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Mobilité

Voiture de société contre aide au logement: l’idée fait son chemin à Bruxelles

La Région bruxelloise voudrait encourager les employés à résider près de leur lieu de travail en leur proposant une aide au logement à la place d’une voiture de société. Une proposition applaudie des deux mains à Bruxelles mais qui pourrait ne pas voir le jour de sitôt. La matière dépend du fédéral qui semble avoir d’autres priorités.

© Flickrcc Miwok

La Région bruxelloise voudrait encourager les employés à résider près de leur lieu de travail en leur proposant une aide au logement à la place d’une voiture de société. Une proposition applaudie des deux mains à Bruxelles mais qui pourrait ne pas voir le jour de sitôt. La matière dépend du fédéral qui semble avoir d’autres priorités.

C’est la fin d’un dogme. Le signe en tout cas que le modèle s’effrite même si le «tout à la voiture» a encore de beaux jours devant lui en Belgique. Preuve en est le régime des voitures de société et les difficultés à le modifier. D’après l’OCDE, 25% du parc automobile belge serait composé de voitures de société, soit plus d’un million de véhicules.

«C’est le bon moment pour pouvoir réorienter un certain nombre de politiques.», Benoît Cerexhe, chef de groupe cdH au parlement bruxellois.

La première saillie dans ce modèle, c’est à Didier Reynders qu’on la doit. Lors du contrôle budgétaire de l’automne 2016, il propose de remplacer les voitures de société par une augmentation salariale. Depuis lors, pas grand-chose ne filtre des discussions en cours. Le gouvernement fédéral travaille à un dispositif qui permettrait au travailleur d’empocher 450 euros net par mois en lieu et place d’une voiture de société.

À Bruxelles, on souhaite aller plus loin. «La voiture de société bénéficie encore d’un statut privilégié mais on assiste aujourd’hui à une évolution des mentalités et des comportements, indique Benoît Cerexhe, chef de groupe cdH au parlement bruxellois. C’est le bon moment pour pouvoir réorienter un certain nombre de politiques.»

Le problème n°1 à Bruxelles

Chaque jour, des centaines de milliers de voitures, dont une bonne partie de véhicules de société, viennent gonfler les files dans la capitale. Toujours plus de véhicules et de navetteurs qui fuient la ville et ses loyers élevés le soir venu pour y revenir le lendemain. Bruxelles au sens large est le premier bassin d’emplois du pays avec ses 700.000 emplois dont 50% sont occupés par des Bruxellois et 50% par des navetteurs.

Fort de ces constats, le parlement bruxellois a adopté en janvier 2016 une proposition de résolution en commission des Finances. Son objectif? Encourager les employeurs à intervenir dans le loyer ou le remboursement d’un crédit hypothécaire de leurs employés à hauteur de ce qu’ils font déjà aujourd’hui avec les voitures de société. «L’idée est que le travailleur puisse renoncer à un avantage en nature tel qu’une voiture de société et le remplacer par une aide au logement si celui-ci est situé à proximité de son lieu de travail», explique Benoît Cerexhe, l’un des auteurs de cette proposition. «Les navetteurs pourront s’ils le souhaitent garder leur voiture de société. Mais ils pourraient aussi choisir de s’installer à Bruxelles, bénéficier d’une aide au logement et éviter de perdre une heure trente dans les files chaque matin», ajoute le député cdH.

«Elle permettrait d’apporter des réponses intéressantes à deux problèmes majeurs: celui de la mobilité avec les graves problèmes de congestion (…) et celui des loyers trop élevés qui chassent de la capitale les travailleurs (…)», Ischa Lambrecht, BECI.

L’idée n’est pas neuve. Bernard Clerfayt (Défi) l’avait déjà émise en 2009 alors qu’il est secrétaire d’État adjoint au ministre des Finances. Mais à l’époque, la proposition en reste là. L’idée refait surface en 2014 lorsque BECI, la Chambre de commerce et l’Union des entreprises de Bruxelles, en fait une de ses mesures phares dans son plan pour une meilleure mobilité à Bruxelles. «Elle permettrait d’apporter des réponses intéressantes à deux problèmes majeurs: celui de la mobilité avec les graves problèmes de congestion que nous connaissons tous les jours et celui des loyers trop élevés qui chassent de la capitale les travailleurs et les jeunes ménages», souligne Ischa Lambrecht, conseiller mobilité chez BECI. Une mesure intéressante mais qui ne résoudra pas à elle seule les problèmes de mobilité à Bruxelles. «Ce n’est pas ‘la’ solution miracle mais cet élément combiné avec d’autres permettra d’améliorer la situation. Il faut agir sur tous les leviers, y compris celui-là, parce qu’il y a urgence», précise-t-il.

