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Justice

Internés sous les verrous : punis ou soignés ?

Un quart des internés croupit aujourd’hui dans le système carcéral. Nombreux sont ceux qui clament qu’ils sont les oubliés de la société. Et que les soigner relève de l’utopie.

Entre sécurité et soins, l’internement devrait poursuivre une double finalité : soigner le malade et protéger la société contre son éventuelle dangerosité. Un quart des internés croupit aujourd’hui dans le système carcéral. Nombreux sont ceux qui clament qu’ils sont les oubliés de la société. Et que les soigner relève de l’utopie.

Quand l’auteur d’une infraction est considéré comme irresponsable en raison de son état mental (handicap mental, maladie mentale), il est interné. Dans un premier temps (et quand il y a eu un mandat d’arrêt), cette personne est mise en observation dans l’annexe psychiatrique d’une prison. Puis, si l’irresponsabilité est confirmée, elle est acheminée vers un établissement de défense sociale (EDS) ou un hôpital psychiatrique (encadré). Des lieux dans lesquels elle doit recevoir des soins adaptés en vue d’une libération à l’essai ou définitive. Ça, ce sont les grands principes. Mais bien souvent, les faits invalident la théorie.

Sur les 4000 personnes internées aujourd’hui, plus de 1100 languissent dans le système carcéral. Ils représentent 10 % de la population pénitentiaire belge. La Belgique a été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises au cours des dernières années pour le sort qui leur est réservé. En janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme dénonçait encore une fois notre plat pays pour avoir violé la convention européenne des droits de l’Homme (Arrêt Claes du 13 janvier 2013). C’est la détention longue durée de personnes dans les annexes psychiatriques des prisons qui est ici pointée du doigt.

Le constat dressé par l’Observatoire international des prisons (OIP) est certes alarmant. Ces annexes sont surpeuplées. À tel point que des internés se retrouvent en cellule avec des détenus de droit commun. Les délais d’attente pour un transfert vers un EDS peuvent courir jusqu’à trois ans après que la décision d’internement a été prise par une commission de défense sociale (CDS). Car les EDS, eux, sont au complet. Or ces annexes psychiatriques ne sont pas suffisamment équipées pour recevoir et soigner des internés sur le long terme : il n’y a pas d’infirmier présent de manière continue, un psychiatre vient au mieux quelques heures par semaine. Un véritable paradoxe, relève l’OIP : la justice les déclare inaccessibles à une peine d’emprisonnement et les place dans une annexe de prison présentant quasiment le même régime que celui des condamnés.

Depuis 2007 une équipe pluridisciplinaire de soin est pourtant prévue au sein de chaque annexe, mais ces équipes ne sont plus au complet, faute de remplacement du personnel. « Les soins de base sont donnés à tous les patients. Mais les programmes thérapeutiques globaux, ce n’est pas toujours possible », reconnaît Hélène Cuvelier, coordinatrice des trajets de soins pour internés au SPF Justice.

Entre prison et hôpital : différents régimes d’internement

– Les annexes psychiatriques des prisons ont initialement été conçues comme des lieux de mise en observation préalable à la décision de la commission de défense sociale (CDS) portant sur l’irresponsabilité ou non de l’auteur d’une infraction. Dans les faits, elles sont souvent devenues des lieux d’internement provisoire, voire de longue durée, en raison du manque de places dans les établissements spécifiques.

– Les établissements de défense sociale (EDS), au nombre de trois dans la partie francophone du pays, sont un régime intermédiaire entre la prison et l’hôpital psychiatrique. Les EDS de Tournai (344 places, pour hommes) et de Mons (32 places, pour femmes) sont sous l’autorité de la Santé publique (Région wallonne) et ont les mêmes normes d’encadrement que les hôpitaux psychiatriques, tandis que l’EDS de Paifve (208 places) relève du SPF Justice.

– Les « établissements appropriés », incluant des hôpitaux psychiatriques privés subventionnés, sont en Belgique francophone essentiellement utilisés dans le cadre de libérations à l’essai.

Soigner les internés : chimère ou réalité ?

