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Regard critique · Justice sociale

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Bobos et populos s'apprivoisent à Liège

Comment définir une identité ? Comment s’intègre-t-on dans la société ? Faut-il s’adapter ou s’assimiler ? Comment appréhenderl’altérité ? Autant de questions débattues entre jeunes, certains universitaires, d’autres issus de quartiers populaires.

24-04-2009 Alter Échos n° 271

Comment définir une identité ? Comment s’intègre-t-on dans la société ? Faut-il s’adapter ou s’assimiler ? Comment appréhenderl’altérité ? Autant de questions débattues entre jeunes, certains universitaires, d’autres issus de quartiers populaires.

« On dit que les gens du sud sont toujours en retard et vous êtes en train de renforcer un cliché », observe l’animatrice. Les débats devaient commencerà 10 heures ce matin et il est presque 11 heures lorsque les derniers « retardateurs » s’installent enfin autour de la table. Une belle entrée en matière pours’interroger sur les thèmes de la journée : la citoyenneté et les stéréotypes identitaires. Nous sommes dans une salle bariolée de la Zone1,une maison de jeunes (MJ) du centre de Liège et l’on parle portugais, français et anglais ce matin. Ils ont entre 16 et 26 ans, un air je-m’en-foutiste de circonstance pour lesuns, l’uniforme « baba » ou « bobo » pour les autres, regards effrontés ou blagues de potaches au coin des lèvres, ces jeunes semblent effectivement avoir enviede renforcer les clichés. Les uns et les autres n’ont pas grand-chose en commun, de prime abord. Pourquoi donc se rassembler pour philosopher ? Il faut remonter plusieurs mois enarrière pour comprendre la démarche qui anime ce petit groupe hétéroclite.

Sous l’impulsion de Séverine Wodon, fraîchement diplômée en anthropologie, un projet de rencontre européenne a été introduit au BIJ (Bureauinternational Jeunesse). Au départ, le concept est flou : Séverine vient de rentrer d’un séjour de volontariat au Portugal où elle a travaillé dans uneassociation de quartier à Lisbonne et elle souhaite provoquer un échange avec des jeunes de sa ville. Elle va tout naturellement frapper à la porte de la MJ du Thiers àLiège2. Mais avant d’en arriver à une rencontre européenne, l’éducateur Carmelo Mammo lui suggère de rencontrer les jeunes de la MJ. Si 2000km séparent Lisbonne de la Cité ardente, c’est tout un monde de préjugés et de réticences qui sépare les universitaires des jeunes des quartierspopulaires. « Nous avons organisé des week-ends de vie de groupe », explique Carmelo Mammo. « Les deux parties étaient conscientes de leurs différences mais ily avait une envie commune de se comprendre et finalement de se respecter. L’idée était de se mettre d’accord sur des valeurs communes. Personne n’a à avoirhonte de sa propre histoire, ni à avoir peur de l’autre. »

Après cette première phase d’apprivoisement social entre Liégeois, sept jeunes portugais – la plupart animateurs dans un quartier populaire de Lisbonne –sont, à leur tour, arrivés à Liège et, pendant une semaine, tout ce petit monde s’est retrouvé pour différents projets.

Qui fait les règles du jeu ?

Aujourd’hui, la matinée est donc réservée au débat sous la houlette de Julia Petri, animatrice d’Iteco3. Elle invite les jeunes à un tournoi decartes. Ils se répartissent en tables de quatre joueurs. Les règles sont transmises à chacun sur une feuille de papier et l’animatrice impose le silence absolu. Lesgagnants d’une table rejoignent les perdants d’une autre. Le tournoi est singulier. Des joueurs sont complètement perdus, n’ont pas compris les règles… ou biensemblent jouer avec d’autres règles que celles de leurs adversaires. En fait, Julia Petri a distribué des règles différentes selon les tables de jeu. « La vieen société est semblable à ce jeu de cartes. Que faut-il faire pour gagner ? Que faut-il faire pour s’intégrer dans la société dont on ne comprend pasles règles ? On triche ? On contourne ? On se plie aux règles ? On impose ses propres règles ou on essaie de changer progressivement celles de la classe dominante ?» Les questions font mouche. « Ici, personne n’a essayé de rouler le gagnant, même s’il ne comprenait pas qu’il avait gagné. Dans lasociété, parfois, on te cache tes droits. On ne t’explique pas que tu peux t’en sortir légalement… », intervient un jeune. Sous ses airs anodins, lapartie de cartes débouche sur une méta-analyse de la vie en société, sur les lois imposées. Elle doit nourrir la réflexion sur les valeurs des «gagnants » et les principes de l’adaptation. Fascinant comme ce petit bout de femme est parvenu à imposer son rythme à ces jeunes, à les forcer àréfléchir sur les notions d’identité, de citoyenneté et des logiques de société, sans avoir l’air d’y toucher. Pour nombre de ces jeunesqui se sentent souvent « hors-jeu », la partie a eu un sacré effet miroir.

1. Maison de jeunes La Zone asbl, rue Méan, 27 à 4020 Liège – tél. : 04 341 07 27 – site : http://www.lazone.be
2. Maison de jeunes du Thier-à-Liège, bd Ernest Solvay, 302 à 4000 Liège – tél./fax : 04 227 56 40.
3. Iteco, Centre de formation pour le développement et la solidarité internationale – site : http://www.iteco.be

aurore_dhaeyer

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