Un chiffre résume à lui seul l’enjeu. Selon BECI, les bouchons à Bruxelles feraient perdre chaque année plus de 511 millions d’euros aux employeurs bruxellois. «La problématique de la mobilité à Bruxelles s’est encore aggravée ces dernières années, indique Ischa Lambrecht. Les enquêtes que nous menons montrent que les problèmes de mobilité sont une des causes les plus importantes qui poussent les entreprises à quitter Bruxelles. Et si c’est le problème n°1 pour les entreprises bruxelloises, c’est le problème n°1 pour BECI», explique-t-il.

Par-delà les clivages

La mesure doit encore être adoptée en séance plénière du parlement bruxellois. Mais cette proposition de résolution est déjà signée par l’ensemble des partis de la majorité régionale PS-cdH-DéFI-sp.a-CD&V-Open Vld. «C’est véritablement une mesure de bon sens, insiste Benoît Cerexhe. Outre l’aspect mobilité, elle permet de limiter le stress, d’améliorer la qualité de vie et elle est bonne pour l’environnement et pour l’économie.» Pour le député bruxellois, cette mesure aura des conséquences positives pour l’employé et l’employeur et encouragera les jeunes ménages à rester à Bruxelles où l’immobilier est plus cher qu’ailleurs.

L’opposition bruxelloise applaudit elle aussi des deux mains. «Ça va dans le bon sens», réagit Boris Dilliès, député MR au parlement bruxellois en charge des questions de mobilité. «La logique du choix laissé au travailleur est intéressante. Chacun pourra choisir le régime qui lui convient le mieux et s’adapter en fonction de sa situation familiale ou géographique», estime le député bruxellois.

«Il s’agit d’un problème de mobilité dont la solution passe en partie par la fiscalité», Ischa Lambrechts, BECI.

Pour Boris Dilliès, la mobilité à Bruxelles est à ce point préoccupante que la question mérite d’être abordée au-delà des considérations partisanes. «Il faut pouvoir trouver la meilleure formule qui permette au et aux Régions d’apporter des réponses concrètes aux problèmes de mobilité. Dans ce sens, c’est bien que la Région bruxelloise pousse le fédéral à se pencher sur cette question», conclut-il.

Si l’idée séduit dans la capitale, la Région bruxelloise n’a pourtant pas la main dans ce dossier. La matière étant fédérale, l’exécutif bruxellois ne peut qu’inciter le gouvernement fédéral à revoir le régime des avantages en nature auquel un salarié a droit de manière qu’on puisse un jour, à Bruxelles ou ailleurs, renoncer à sa voiture de société et bénéficier en contrepartie d’une aide au logement.

Au gouvernement fédéral, la question des avantages en nature dépend moins du ministre de la Mobilité, François Bellot (MR), que du ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA). «Il s’agit d’un problème de mobilité dont la solution passe en partie par la fiscalité», indique Ischa Lambrechts de BECI. Pour cela, il faut revoir ce qu’on appelle le plan «cafétaria» qui permet à l’employeur d’accorder des avantages à l’employé notamment en matière de mobilité du type une intervention dans les transports en commun, la mise à disposition d’un vélo ou l’obtention d’une voiture de société. «Cette matière dépend du ministre des Finances même si elle est financée par le budget ‘mobilité’», précise-t-il.

Comité de concertation

Contacté, le cabinet de Johan Van Overtveldt se montre prudent vis-à-vis de la proposition bruxelloise. Tout au plus, la porte-parole du ministre, Caroline Dujacquier, clarifie les rôles des uns et des autres. «La réduction d’impôt pour habitation propre est une compétence qui relève des Régions mais l’avantage en nature pour une voiture de société relève du fédéral. Le ministre bruxellois ne peut donc décider seul, sans le gouvernement fédéral, d’opérer cet échange.» En clair, il va falloir se mettre autour de la table avec le fédéral.

