Dans son accord du 30 septembre 2020, le gouvernement annonçait une réforme de la procédure pénale – aujourd’hui en cours –, faisant une nouvelle fois de la récidive son cheval de bataille. On y lit notamment que «les récidivistes seront traités plus sévèrement, mais aussi accompagnés vers un autre parcours de vie». La récidive, «marque visible de l’échec de la réponse pénale», s’accompagne de ce paradoxe qu’on y répond traditionnellement par un alourdissement de la répression, toujours aussi inefficace, rappellent les spécialistes en droit pénal Christine Guillain et Olivia Nederlandt1. Une logique qui trouve son paroxysme dans la prison, véritable «école de la récidive», où l’on entasse ceux que l’on ne veut pas voir: précaires, étrangers, malades.
En matière de violences conjugales, la tolérance zéro, énoncée à juste titre dans une circulaire de 2006, ne protège pas les victimes. Pire, les statistiques belges rejoignent les données internationales pour attester que plus la décision judiciaire est lourde, plus le taux de récidive est élevé: il atteint 53% en cas de condamnation contre 24% dans les classements sans suite (lire dans ce numéro: «Renaître», le troisième et dernier volet de notre série «Mécanique de la violence»). La condamnation des coups ne traite pas ce qui les a fait naître.
L’«accompagnement» dont parle le ministre de la Justice dans l’accord de gouvernement réside souvent dans une obligation de soins. Délinquance sexuelle, délinquance «toxicomane» ou encore violences conjugales: l’injonction thérapeutique est pratiquée de longue date par la justice pour prévenir la récidive. Avec des tentatives pour élaborer une justice moins punitive, plus humaine et tournée vers «la prise en charge globale des délinquants» (lire dans ce numéro «‘Drug courts’: de la carotte, du bâton et des félicitations»).
Cette extension du médical et du «psy» au sein du champ pénal n’est pas sans poser question. Si soigner semble plus sensé que punir, l’éthique médicale – le secret médical et le consentement du patient à ses soins – s’en trouve chamboulée. Autre pierre d’achoppement de ce déplacement: la médicalisation et la psychologisation de phénomènes socialement déterminés, entravant la remise en question des inégalités de notre corps social et leur consolidation par le système judiciaire.
Il reste qu’un dialogue santé-justice est inévitable. Au risque de ne voir dans le délinquant qu’un criminel ou de négliger la réalité judiciaire d’une personne en traitement. Au risque de stigmatiser et d’exclure davantage des personnes qui s’empêtrent dans cette zone entre deux mondes professionnels qui se croisent, mais dont les mots se heurtent et les horloges ne sonnent pas au même tempo. Dans le domaine des assuétudes – où plus la consommation est problématique, plus la répression risque de se montrer féroce –, la Fédération Addiction (France) a entamé ce chemin depuis belle lurette. En septembre 2020, elle publiait un «Guide pour favoriser la coopération santé-justice»2, réalisé grâce aux apports d’intervenants de l’addictologie et de la justice. Objectifs: dépasser le refus de prise en charge par certains professionnels du soin dans le cadre d’une obligation judiciaire, de même que les exigences judiciaires inadaptées par méconnaissance des mécanismes de l’addiction.
Que peut-il sortir de ce tête-à-tête? Réfléchir ensemble pour réduire, voire venir à bout des effets excluants et néfastes pour la santé des logiques punitives – avec les risques de chute et de rechute qu’elles comportent. Renouer, aussi, avec ce fondement de la justice qui est d’encadrer la coexistence des hommes et des femmes – malades ou pas – en société et non de les enfermer.
1. «Le régime légal de la récidive: entre approche classique et positiviste du droit pénal», Christine Guillain et Olivia Nederlandt, dans La récidive et les carrières criminelles en Belgique, avril 2021, Les cahiers du GEPS, éd. Politea, Benjamin Mine.
2. «Santé × Justice. Les soins obligés en addictologie. De l’analyse des pratiques et postures professionnelles d’un réseau à l’élaboration de recommandations partagées», Fédération Addiction, France, septembre 2020.