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Aide sociale

Alexandre Lesiw: «Redonner sens au travail social»

Alexandre Lesiw a succédé de manière intérimaire à Julien Van Geerstom à la tête du SPP Intégration sociale. Le point, avec lui, sur l’actualité de l’intégration sociale.

Alexandre Lesiw a succédé de manière intérimaire à Julien Van Geertsom à la tête du SPP Intégration sociale. Le point, avec lui, sur l’actualité de l’intégration sociale.

Alter Échos: L’accord de gouvernement prévoit de supprimer les services publics de programmation (SPP). Parmi ces derniers, le SPP Intégration sociale. Quel avenir lui est-il réservé?

Alexandre Lesiw: L’accord de gouvernement prévoit le redesign des services fédéraux. Les trois responsables de la sécurité sociale (Maggie De Block) et de l’assistance (Denis Ducarme, ministre de l’Intégration sociale, et Zuhal Demir, secrétaire d’État), ont émis le souhait de rassembler les deux administrations en un unique SPF protection sociale. Les objectifs: faire des économies d’échelle au niveau des services de support, avoir une vision transversale de la lutte contre la pauvreté, et qu’il y ait davantage de synergies entre la sécurité sociale et l’assistance, et plus de cohérence dans les différents régimes d’assistance (ex. le handicap et les CPAS). La définition de cette structure est à l’état de discussion. Un nouveau SPF devrait voir le jour en 2019.

AÉ: Cette réforme aura-t-elle des impacts en termes d’emploi?

AL: Il n’y aura pas de pertes d’emplois et les travailleurs conserveront les avantages qu’ils ont actuellement.

AÉ: La perte de droits sociaux peut en effet être liée aux changements de statuts au cours d’une vie. Répondre à cette problématique est-il une finalité de ces synergies entre sécurité sociale et assistance sociale?

AL: Aujourd’hui, le citoyen qui passe d’un régime à un autre (par exemple du chômage au CPAS) rencontre des situations parfois dramatiques, notamment parce que les catégories sont différentes d’un régime à l’autre. C’est parfois légitime, mais c’est parfois uniquement dû au fait que ces régimes ont des histoires différentes dans des administrations différentes… Il faut harmoniser les législations, tout en gardant leurs spécificités. Les conditions de base doivent rester les mêmes. À l’heure actuelle, par exemple, le calcul des capitaux mobiliers est différent dans le cadre de la Garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) et chez nous.

«Un nouveau SPF Protection sociale, rassemblant la sécurité sociale et l’assistance, devrait voir le jour en 2019.»

AÉ: Est-ce aussi la raison pour laquelle un travail sur l’harmonisation des régimes d’intégration sociale et d’aide sociale (aide financière que le CPAS octroie aux personnes qui n’ont pas droit au revenu d’intégration sociale, par exemple les étrangers qui ne répondent pas à la condition de nationalité́ pour le droit à l’intégration sociale) va être amorcé au sein du SPP?

AL: Oui, il faut harmoniser les deux régimes. L’objectif est de simplifier le travail des CPAS; ils n’ont aucune raison de devoir gérer ces deux systèmes. Les publics auront aussi les mêmes droits et les mêmes obligations. Cela va être un très gros chantier. Le dossier est prêt, il devrait être examiné par le gouvernement dans les prochaines semaines.

AÉ: Le concept de «projet individualisé d’intégration sociale» (PIIS) existe depuis les années nonante. Depuis fin 2016, il doit progressivement être étendu à l’ensemble des bénéficiaires du droit à l’intégration sociale. Qu’en est-il de la mise en œuvre de cette mesure?

AL: À la fin de l’année 2017, sur 140.000 bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS), 64.000 avaient signé un projet individualisé. Parmi eux, un tiers sont des étudiants en plein exercice et deux tiers sont des projets individualisés généraux. Tous les CPAS y participent. Comme le dispositif est obligatoire pour tous les nouveaux dossiers, les gros CPAS se sont au départ concentrés sur ces derniers. On envisage en 2019 une évaluation du dispositif afin de voir quels impacts a pu avoir cette mesure, l’objectif étant un meilleur accueil individuel des personnes.

«Sur 64.000 PIIS signés, 200 prestations de services communautaire ont été mises sur pied.»

