Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Social Décalé

Une idée qui a du chien

Personnes à mobilité réduite, seniors en maison de repos, patients épileptiques et diabétiques mais aussi victimes accueillies par la police: les chiens d’assistance viennent en aide à de plus en plus de publics. Le meilleur ami de l’homme n’est pas qu’un mangeur de croquettes et un compagnon câlin… Il peut aussi lui sauver la vie.

(c) Julo, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Le ton est doux et encourageant, comme celui qu’on emploierait avec un jeune enfant. «Pongo, ferme la porte… Prends la gamelle… Donne… Ferme la porte… Bravooo!» Le jeune Golden Retriever fixe patiemment Claire, sa «maman d’accueil», verser quelques croquettes dans sa gamelle avant de lui intimer un «Pas toucher». Il se maîtrise. À «C’est fini», le chien se jette dessus avec gourmandise. Pour Pongo, futur chien d’assistance, une journée de formation – oubliez ici le mot «dressage», qu’on préfère laisser au monde du cirque – ressemble parfois à un buffet de croquettes, mais à volonté seulement lorsqu’on a bien travaillé.

Campée en bordure de l’Ourthe, à Tilff, l’asbl Os’mose est l’une des 10 associations qui forment des chiens d’assistance en Belgique. Ce matin, Pongo et Quoda s’entraînent dans la reproduction grandeur nature d’un appartement pour personne à mobilité réduite. Ils sont accompagnés de Claire et Fanny, leurs mamans d’accueil respectives, qui les hébergent et s’en occupent bénévolement le temps de leur formation, soit environ 18 mois. Les tâches s’enchaînent comme un programme de gymnastique canine: les chiens apprennent à appuyer sur un interrupteur, appeler un ascenseur, ouvrir des portes, ramasser des clés ou apporter un téléphone, porter de petits sacs de courses… autant de gestes anodins pour nous, mais qui peuvent transformer le quotidien de leurs futurs bénéficiaires.

«On ne le fait pas tout le temps, mais travailler avec deux familles d’accueil en même temps permet de les habituer aux distractions, explique Laurence Plumier, la responsable des instructeurs. Si, plus tard, le futur bénéficiaire laisse tomber ses clés et qu’à ce moment-là un autre chien passe, il ne faut pas que le chien d’assistance refuse de ramasser les clés pour aller jouer avec l’autre chien. On les entraîne à garder le focus.»

Pendant ce temps, Pongo et Quoda se livrent à la mise en application de ces explications: chacun couché sous la chaise de leur maman d’accueil, les deux adolescents se toisent, se rapprochent discrètement… La tentation de jouer est palpable. «C’est un gros exercice de patience et il est crucial qu’ils l’apprennent», ajoute Claire, en même temps qu’elle glisse quelques croquettes à son chien en guise de récompense.

Des duos sur mesure

Les chiots – uniquement des Golden Retriever, Labradors et Flat-Coated Retriever, des races «faciles à travailler», d’humeur joyeuse et dont le physique agréable ne risque pas d’effrayer les bénéficiaires – rejoignent leur famille d’accueil à l’âge de neuf semaines. Commence alors le tronc commun de formation. «Vers 16 mois, on commence à réfléchir à leur spécialisation, selon leurs talents et affinités, poursuit Laurence. On s’adapte à leur personnalité; ça reste des êtres vivants.»

Parmi leurs nombreux «super-pouvoirs», les chiens d’assistance sont ainsi capables de prédire, grâce à leur flair légendaire, l’arrivée d’une crise d’hypo- ou d’hyperglycémie ou d’une crise d’épilepsie. Et ainsi de prévenir leur maître.

Pongo est ainsi destiné, d’ici quelques mois, à rejoindre un monsieur en chaise roulante, lourdement handicapé. «Pongo est très doué dans les tâches techniques, et il y prend du plaisir, et le monsieur aura besoin de beaucoup d’aide. Mais Pongo est aussi un chien qui n’aime pas particulièrement aller dans les magasins. Et le projet est génial pour lui, car c’est un monsieur qui déteste aller dans les commerces. Un duo parfait!»

Le «matching» est toujours mûrement réfléchi au sein d’Os’mose. Car pour que le binôme fonctionne, il faut que chien et humain aient des tempéraments compatibles.

