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Circulaire «Tolérance zéro» contre les violences conjugales: un bulletin mitigé

Le 3 avril 2006 entraient en vigueur deux textes visant à modifier les pratiques judiciaires et policières en matière de violences dans le couple. Dix ans plus tard, leur application est relative.

©flickrCCbethpunch

Le 3 avril 2006 entraient en vigueur deux textes visant à modifier les pratiques judiciaires et policières en matière de violences dans le couple. Dix ans plus tard, leur application est relative.

Publié le 13 avril 2016.

En 2004, Anne Bourguignont, alors procureure du Roi de Liège, s’inquiète du classement sans suite des faits de violence conjugale. Elle met en œuvre une circulaire connue sous le nom de «circulaire Tolérance zéro» dans l’arrondissement judiciaire de Liège. Elle a pour but d’améliorer l’efficacité du parquet et des forces de police en matière de violence conjugale et de leur permettre d’intervenir rapidement de façon à éviter la récidive et à diminuer le sentiment d’impunité chez l’homme violent.

L’initiative porte ses fruits. Après un an, «plus de 1.900 hors-serie de violence conjugale ont été ouverts et le taux de classement sans suite est passé de 90 à 25%», soulignait René Begon, chargé de projets au Collectif contre les violences familiales et l’exclusion basé à Liège, dans un rapport en 2005.

Face à ce succès, Laurette Onkelinx, ministre de la Justice à l’époque, s’inspire de la politique liégeoise pour étendre le dispositif au territoire wallon et bruxellois. Elle constitue un groupe de travail comprenant des représentants du Service de la politique criminelle du SPF Justice, des magistrats des parquets et des représentants des services policiers. Après consultation des associations d’aide aux victimes et aux auteurs des violences conjugales, celui-ci a élaboré deux circulaires fédérales, la COL3 et la COL4 entrées en vigueur le 3 avril 2006.

«Jan Jambon avait déclaré que la violence conjugale ne serait plus considérée comme une priorité dans le nouveau plan de sécurité (…) il était revenu sur sa décision. Il n’empêche, cela signifie que la violence conjugale peut parfois passer au second plan», René Begon, chargé de projets au Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE

La première définit les formes de violence intrafamiliale et extrafamiliale. La violence dans le couple y est décrite comme «toute forme de violence physique, sexuelle, psychique ou économique entre des époux ou des personnes cohabitants ou ayant cohabité et entretenant ou ayant entretenu une relation affective sexuelle durable». Cette directive vise à faciliter, inventaire des infractions à l’appui, l’identification de la spécificité des délits et à assurer un enregistrement uniforme des plaintes dans les services de police et les parquets, en vue d’avoir des statistiques valables et détaillées. La deuxième directive – la COL 4 – définit quant à elle les lignes de force de la politique criminelle en matière de violence dans le couple. Elle insiste sur le fait que cette politique doit être intégrée en matière de prévention, de soins et d’aide, et nécessite une action de toutes les autorités publiques compétentes. Elle a pour objectif principal que les victimes soient écoutées et respectées et que leurs plaintes soient prises au sérieux. Pour y parvenir, elle préconise de former et de sensibiliser les magistrats aux mécanismes de la violence conjugale. En vue de protéger la victime, et éventuellement ses enfants, elle invite les services de police et le parquet à l’ouverture d’un dossier qui permette de suivre la personne sur le long terme.

Application aléatoire

Dix ans après, comment ces objectifs prometteurs sont-ils réalisés sur le terrain? Il apparaît que l’application de la circulaire – qui, pour rappel, ne fait pas force de loi – est très aléatoire. Première cause évoquée: le changement des procureurs généraux. «Les priorités changent en fonction de qui dirige le parquet», explique Frédéric Benne, codirecteur du Centre de prévention des violences conjugales et familiales. René Begon, chargé de projets au Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE), rappelle que, «il y a an, Jan Jambon avait déclaré que la violence conjugale ne serait plus considérée comme une priorité dans le nouveau plan de sécurité. Face à une levée de boucliers tant dans les rangs politiques que dans les associations, il était revenu sur sa décision. Il n’empêche, cela signifie que la violence conjugale peut parfois passer au second plan».

