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Regard critique · Justice sociale

Culture

À Molenbeek, culture rime avec travail social

La commune, désormais connue du monde entier, concentre un grand nombre d’artistes et d’acteurs culturels sur son territoire. Plus qu’ailleurs, ces derniers font appel au tissu associatif local pour décloisonner leur public et s’intégrer. Les événements des mois derniers n’ont fait que renforcer les liens.

La commune, désormais connue du monde entier, concentre un grand nombre d’artistes et d’acteurs culturels sur son territoire. Plus qu’ailleurs, ces derniers font appel au tissu associatif local pour décloisonner leur public et s’intégrer. Les événements des mois derniers n’ont fait que renforcer les liens.

Article publié dans Alter Échos, n°424-425, 13 juin 2016.

Le long du canal, les visages d’une centaine de Molenbeekois s’affichent la bouche grimaçante ou le sourire aux lèvres. Ces portraits réalisés par les jeunes de la Maison des Cultures et de la Cohésion sociale représentent toutes les origines. À l’image du public de l’institution communale composé d’enfants, d’adolescents et d’adultes, des Bruxellois et des habitants de la commune. Le lieu fête ses dix ans ce printemps et peut s’estimer fier d’avoir réussi à mixer les populations. Quand elles ont commencé à fréquenter l’atelier ciné-photo de la Maison des Cultures, le père des jumelles Asmae et Housna, 17 ans, n’était pas très enthousiaste. «Il disait que ça allait nous mener à rien. On lui a présenté l’endroit. Il se méfiait, mais quand il l’a découvert, il était impressionné et très fier lorsque le Roi est venu nous rencontrer.»

«90% du public utilisateur de LaVallée vient de l’extérieur, constate Pierre Pevée, responsable du lieu

Cette intégration dans le quartier ne se fait pas sans effort. La Maison a tissé des liens avec l’associatif. «L’idée est de créer une variété dans la programmation de sorte que les gens viennent ici pour des tas de raisons, et pas forcément pour la culture, explique Eve Deroover, responsable communication. En amenant leur enfant à un atelier, les parents tombent nez à nez avec une exposition d’art contemporain. Notre projet est de croiser le public et les artistes en mélangeant dans nos productions, les amateurs et les professionnels.»

Ainsi, les Bruxellois traversent le canal pour assister à des spectacles ou à des expositions et se mêlent aux habitants du quartier.

Nouveaux venus en quête de partenariats

De nombreux autres lieux culturels installés dans la commune cherchent à copier ce modèle. Pierre Pevée est le responsable de l’espace LaVallée pour SMart dans une ancienne blanchisserie, à côté du métro Ribaucourt. Presque une centaine d’artistes logent dans le bâtiment et ont leur atelier dans ces locaux. Le rez-de-chaussée dispose d’un espace commun pour organiser des expositions et des événements. Arrivés il y a un an, les résidents peinent à séduire les Molenbeekois. «90% du public utilisateur de LaVallée vient de l’extérieur, constate Pierre Pevée. Lors de notre ouverture, on avait donné des stands à des associations de quartier qui distribuaient du thé à la menthe, de la nourriture du Maghreb… Ça avait fonctionné moyennement. Sur 200 personnes, 30 habitaient dans le quartier. Il faut du temps pour que la confiance respective s’établisse.»

Le MIMA, Millennium Iconoclast Museum of Art, a conclu un partenariat avec le…Brussels Boxing Academy, un club de boxe du centre-ville de Bruxelles

Conscient que le contact avec la population des rues voisines est nécessaire, le responsable a décidé d’accueillir dans son bâtiment une asbl sociale, Forest Nouvelle Génération. Cette dernière souhaite répondre à une demande à Molenbeek. «En échange de son aménagement, cette association d’aide aux devoirs et de cours d’arabe va organiser des événements susceptibles d’amener les Molenbeekois à fréquenter LaVallée.»

Juste à côté, dans les anciennes brasseries Belle-Vue, un musée a ouvert ses portes ce printemps. Le MIMA, Millennium Iconoclast Museum of Art, se revendique comme un musée ouvert, populaire en faveur de la culture street art et des réseaux sociaux. Un partenariat s’est conclu avec le Brussels Boxing Academy, un club de boxe du centre-ville de Bruxelles, très fréquenté par des jeunes de Molenbeek. «Je suis moi-même inscrit à ce club, explique Raphaël Cruyt. On s’est dit que si on voulait toucher les jeunes, le sport était le moyen le plus direct. J’en ai discuté avec le manager et on a eu l’idée de faire vivre les talents locaux sportifs et créatifs. On essaye de construire un projet sur le long terme avec eux. Pour l’instant, on envisage la réalisation de clips et de films.» L’objectif à long terme est de les attirer en dehors du cadre strict de l’école. «On espère qu’une démarche créative les amènera jusqu’au musée. C’est participatif et volontaire.»