Un flair protecteur

Si les chiens guides pour personnes malvoyantes existent depuis plus de cent ans en Belgique, l’apparition des premiers chiens d’aide pour personnes en situation de handicap remonte, elle, au début des années 1990. Depuis les années 2010 en Wallonie (début 2000 en Flandre), on forme également des chiens d’assistance pour personnes épileptiques et diabétiques. Parmi leurs nombreux «super-pouvoirs», les chiens d’assistance sont en effet capables de prédire, grâce à leur flair légendaire, l’arrivée d’une crise d’hypo- ou d’hyperglycémie ou d’une crise d’épilepsie. Et ainsi de prévenir leur maître.

Avant de partir, Fanny interrompt Laurence pour lui montrer fièrement l’une des dernières prouesses de Quoda. «Quoda, aboie.» L’ordre doit être répété quelques fois, mais le Golden Retriever finit par japper timidement. «Oui, bravo! Mais c’est génial, c’est un super début, s’exclame Laurence. Merci, ça m’a fait ma journée!»

Son enthousiasme n’est pas feint; chez les chiens d’assistance, l’aboiement n’est pas une forme de menace ou une demande d’éloignement, «au contraire, il leur permet d’appeler à l’aide en cas de crise. C’est donc super important qu’ils l’apprennent».

Des «éponges à sentiments»

Depuis quelques années, les compagnons à quatre pattes ont un nouveau débouché professionnel: l’assistance judiciaire. En Wallonie et à Bruxelles, cinq zones de police (bientôt huit) en sont pourvues, plus précisément leurs services d’assistance policière aux victimes (SAPV), qui interviennent auprès de victimes d’infractions pénales, leurs proches et les témoins. Les demandes des zones de police auprès de l’asbl Os’mose sont en plein boom.

Leur renommée galopante, les chiens d’assistance judiciaire la doivent surtout à Lucky, actif au sein de la zone de police bruxelloise PolBru, qui a beaucoup été sollicité – et médiatisé – lors du procès des attentats de Bruxelles, par les victimes, mais aussi par les avocats et les policiers.

«La présence réconfortante du chien aide les victimes à se calmer, témoigne Didier Magis, inspecteur au SAPV de la zone de police Vesdre. Ça les ramène dans l’ici et maintenant lorsqu’elles témoignent des faits violents, parfois traumatisants, qui leur sont arrivés.»

La présence réconfortante du chien aide les victimes à se calmer. Ça les ramène dans l’ici et maintenant lorsqu’elles témoignent des faits violents, parfois traumatisants, qui leur sont arrivés.

Didier Magis, inspecteur au SAPV de la zone de police Vesdre.

 

On pourrait croire que ces chiens ont la belle vie à être papouillés à longueur de journée. «Mais ils absorbent beaucoup, rectifie Laurence. Les inspecteurs nous disent d’ailleurs constater une nette différence de fatigue chez le chien selon que la victime a beaucoup pleuré, s’est beaucoup appuyée sur sa présence ou non… Ce sont vraiment des éponges à sentiments.»

Une clé pour la santé?

Les chiens d’assistance sont remis gratuitement aux bénéficiaires, mais leur formation complète coûte 30.000 euros à l’asbl. Chaque année, dix nouveaux chiots commencent leur cursus. Pour se financer, Os’mose dépend essentiellement de dons privés, legs et clubs-services (Rotary et Lions). Quid des subventions publiques? «Hahaha, s’étrangle Laurence. Elles ne représentent que 3% de notre budget.»

L’Aviq finance trois catégories de chiens (chiens guides, chiens d’aide et d’alerte épilepsie), à hauteur de 7.500 euros chacune. C’est quatre fois moins qu’en Flandre, où les financements sont de 28.500 euros et concernent davantage de catégories.

Face aux défis liés au vieillissement de la population et dans un contexte de désinstitutionalisation en faveur du maintien à domicile, les chiens d’assistance pourraient pourtant être un atout, notamment financier, pour les pouvoirs publics. «Des études à l’étranger auprès des personnes malvoyantes et de certains profils assimilables à l’épilepsie ont montré que la présence de chiens permet de réduire les coûts de l’assurance-maladie, en diminuant le nombre d’hospitalisations, des visites chez le médecin, de prises de médicaments», conclut Vanessa Wey, la directrice de l’asbl.

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste et contact freelances, stagiaires et partenariats

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)