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Regard critique · Justice sociale

Panpan Culture

À la folie

#179 À la folie/Waanzin. En septembre et octobre, la folie sera au cœur d’un cycle cinématographique programmé par le Cinéma Nova à Bruxelles.

Le documentaire Les heures heureuses explore, sur la base des archives de l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole, la naissance de la psychothérapie institutionnelle et revient sur l’invention des clubs thérapeutiques. Projection liée à l’exposition «Danser brut» à Bozar du 24.09.2020 au 10.01.2021.

Cette vaste proposition de films – documentaires, fictions ou expérimentaux –, d’expositions et de spectacles vivants, émaillée de rencontres avec des réalisateurs, des professionnels de la santé et des patients afin d’interroger les frontières, se frotter à l’altérité ou encore découvrir les pratiques alternatives de soin d’hier et d’aujourd’hui. Une mise en perspective essentielle à l’heure où l’enfermement, l’isolement ou encore la réduction des libertés – pour se protéger soi et les autres – hantent tant le champ de la psychiatrie que nos quotidiens. Rencontre avec Mathilde Kempf, l’une des programmatrices du cycle.

Alter Échos: À l’époque du tout au sécuritaire et au sanitaire, cette programmation sur la folie semble tomber à pic. Comment est née l’idée d’explorer cette thématique?

Mathilde Kempf: L’idée remonte en fait à 2019. Nous avions projeté le film Mémoire filmique de Saint-Alban (document composé exclusivement d’archives filmiques que l’hôpital de Saint-Alban confia en 2013 à l’Institut Jean Vigo de Perpignan, NDLR). Cette soirée a été l’occasion de débats très riches sur la psychiatrie, l’isolement, la différence. Elle a révélé un manque de lieux de débats ouverts sur ces sujets. Cette thématique avait déjà été explorée en 2004 par le Nova (Cinémasile). Seize ans plus tard, nous avons eu envie de voir ce qui existait comme approches cinématographiques et artistiques, mais aussi où on en était sur ces enjeux. Bien sûr, l’actualité est venue résonner avec tout ça. Ces questions d’isolement, de contrôle des comportements pour la protection de soi et des autres existent dans la psychiatrie; donc il y a des parallèles très forts à faire. Cette programmation est aussi une réponse au confinement: nous avons voulu la maintenir et conserver son axe «rencontres».

AÉ: Quelles évolutions avez-vous perçues entre 2004 et aujourd’hui?

MK: Dans le groupe de travail responsable de la programmation, il y a plusieurs personnes qui travaillent dans des institutions psychiatriques. Elles se montrent inquiètes quant à la tournure que les choses prennent: la baisse des moyens, la part de plus en plus forte de l’isolement, de la médication et des sciences médicales dures au détriment de la dimension sociale.

AÉ: Et en termes cinématographiques?

MK: En 2004, la programmation était très didactique. Elle expliquait les différents mouvements en psychiatrie, comme celui de la psychothérapie institutionnelle. La «folie», personne ne sait vraiment ce que c’est. Elle est liée à ce qui se passe dans une époque, dans une société, dans une culture. Nous avons élaboré cette programmation dans la continuité de celle de 2004, en partant sur l’idée du témoignage, du portrait, afin d’interroger les personnes confrontées à la «folie», que ce soit des personnes qui délirent ou des proches. Et d’interroger la limite entre folie et normalité: est-ce que cette frontière existe vraiment? À travers la sélection de films, on trouve plein d’éléments de réponse concernant cette limite, qui en fait n’est pas si nette que ça. Nous avons exploré cette thématique tant à travers des choses récentes très peu montrées, voire qui ne sont pas encore sorties, que par le biais d’archives tout juste découvertes, notamment issues d’institutions qui ont voulu réinventer la psychiatrie et transformer la relation soignants/soignés.

«Beaucoup se montrent inquiets quant à la tournure que les choses prennent: la baisse des moyens, la part de plus en plus forte de l’isolement, de la médication et des sciences médicales dures au détriment de la dimension sociale.»

AÉ: Quelle est selon vous la spécificité du médium caméra pour évoquer la folie?

MK: La caméra peut se révéler un outil d’introspection, de l’ordre du journal intime, assez intéressant. Dans Five Year Diary, Charlotte Robertson s’est filmée et raconte ses délires, ses questionnements. La caméra est un outil qui l’a aidée à s’approprier ses désordres intérieurs et à sortir de son univers personnel. La place de la caméra sera aussi au centre d’un débat élaboré en partenariat avec l’asbl Psymages, qui organise chaque année les Rencontres Images mentales. Avec le film The Man Whose Mind Exploded, Toby Amies fait le portrait d’un personnage excentrique, Drako Zarharzar, qui a un peu perdu la mémoire – il dit être mort sept fois. C’est son appartement qui devient sa mémoire et la caméra filme cette vie intérieure. La question, qui fera partie de la rencontre, est celle du caractère intrusif – ou non – de la caméra. Autre exemple avec Camérer, qui explore la place de l’image dans l’œuvre de Fernand Deligny: dans l’hôpital de Saint-Alban, c’est une «caméra Paluche» qui est utilisée, autrement dit une caméra dans un gant afin de filmer sans que l’objet ait un impact sur les comportements.

«Dans les années soixante et septante, un mécénat du laboratoire pharmaceutique Sandoz a été mis en place pour financer des films sur la psychiatrie et la folie à destination des professionnels. Des films incroyables, d’une qualité étonnante qui n’ont jamais été montrés au grand public.»

AÉ: Vous présentez également des films issus de la cinémathèque du laboratoire pharmaceutique Sandoz. Le résultat d’un étonnant mécénat…

MK: Sandoz, c’est un laboratoire pharmaceutique qui fabrique de la chimie lourde. Ils ne sont pas vraiment dans la psychiatrie alternative… Et pourtant dans les années soixante et septante, ce mécénat a été mis en place pour financer des films sur la psychiatrie et la folie à destination des professionnels. Des films qui n’ont pas du tout été conçus dans une optique commerciale, mais au contraire avec une recherche très libre, portés par des cinéastes engagés et avec un réel propos artistique. Ce sont des films incroyables, d’une qualité étonnante qui n’ont jamais été montrés au grand public. Un témoin de cette époque sera aussi présent: Gérard Leblanc, à l’époque rédacteur en chef de la revue Médecine et cinéma financée par la cinémathèque Sandoz et cofondateur de la revue Cinéthique, viendra partager cette expérience.

AÉ: La programmation est ambitieuse en ces temps de pandémie. Quel a été l’impact du Covid-19 sur le Cinéma Nova?

MK: Il y a 23 ans, le Cinéma Nova était créé sur la base de cette notion d’urgence face à l’uniformisation culturelle. Cet été, nous avons mis en place, également dans l’urgence, une programmation assez rapide, impulsive et basée sur des partenariats. Les projections ont principalement eu lieu dans des lieux ouverts, mais pas uniquement. Cela a clairement rencontré un public. Ici, c’est une programmation plus lourde, qui crée en interne une émulation: nous avons envie d’être là, de créer des occasions de rencontres et de montrer des choses différentes.

Programme complet à découvrir sur www.nova-cinema.org/

 

 

 

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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