Mais la situation est-elle finalement meilleure dans les EDS ? « L’EDS de Mons date du 19e siècle et tout le monde dort dans un dortoir [NDLR ces dortoirs ont été condamnés par le Comité européen pour la prévention de la torture, CPT], à l’exception de quelques personnes, témoigne Christelle Charlot, qui y a séjourné un an en 2011-2012. On a toujours autour de soi une trentaine de personnes. On n’a aucune intimité, aucune autonomie ». Tout en ajoutant : « C’est vrai qu’on est un peu mieux en EDS, il y a une grosse équipe d’infirmiers, on a un sentiment de liberté un peu plus important, parce qu’on peut déambuler dans le pavillon. »

Les EDS font elles aussi l’objet de nombreuses plaintes. En témoigne la lettre adressée en juillet dernier au Conseil de l’Europe par une dizaine de familles d’internés de la section de défense sociale du centre de soins psychiatriques Les Marronniers, à Tournai. Ces plaintes sont en fait comparables à celles des hôpitaux psychiatriques, se défend le docteur Benjamen Delaunoit, directeur médical des Marronniers (La Libre Belgique, 16 juillet 2013).

Nul doute que la manière dont les internés sont soignés dans les établissements pénitentiaires et de défense sociale pose question. Notamment en ce qui concerne l’application de la loi de 2002 relative aux droits du patient. « On est encore très très loin de la légalité », proclame Juliette Moreau, présidente de la section belge de l’OIP. Ce que confirme Julie Delbascourt, de Psytoyens : « Dans certains établissements, les patients ne sont pas informés quant à leur traitement, on ne leur donne pas d’explication. On se pose des questions quant à la notion de consentement. » C’est aussi la systématisation de la médication qui est dénoncée, une médication qui serait différente sous les barreaux qu’en liberté.

Des accusations nuancées par Hélène Cuvelier : « Dans les établissements du SPF Justice, la loi sur le droit des patients doit être appliquée. Et les injections forcées ne sont faites qu’en cas d’extrême nécessité. Mais il est vrai que la relation entre soignant et internés est parfois compliquée et mal vécue. »

Car le médicament devient une monnaie d’échange. Si vous voulez sortir, il y a un traitement à la clef. « On met aussi très vite les personnes en chambre d’isolement ou sous contention, parfois pendant plusieurs mois, témoigne Christelle Charlot. Si elles veulent en sortir, elles doivent accepter de prendre les médicaments. »

La nécessité de la médication n’est niée par personne. Mais c’est l’accompagnement psychologique et social qui fait souvent défaut. « Ce qui fait soin pour une personne, ce n’est pas ce qui fait soin pour une autre. Il y a le projet thérapeutique, le fait de bénéficier de visites de l’extérieur, l’infrastructure, la nourriture… », explique Julie Delbascourt. Et à cet égard, il y aurait de grandes disparités entre les établissements.

L’expertise dans le collimateur

Première étape. Des experts, désignés par les juges d’instruction, doivent se prononcer sur la responsabilité ou non des personnes ayant commis un délit. Les juges feraient toujours appel aux mêmes experts, dénonce l’OIP. Et ces derniers prendraient leur décision après n’avoir vu les personnes que brièvement et à une seule reprise. « Ces psychiatres ne sont pas du tout formés à l’évaluation des personnes avec des déficiences intellectuelles », ajoute Thérèse Kampeneers (Anahm). Le principe de l’expertise contradictoire serait également très peu appliqué.

Deuxième étape. Les experts d’un EDS donnent leur appréciation portant sur la libération de l’interné. Une fonction dont l’organisation dans les EDS relevant de la Santé publique est contestée : il n’y a pas de scission entre le soin et l’expertise, d’où une confusion des rôles. Ce qui va à l’encontre des recommandations européennes en la matière. « Comme les soignants ont un rôle de sanction, comment peut-il y avoir une relation thérapeutique ? », s’interroge Christelle Charlot, qui a passé un an dans l’EDS de Mons.

« Le projet de libération est souvent négocié entre le psychiatre de la défense sociale, l’avocat et le juge. La place de la personne internée est insuffisante à notre goût, estime enfin Psytoyens. Parfois elle doit sortir de la pièce lors de la négociation. Il faut donner la parole à ces personnes. »

On y entre, mais on n’en sort pas

Sortir des établissements de défense sociale ? Moins simple qu’il n’y paraît… « Certaines personnes restent en établissement de défense sociale un nombre d’années plus important que si elles avaient purgé leur peine en prison », nous expose, dubitative, Thérèse Kampeneers, secrétaire générale de l’association nationale d’aide aux handicapés mentaux (Anahm). Ce qui s’expliquerait par leur état de « malade ». Mais surtout parce qu’il n’y a pas d’autre porte de sortie. Le manque de places d’accueil en hôpitaux psychiatriques, habitations protégées et autres types de structures est criant. « Et quand sur votre c.v., on voit que vous venez de défense sociale, cela ne facilite pas les choses », ajoute Thérèse Kampeneers. C’est sans parler de l’isolement social et de la précarité qui touchent une grosse partie de cette population.