AÉ: Le PIIS a beaucoup fait parler de lui, notamment à cause de l’introduction d’un «service communautaire», à savoir la possibilité pour les CPAS de proposer à leurs bénéficiaires d’effectuer des activités bénévoles. Si le travail communautaire est volontaire, la crainte est de le voir évoluer en une forme de travail gratuit forcé.

AL: Le service communautaire était une grosse crainte pour le secteur. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur 64.000 PIIS signés, 200 prestations de services communautaires ont été mises sur pied. Cela correspond assez bien à ce qui était anticipé. Le service communautaire est une réponse pour des personnes très désocialisées, c’est une manière de les raccrocher à un projet. Mais ce n’est pas un objectif de le généraliser. Ce serait un non-sens. Il faut toujours insister sur le mot «individualisé»: le projet doit être le plus adapté à la situation de la personne et il faut être attentif à ce que, dans un CPAS, tous les bénéficiaires ne se retrouvent pas avec le même projet.

AÉ: Y a-t-il, dans le chef de l’administration, une crainte de standardisation du travail social?

AL: Il est apparu, au cours de l’étude qui a précédé la réforme du PIIS, que, dans certains cas, le projet individualisé était une simple formalité administrative. Auparavant, ce dispositif n’était pas financé. Aujourd’hui, il l’est. Donc c’est légitime qu’il y ait un contrôle de notre part quant au caractère individualisé de ces projets. Nous proposons donc des outils en ce sens, mais leur usage n’est pas obligatoire. Par contre, si nous constatons que tous les usagers se retrouvent avec le même projet individuel, nous ne l’accepterons pas.

AÉ: Autre objet de craintes par rapport au PIIS: les sanctions financières à la clef, si le bénéficiaire ne remplit pas ses engagements.

AL: Sur les sanctions, nous n’avons pas encore de données. Mais l’ancien dispositif prévoyait déjà un régime de sanctions. Elles tournaient autour de 1% au maximum. Je ne pense pas que ces craintes se confirmeront.

AÉ: L’informatisation des données au sein du rapport social électronique (RSE) a également posé question, l’inquiétude étant que des données subjectives (liées par exemple au «comportement» d’un usager) puissent être échangées.

AL: Il est prévu que, sauf si le bénéficiaire s’y oppose, le projet individualisé soit transmis d’un CPAS à l’autre quand une personne déménage. C’est important que le nouveau CPAS ne recommence pas toute l’analyse à zéro. Seules des données qui peuvent être codifiées peuvent être partagées. Les perceptions, appréciations des assistants sociaux, nécessaires dans le cadre d’une enquête sociale, n’en font pas partie. Seules des données factuelles peuvent être transmises entre les travailleurs sociaux, qui sont tenus au secret professionnel.

«La formation des travailleurs sociaux est fortement orientée vers le monde associatif. Il faudrait réfléchir à préparer au métier d’assistant social en CPAS, qui comprend un volet contrôle et un volet accompagnement.»

AÉ: Il n’y a donc pas de risque d’une augmentation du contrôle des usagers dans ce cadre?

AL: Nous avons beaucoup investi dans le flux d’informations à disposition des CPAS. Les CPAS sont les principaux utilisateurs de la Banque Carrefour. Cela a d’ailleurs permis de démontrer que la fraude sociale est limitée à 4% dans les dossiers des CPAS! L’informatisation permet d’alléger le travail administratif des travailleurs sociaux, mais aussi d’automatiser l’octroi de certains droits qui auparavant dépendaient d’attestations que les usagers devaient demander aux CPAS (ex. les allocations sociales majorées). Pour le tarif social énergie, cela a permis de faire passer de 300.000 à 400.000 le nombre de ménages bénéficiaires en un an.

AÉ: L’automatisation des droits est une manière de répondre à la problématique du non-recours. Est-elle suffisante?

AL: Il y a plusieurs types de situations: une personne qui ignore ses droits, une personne qui connaît ses droits mais qui est à ce point désocialisée qu’elle les croit inaccessibles, une personne qui entame les démarches mais qui se retrouve découragée par leur lourdeur. Il faut des réponses à chaque situation. Nous effectuons un travail d’information vers les usagers, notamment par le biais de brochures. On essaye aussi d’inciter les CPAS d’utiliser les médias sociaux. Il faut simplifier les procédures pour les usagers et continuer le travail d’automatisation pour tous les droits dérivés (l’octroi du RIS doit continuer à reposer sur un travail individualisé). Les experts du vécu engagés dans certaines administrations, des personnes elles-mêmes issues de situations d’exclusion, peuvent aussi intervenir quand certaines personnes rencontrent des difficultés dans leurs démarches. Enfin, nous réfléchissons, en croisant les bases de données, à identifier des publics particuliers vers lesquels nous pourrions mettre sur pied des campagnes d’information ciblées. On sait par exemple que les personnes en situation illégale n’ont pas forcément accès à l’aide médicale urgente parce qu’elles n’osent pas faire appel aux CPAS. Il faut les rassurer.

