nombre de prestations dansun arrêté qui date du 10 octobre 1986.

Ces interdictions ne s’appliquent cependant pas dans des situations et à certaines catégories sociales de bénéficiaires. On constate cependant que certainsprofils de pratiques dérogent systématiquement à la règle d’interdiction en abusant de la notion de ‘situation financière individuelle dedétresse’. La procédure inscrite dans l’accord national a justement pour but d’identifier, de responsabiliser et de sanctionner ces profils. Il est vrai qu’ilconvient à cet effet de tenir compte de l’objectif original du système du tiers-payant, à savoir accroître l’accessibilité aux soins dentaires.

Il se peut que des pratiques dentaires qui utilisent de nombreuses situations financières individuelles de détresse soient situées dans un quartier dont pratiquement tous leshabitants s’inscrivent sous cette définition. L’objectif n’est certainement pas de sanctionner ces dispensateurs de soins et, par conséquent, leurs patients en lesprivant du droit à l’application du tiers-payant. »

Quant aux pourcentages évoqués plus haut, ils se rapporteraient selon Rudy Demotte à la nature des prestations attestées et non au chiffre d’affaires. Uneinterprétation qui, si elle s’avère exacte, changerait quelque peu la donne…

« Reste néanmoins, observe Muriel Gerkens, que les mutuellistes parlent bien de chiffres d’affaires et de sanctions qui seraient déjà plus ou moins prévues(amende de 125 euros). » La députée a, par conséquent, déposé deux motions de recommandation en commission des Affaires sociales ce 7 mars et demande parlà au gouvernement :
• d’autoriser le tiers-payant pour les bénéficiaires du « statut » Omnio car ceux-ci ont souvent plus de besoins de ne pas devoir payer au moment de laconsultation que de bénéficier d’un remboursement majoré ;
• d’autoriser le tiers-payant pour les cabinets installés dans les quartiers défavorisés jugés à risque.

Ces motions ont été soumises au vote ce 15 mars en séance plénière de la Chambre et ont été, sans surprise, rejetées.

À lire

Le n° 24 de la collection Labiso : La dentisterie sociale à Liège – Pour une meilleure accessibilité des soins dentaires, téléchargeable gratuitementsur le site : http://www.labiso.be

Les « chicoteux » plus nombreux qu’on ne croit !

Entre 10 et 15 % de la population est totalement édentée dans notre pays et 39 % a une prothèse dentaire totale ou partielle. Même si ce type de problèmes estplus fréquent chez les personnes âgées, certaines études estiment que dans la population âgée de 45 à 54 ans, 12 % n’ont déjà plusaucune dent naturelle, 9 % éprouvent des difficultés à mâcher et presque une personne sur deux a une prothèse dentaire7 ! En outre, on estime à 9 %le nombre de personnes renonçant à l’acquisition d’une prothèse dentaire et à 26 % le nombre de personnes renonçant plus largement aux soinsdentaires8. « Il y a urgence pour ceux que les dentistes désignent, dans leur jargon, comme des patients du quatrième degré : ceux dont l’état dentaire,faute de soins, peut conduire à des pathologies aussi graves que des trous osseux dans la mâchoire, des infections susceptibles d’entraîner des complications cardiaques ourénales… »

Quelques « projets sociaux » mis en oeuvre, ces dernières années :

gratuité des soins aux moins de 12 ans, abaissement de l’âge requis pour bénéficier d’un remboursement de prothèse (de 60 à 50 ans), campagnes annuelles desensibilisation ciblant 15.000 enfants défavorisés, depuis trois ans.

Tiers-payant

Le tiers-payant est la possibilité de ne pas devoir avancer la totalité du montant de certaines prestations. Les patients ne paient que le ticket modérateur (la quote-partpersonnelle). Le prestataire de soins (médecin, dentiste…) se fait ensuite rembourser auprès de l’organisme assureur (mutuelle).

Effectué d’office pour les hospitalisations et dans les pharmacies, il est interdit pour les consultations de médecins et de dentiste, les plombages, les traitementspréventifs et les radiographies dentaires, sauf pour certaines personnes. Les catégories de personnes suivantes peuvent bénéficier du tiers-payant :

• les bénéficiaires de la garantie de revenu aux personnes âgées
• les bénéficiaires du revenu d’intégration (ex-minimex)
• les Vipo (régime préférentiel)
• les bénéficiaires d’une allocation pour handicapé
• les chômeurs complets depuis plus de six mois consécutifs (isolé ou chef de ménage)

Le tiers-payant est l’exception à la règle. Les médecins et les dentistes sont libres d’appliquer ou non le système.

Le patient doit d’abord demander le bénéfice du tiers-payant à sa mutuelle, qui lui adressera une nouvelle carte d’affiliation portant la mention « tiers-payant ».

1. Dentisterie sociale, contact : Pierre-Yves Loiseau, rue Tour-en-bêche, 3 à 4020 Liège -tél. : 0478 93 63 93 – courriel : mdentisteriesociale@skynet.be.

2. Extrait de « Les exclus des prothèses dentaires », interview réalisée par Joëlle Delvaux dans le bimensuel En Marche des Mutualitéschrétiennes (2 novembre 2006).
3. Les pauvres « autoproclamés » comptent les bas revenus, les familles monoparentales, les personnes qui se déclarent sur l’honneur « en détressefinancière ».
4. Pour plus d’informations sur cette enquête: Observatoire de la Santé du Hainaut, rue St-Antoine 1à 7021 Havré -tél. : 065 87 96 00.
5. Les pauvres « statutaires » sont les Vipo, les bénéficiaires du RIS, les chômeurs de plus de 50 ans qui ont droit au remboursement majoré et au tiers-payant,les chômeurs de plus de six mois surendettés, les surendettés, les toxicomanes.
6. Le compte-rendu intégral de l’interpellation en Commission des Affaires sociales est téléchargeable sur le site de la Chambre (Com 1226 du 7 mars 2007) : www.lachambre.be
7. Enquête de santé par interview, Belgique, 2004 – Institut scientifique de la Santé publique – consultable en ligne.
8. Baromètre social 2000 “Accessibilité et report des soins de santé” – Union nationale des Mutualités socialistes.

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