« J’ai dû passer par une maison d’accueil pour pouvoir sortir, retrace Christelle Charlot. J’ai du réactiver mes droits sociaux, trouver un logement, répondre aux convocations de la CDS, de l’assistant de justice, aller aux rendez-vous chez le psychiatre… Cela fait beaucoup de démarches, il y a des personnes qui baissent plus vite les bras. » Un parcours du combattant, qui peut très vite prendre fin : « Au moindre faux pas, on est réintégré. »

« Car les internés, continue-t-elle, on a parfois l’impression qu’on les qualifie de plus dangereux que les prisonniers de droit commun. Même s’ils n’ont fait que des petits délits. Ils retournent très vite en EDS, plus vite qu’une personne de droit commun dans le parcours judiciaire. »

À défaut de débouchés, nombre d’internements deviennent chroniques. Le stock des internés grossit sans relâche. « Avec environ 350 nouveaux internements et une cinquantaine de libérations définitives maximum par an, il y a clairement moins de sorties que d’entrées dans le circuit », confirme Hélène Cuvelier. Qui rappelle néanmoins que les trois quarts des internés séjournent à l’extérieur, dans le cadre de libérations à l’essai. Dans une structure de soins ou encore à domicile, sous la tutelle d’une commission de défense sociale.

Quelques gouttes d’eau dans l’océan

Le tableau est sombre. Tant le système est malade. Quelques gouttes d’eau dans l’océan, cependant, laissent entrevoir des petites améliorations. Outre la construction de nouveaux établissements lancée en Flandre, à Anvers et Gand, plusieurs projets convergent vers un seul but : trouver le maximum de partenaires pour augmenter les sorties. Depuis 2001, des unités de soin spécifiques pour les « medium-risk » ont été créées en collaboration avec trois hôpitaux en Wallonie, avec pour objectif de faciliter la transition entre le carcéral et l’extérieur.

Plusieurs mesures ont été prises dans le même sens en 2012 dans le cadre du plan pluriannuel de l’autorité fédérale pour les trajets de soins du public de psychiatrie médico-légale : plusieurs études sur les profils et les besoins des internés en prison ont été lancées afin d’avoir une meilleure connaissance des besoins. Depuis deux ans, le SPF Justice et le SPF Santé publique ont engagé de part et d’autre des coordinateurs de trajets de soins pour les personnes internées. L’idée étant de favoriser les collaborations entre les deux sphères, mais aussi avec tous les secteurs concernés. En projet, également : la création d’équipes mobiles dans le ressort de chaque cour d’appel, toujours dans le but de favoriser la réintégration dans le secteur régulier.

À noter également, la signature en 2012 d’un accord de coopération entre l’AWIPH et Les Marroniers (EDS Tournai). Enfin, les internés seront à l’avenir spécifiquement intégrés à la réforme des soins de santé mentale (projets 107).

« Ce ne sont peut-être que des gouttes d’eau, conclut Hélène Cuvelier, le travail à faire est énorme, mais il y a des choses qui se font… » Quelques gouttes d’eau, c’est vrai. Mais qui ne suffiront pas à clore le débat : la place de personnes malades est-elle vraiment en prison ?

Nouvelle loi en préparation

En 2007, une nouvelle « loi relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental » devait remplacer la loi de défense sociale du 1er juillet 1964. Ayant fait l’objet d’énormément de critiques, elle a été reportée d’année en année. Parmi les enjeux de cette loi : la suppression des commissions de défense sociale (CDS) au profit des tribunaux d’application des peines (TAP). L’objectif : plus d’harmonisation dans le traitement des dossiers. « Mais ces tribunaux sont déjà débordés, s’inquiète Juliette Moureau (OIP). Et, surtout, ce ne sont plus des spécialistes qui vont prendre les décisions ». « L’enjeu pour nous, c’est réussir à ne pas évacuer tous les aspects « santé mentale » de la décision du projet de libération. Car si on suit ce mouvement, on va clairement vers plus de sécuritaire », confirme Julie Delbascourt (Psytoyens).

Plusieurs nouveaux projets de loi ont été déposés à la Chambre et au Sénat. Dont l’un de Bert Anciaux (Sp.a), qui aurait obtenu le soutien des cinq partis de la majorité. Le Centre pour l’égalité des chances (CECLR) plancherait également sur la question.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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