AÉ: Il y a eu beaucoup de débats sur le secret professionnel des assistants sociaux, qui semble avoir été mis à mal, notamment à la suite des attentats terroristes. Les assistants sociaux sont-ils devenus des détecteurs de signes de radicalisation chez leurs bénéficiaires?

AL: Le secret professionnel est la base de la relation de confiance entre un usager et un travailleur social. Mais il n’a jamais été un droit absolu. Avec la réforme du gouvernement sur les situations de terrorisme, deux situations sont visées: quand il y a une instruction judiciaire, le travailleur social est délié de son obligation de secret professionnel. La jurisprudence considérait déjà auparavant qu’il y avait une limite en ce sens. Deuxième cas, l’information proactive du travailleur social s’il se trouve confronté à des indices de risque d’actes terroristes. C’était aussi déjà le cas: quand il y a danger pour la vie d’une personne, le travailleur n’est plus tenu au secret professionnel. Évidemment il y a une crainte qu’on ne s’arrête pas là et que le secret professionnel puisse à l’avenir être levé pour d’autres raisons. Mais, avec cette réforme, on ne va pas plus loin que par le passé, si ce n’est qu’aujourd’hui on écrit les choses noir sur blanc. Il faut se rendre compte qu’un travailleur social confronté à ce type de situations, ce n’est pas quelque chose de léger. Nous encourageons donc les travailleurs des CPAS à se référer à leur hiérarchie, la décision revenant finalement au CPAS.

«L’augmentation du nombre de bénéficiaires provient des mesures limitatives en matière d’allocations de chômage, des effets de la crise économique et de la «crise» de l’asile. Mais il faut être de bon compte. Une série de moyens ont été affectés aux CPAS pour compenser cette augmentation.»

AÉ: Informatisation, complexification des situations… Le métier d’assistant social a fortement évolué ces dernières années…

AL: Effectivement, j’ai rencontré un travailleur social qui a commencé à travailler en 1976. À cette époque, une enquête sociale, c’était une demi-page de notes manuscrites… La charge de travail a fortement augmenté et nous sommes confrontés à de nouveaux publics. Les situations se sont complexifiées au fil du temps, avec pour conséquence une diversification des services (service logement, surendettement, énergie, jeunesse…) et un cloisonnement, une spécialisation du métier. D’où un certain malaise. Un travail doit être fait aujourd’hui pour redonner sens au travail social, afin de repartir d’une vision globale de l’usager. Autre enjeu: la formation en école supérieure. Elle est actuellement fortement orientée vers le monde associatif. Il faudrait réfléchir à préparer au métier d’assistant social en CPAS, qui comprend un volet contrôle et un volet accompagnement.

AÉ: La charge de travail a augmenté et certains CPAS semblent étranglés financièrement. Comment améliorer cette situation?

AL: L’augmentation du nombre de bénéficiaires provient des mesures limitatives en matière d’allocations de chômage, des effets de la crise économique (qui se manifestent de manière différée sur les CPAS) et de la «crise» de l’asile. Mais il faut être de bon compte. Une série de moyens ont été affectés aux CPAS pour compenser cette augmentation. En 2014, il y a eu une majoration de 5% du taux de remboursement du revenu d’intégration. Depuis 2016, la compensation des mesures de restriction des allocations de chômage (+150 euros par dossier pour des frais de personnel) est devenue structurelle. Pour la mise en œuvre du PIIS, les subsides pour chaque dossier ont été augmentés de 10%. Enfin, en 2016 et 2017, des subsides exceptionnels ont été accordés pour tous les dossiers de réfugiés reconnus ou sous statut de protection subsidiaire. Une autre manière de travailler consiste à réduire la charge de travail des CPAS notamment via la simplification administrative.

En savoir plus

Alter Échos n° 455, «Un nouveau plan d’action sociale plus «thérapeutique», moins convivial», Martine Vandemeulebroucke , 27 novembre 2017

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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