Pour que cette proposition ait une chance de voir le jour, la Région bruxelloise doit inscrire ce point à l’ordre du jour du comité de concertation, instance où le gouvernement fédéral et les gouvernements des Communautés et Régions discutent des points qui nécessitent une collaboration entre les différents niveaux de pouvoir. Et là, c’est pas gagné. En cause notamment des majorités politiques «asymétriques» entre les Régions et le fédéral mais aussi et surtout plusieurs dossiers qui empoisonnent déjà les discussions au sein de cette instance à commencer par celui du survol de Bruxelles ou de Vivaqua.

Peu importe, au parlement bruxellois, on veut y croire. «C’est un dossier très différent par rapport au survol de Bruxelles par exemple, explique Benoît Cerexhe. Si vous modifiez les routes aériennes, vous continuez à envoyer un avion chez quelqu’un. Ici, c’est autre chose. Notre proposition, c’est du gagnant-gagnant, le travailleur a le choix: il peut soit garder sa voiture de société, soit opter pour l’avantage mobilité.» Même son de cloche du côté de l’opposition bruxelloise: Boris Dilliès se dit lui aussi optimiste.

François Bellot annonce une série de mesures «dans les meilleurs délais». Sauf que, d’après les premiers éléments, la proposition bruxelloise ne figurerait pas parmi les points discutés.

Mais pour Ischa Lambrecht, «il faudra probablement attendre la formation du prochain gouvernement en 2019 avant que cette mesure ne soit mise en place car elle ne figure pas dans l’accord de majorité du gouvernement fédéral». Résultat: cette proposition que tout le monde appelle de ses vœux à Bruxelles pourrait bien être mise au frigo jusqu’aux prochaines élections, faute d’accord entre le fédéral et les Régions. «Pourtant, le défi dépasse largement le cadre bruxellois, regrette le conseiller de BECI. Les responsables politiques doivent comprendre que les problèmes de congestion à Bruxelles, ce n’est pas uniquement un problème pour les Bruxellois. Ils concernent l’ensemble du pays et il y a urgence à agir.»

Loin des préoccupations bruxelloises, le ministre fédéral de la Mobilité, François Bellot, avance avec son collègue des Finances sur la question des avantages en nature et du budget «mobilité». Il annonce une série de mesures «dans les meilleurs délais». Sauf que, d’après les premiers éléments, la proposition bruxelloise ne figurerait pas parmi les points discutés. Trop tard pour les Bruxellois? Peut-être pas, mais il est temps d’entamer les discussions avec le fédéral s’ils ne veulent pas «louper le coche». Sans quoi, cette mesure largement soutenue pourrait bien être reportée une nouvelle fois aux calendes grecques.

Une hausse en perspective sur les loyers à Bruxelles?
La proposition de résolution du parlement bruxellois inquiète certains observateurs. Si cette mesure devait voir le jour, ne risque-t-elle pas d’entraîner une nouvelle hausse des loyers dans la capitale? Benoit Cerexhe ne le pense pas. «Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Les bailleurs ne sont pas censés savoir que leurs locataires bénéficient de ce type d’aide et être tentés d’augmenter les prix en conséquence. Mais de toute façon, la proposition de résolution prévoit qu’une étude soit menée pour s’en assurer. Pour éviter tout risque, on a décidé d’analyser et de monitorer», insiste le député bruxellois. Du côté des acteurs du logement à Bruxelles, on précise qu’il est trop tôt pour évaluer l’impact de ce type de mesure. Mais, en coulisses, certains déplorent tout de même qu’elle ne bénéficie à terme qu’à une part limitée de la population, à savoir les «personnes actives». Quid des autres, ceux qui n’ont pas d’emploi? «Ce sont eux pourtant qui ont le plus besoin d’une aide au logement», glisse un observateur attentif qui préfère garder l’anonymat.

 

 

 

«Mobilité partagée: une alternative tout public?», Alter Echos, Julie Luong, 31 décembre 2016

Francois Corbiau

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