Un mélange entre professionnels et amateurs

Quelques rues plus loin, la salle de concert VK propose une musique alternative et pointue. Cependant, leurs activités ne se limitent pas à la soixantaine de spectacles par an. Le VK fait partie de la Vlaamse Gemeenschapscommissie, l’organe politique des Flamands de Bruxelles, et sa mission sociale se veut équivalente à celles des centres culturels francophones. De Vaartkapoen propose donc depuis un an, chaque semaine, le Café Quartier XXL. Le centre culturel profite de l’espace pour organiser des cours d’alphabétisation, d’arabe et du théâtre participatif. «C’est une rencontre entre les différents publics cibles, précise Lea David. Le Café Quartier tient une scène ouverte pour la découverte des jeunes talents. Ce tremplin débouche parfois sur des représentations dans la grande salle. Cette mission a commencé il y a un an. Il faudrait plus de temps pour constater les effets.»

La salle de concert, qui vient de fêter ses 27 ans, avait prévu un projet plus global pour 2019 avec une rénovation, l’installation d’un jardin communautaire et un laboratoire artistique au cœur du site. Problème: le VK risque une coupe de ses subsides par la Communauté flamande et pourrait fermer ses portes en 2017. Plus de 3.000 personnes ont signé la pétition qui circule sur les réseaux sociaux pour sauver la salle.

Autre exemple d’intégration, celle d’un acteur musical reconnu de la scène bruxelloise, les studios Skinfama, producteurs d’artistes comme Sniper, Keny Arkana, Alborosie ou Pitcho. «Quatre ans que nous sommes rue Ransfort, confie le manager Lino Grumiro. Petit à petit, on a fait en sorte de bosser avec les associations de quartier dans le cadre de Molenbeek 2014, métropole culture. On a donné des ateliers de rap avec des ados et ils ont fait un concert.» Lors de la Zinneke 2016, Skinfama a formé la zinnode Nola-Olon avec des jeunes et artistes urbains.

Parfois, les créations artistiques de haut niveau participent au décloisonnement. Ultima Vez, la compagnie de danse du chorégraphe, metteur en scène et cinéaste Wim Vandekeybus a centralisé ses activités rue des Étangs noirs en 2012.

Plus qu’ailleurs, en arrivant dans la commune, les artistes doivent garder l’esprit ouvert. Georges Lini est l’ancien directeur artistique du théâtre ZUT ouvert de 2004 à 2008 dans la même rue. L’équipe des comédiens et metteurs en scène n’arrivait pas à attirer les habitants du quartier dans les spectacles de théâtre contemporain. «La qualité de vie était agréable, le contact avec les habitants très bon. Mon seul regret, c’est qu’il y ait eu une grande différence entre ce que le théâtre proposait et l’accès des jeunes à la culture. Pourtant, nous les incitions à venir voir des pièces, c’était gratuit pour eux. Ça ne collait juste pas aux habitudes des gens de la rue Ransfort. Un choc des cultures. Je considère que c’est aussi intéressant de les amener vers autre chose et de ne pas faire tout le temps du communautaire comme c’est le cas de l’Espace Magh par exemple. Pour que notre projet prenne tout son sens dans le quartier, il aurait fallu une cellule de médiation qui monte des ateliers pour que les jeunes s’initient au théâtre contemporain. Nous aurions été un peu moins des ovnis. Cependant, nous n’avions ni le temps ni les moyens de le faire.»

Parfois, les créations artistiques de haut niveau participent au décloisonnement. Ultima Vez, la compagnie de danse du chorégraphe, metteur en scène et cinéaste Wim Vandekeybus a centralisé ses activités rue des Étangs noirs en 2012. Cette année, le chorégraphe Seppe Baeyens confronte des jeunes et des vieux, des hommes et femmes de Molenbeek dans sa création Tornar. Il a sélectionné son groupe de danseurs après des workshops et des réunions dans les studios d’Ultima Vez.

L’électrochoc des attentats

Les attentats du 13 novembre à Paris et les perquisitions qui ont suivi semblent avoir boosté ces partenariats. «La population de ces quartiers doit faire face à un plus grand problème de stigmatisation, constate Wim Embrecht, fondateur de l’asbl Art2Work. Il y a une interrogation de la part des acteurs socioculturels: comment on a pu laisser passer ça?»

Après la stupéfaction, une dynamique s’est mise en place. La Fédération Wallonie-Bruxelles et la Maison des Cultures et de la Cohésion sociale ont pris l’initiative d’organiser des rencontres entre les acteurs culturels, le milieu associatif, la bourgmestre et les fonctionnaires de la commune. Parmi les invités, Pierre Pevée, de l’espace LaVallée: «L’objectif était de discuter de nos sentiments, de nos impressions et de notre ressenti par rapport à la situation à Molenbeek. On a tous partagé nos constats sur le terrain.» Une preuve que les échanges entre milieux culturels et sociaux sont loin d’être brisés en période de doutes et de difficultés.

Alter Echos, «Radio Maritime, une peinture collective du quartier Maritime à Molenbeek», Manon Legrand, novembre 2015

 

Flavie Gauthier

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