Pour favoriser l’accueil des victimes, la circulaire prévoyait la mise en place de policiers de référence dans chaque zone de police, dont le rôle est d’informer ses collègues sur la problématique des violences conjugales. «On ne sait pas s’ils sont maintenus dans chaque zone de police», déplore Frédéric Benne. Idem pour les magistrats de référence, normalement nommés par les procureurs du Roi dans chaque arrondissement judiciaire. «En 2006, nous avions des discussions intéressantes avec eux; depuis 2011, plus rien», souligne Frédéric Benne. La cellule violence conjugale créée à Bruxelles, sur l’exemple de Liège, a quant à elle tout simplement disparu.

Fabiana Canedo, coordinatrice de la Maison Couleur Femmes, souligne également que «la qualité de la prise en charge des victimes dépend dans quelle zone de police et sur quel policier elles tombent». En cause: le manque de formation, dans le chef des policiers mais aussi d’autres acteurs de première ligne comme les médecins ou les CPAS. «Il arrive encore trop souvent que les policiers ne distinguent pas problème de couples et violences conjugales, et, donc, n’actent pas la plainte», explique-t-elle. Elle pointe d’autres dysfonctionnements, notamment l’information insuffisante sur les démarches à entreprendre et le manque de suivi de dossier. Si bien que les femmes victimes de violences ne sont parfois pas prévenues de la libération de leur ex-conjoint. Son mouvement, Vie féminine, plaide pour une application rigoureuse de la circulaire Tolérance zéro. 

«Avant la circulaire, la victime venait et, si elle n’avait pas de certificat médical, on l’envoyait chez le médecin. Aujourd’hui, la règle d’or est: on ne renvoie pas les victimes», Barbara De Naeyer, chef au service de police «jeunesse-famille» à Bruxelles

Barbara De Naeyer, chef au service de police «jeunesse-famille» à Bruxelles, qui prend en charge tous les hors-serie de violences familiales de la zone, partage le constat d’une application relative de la circulaire. «Au bout de dix ans, j’observe moins d’échanges entre policiers de référence et les magistrats sur les priorités et les directives à prendre. On est un peu trop dans l’initiative personnelle, cela n’est pas une bonne garantie sur le long terme.» Elle souligne toutefois que la circulaire Tolérance zéro a amélioré «partout, mais de manière différente» la qualité de l’accompagnement des victimes. «Dans sa zone, elle insiste, le suivi des plaintes a augmenté. Avant la circulaire, la victime venait et, si elle n’avait pas de certificat médical, on l’envoyait chez le médecin. Aujourd’hui, la règle d’or est: on ne renvoie pas les victimes. Cela ne veut pas dire qu’elle est appliquée à 100% mais on tend vers cet objectif. Nos policiers sont formés à faire des constats médicaux. Sans trace visible, la plainte est actée aussi. On a fait du travail de lobbying en formation pour qu’une plainte soit actée.» En outre, toutes les plaintes sont envoyées au service d’assistance policière aux victimes chargé d’évaluer les besoins spécifiques. Barbara De Naeyer souligne aussi les limites de la police: «La judiciarisation ne règle pas tout le problème des violences. Il s’agit d’un travail de longue haleine. L’accompagnement social est essentiel et cela n’est pas du ressort de la police. Le judiciaire sert à poser un cadre.» 

Des améliorations?

Pour améliorer le dispositif, il faut pouvoir l’évaluer. Or, les statistiques promises par la circulaire manquent toujours à l’appel. Celles qui existent ne sont pas genrées. Aussi, la circulaire stipule qu’elle devra faire l’objet d’une évaluation tous les deux ans par le Collège des procureurs généraux avec l’appui du Service de la politique criminelle. La dernière date de 2009. Elle a été discutée et poursuivie via un groupe de travail créé au sein du Collège des procureurs généraux et du Service de la politique criminelle. Celui-ci a observé que des améliorations pouvaient être apportées sur plusieurs points: collaboration entre les services de police/le parquet et les services d’aide et de l’orientation des victimes et des auteurs; meilleure protection des victimes en créant des instruments légaux pour éloigner l’auteur du domicile; meilleure information donnée aux victimes… Ce rapport a servi de base à un projet de révision de cette circulaire, qui prévoit notamment la possibilité d’imposer une interdiction de résidence en cas de menace grave ainsi qu’une meilleure protection des enfants. Elle devait être présentée aux secteurs de police et de justice le 23 mars dernier, mais a été annulée en raison des événements qui ont frappé Bruxelles. La date de report n’est pas encore fixée. Question de priorités sans doute. 

Aller plus loin

Fil infos Alter Échos, «Nouveau plan de lutte contre les violences faite aux femmes», Manon Legrand, 25 août 2015

Manon Legrand

Manon Legrand

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