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Emploi/formation

Un rayon d’optimisme dans les roues des cyclo-coursiers

Ils sont les forçats de la livraison de nos plats chauds, par tout temps et à toute heure. Ils sont des milliers en Europe à travailler pour les grandes entreprises de la food-tech : Deliveroo, UberEATS, Foodora et consorts. Le plus souvent en tant qu’indépendants. Un statut qui ne leur offre que peu de sécurité en cas d’accidents ou de vols. C’est pourquoi partout en Europe certains cyclo-coursiers se regroupent pour monter des coopératives de livreurs. Si elles se révèlent difficiles à lancer, les coopératives peuvent être un excellent complément dans le marché de la livraison. L’idée fait son chemin chez nous : la Fédération Belge de la Cyclo-Logistique est née en décembre.

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Ils sont les forçats de la livraison de nos plats chauds, par tout temps et à toute heure. Ils sont des milliers en Europe à travailler pour les grandes entreprises de la food-tech: Deliveroo, Uber Eats, Foodora et consorts. Le plus souvent en tant qu’indépendants. Un statut qui ne leur offre que peu de sécurité en cas d’accidents ou de vols. C’est pourquoi partout en Europe certains cyclo-coursiers se regroupent pour monter des coopératives de livreurs. Si elles se révèlent difficiles à lancer, les coopératives peuvent être un excellent complément dans le marché de la livraison. L’idée fait son chemin chez nous: la Fédération belge de la cyclo-logistique est née en décembre 2018.

De mémoire de cyclo-coursiers, le 1er février 2018 est une date dont on se souvient. C’est à moment-là que les coursiers de Deliveroo ont été mis face à un choix cruel par le géant de la livraison à vélo: soit ils passaient sous statut d’indépendants et ils continuaient à travailler. Soit ils refusaient, et c’était «bye bye». Fini donc le contrat de la SMart payé à l’heure qui garantissait un minimum de sécurité en termes de couverture santé et pension. Mais pourquoi rendre ses livreurs indépendants? «[Nos] coursiers nous indiquent qu’ils apprécient la flexibilité, le fait de travailler quand, où et s’ils le veulent. Le coursier peut décider à tout moment de s’inscrire et de travailler, d’accepter une commande ou non et décider de se désactiver, sans conséquence aucune sur la rémunération», détaille Rodolphe Van Nuffel. Le patron des affaires belges de Deliveroo précise que l’indépendant peut gagner en moyenne 14 euros de l’heure. Un point qui fait largement débat depuis que le livreur n’est plus payé à l’heure mais à la course. En d’autres termes, «si le restaurant traîne ou si le client a du retard pour recevoir sa commande, le livreur perd des minutes durant lesquelles il est impossible d’accepter une nouvelle course», déchiffre Martin Willems, permanent syndical de la CNE-CSC. Une des multiples raisons qui expliqueraient pourquoi seulement 60% des livreurs Deliveroo seraient passés au nouveau statut indépendant, selon le syndicaliste. Quant aux autres, ils sont sortis des radars.

Des coopératives compliquées à mettre sur pied

Pour ceux et celles qui ont connu le changement de statut, un vrai déclic s’est opéré. Et pas seulement en Belgique. En Grande-Bretagne, la remise en cause du statut salarié a commencé en novembre 2016. Les livreurs s’échangeaient des blagues en parlant de slaveroo, un néologisme né de la fusion entre le nom de leur entreprise et le terme de slave, «esclave» en anglais. Après la grève des livreurs à Berlin en mai 2017, c’était au tour des Belges de se croiser les jambes il y a un an. Une grève qui n’a pas permis de faire reculer Deliveroo mais qui a permis à certains livreurs de penser à l’avenir: créer une coopérative. Douglas Sépulchre gère la page Facebook du Collectif des coursiers. Un lieu de rassemblement virtuel des livreurs où a été évoquée, un temps, l’hypothèse de créer une nouvelle coopérative de coursiers. Un pari trop difficile à tenir: «Je pense que l’on était un peu éparpillés, chacun de son côté. Une coopérative, ce n’était faire que ça alors que les livreurs ont d’autres activités», explique Douglas.

La coopérative a de quoi séduire. La créer reste un exercice difficile.

Égalité entre coopérateurs, mutualisation du matériel, salaire décent, assurance accident, sur le papier la coopérative a de quoi séduire. La créer reste un exercice difficile. Arnaud Barbier est un ancien de Take Eat Easy, une start-up belge de la livraison à domicile qui a fait faillite à l’été 2016. Après avoir travaillé quelques mois pour Deliveroo, le coursier décide de se lancer avec d’autres dans une coopérative sur Bruxelles. Après neuf mois passés dans l’incubateur de projets COOPCITY, Molenbike s’élance en mars 2017. À l’approche de son deuxième anniversaire, la coopérative reste fragile. «Toutes nos activités comme la recherche de clients et la gestion logistique sont du bénévolat. Seule l’activité opérationnelle, comme la livraison, est rémunérée via un contrat au jour chez SMart», explique Arnaud. Malgré la limite des 90 kilos par vélo, la dizaine de coursiers de Molenbike livrent des repas chauds prévus bien à l’avance (pour des traiteurs), des revues périodiques, des fruits et légumes cultivés à moins de dix kilomètres de Bruxelles. Les livreurs ont le choix d’utiliser l’un des vélos cargos de la coopérative. Mais ils peuvent aussi utiliser le leur. Dans ce cas, la coopérative prend en charge les coûts liés à son utilisation. Tous les produits livrés se doivent d’être en accord avec une charte éthique garantissant le local, le circuit court et une finalité sociale. Autrement dit, pas question de livrer pour les enseignes de la restauration ultrarapide. Et pourquoi ne pas concurrencer Deliveroo? «Pour moi, il n’y a pas d’avenir dans la livraison de repas chauds à la demande», juge Arnaud. En cause: la concurrence rude de Deliveroo et consorts ainsi qu’une flexibilité trop importante qui empêchent les coopératives de se positionner sur ce secteur.

Dites bonjour à la «Fédération belge de la cyclo-logistique»

En Belgique, les coopératives sont nombreuses. On en compte deux pour Bruxelles: la doyenne Dioxyde de Gambettes et Molenbike, la dernière-née. «Coursier wallon» livre à Mons comme à Namur. Plus au nord, Via Vélo et CargoVelo se partagent Gand, Anvers et Deinze. Rayon9 a pris ses quartiers à Liège. Elle coopère volontiers avec ses collègues au sein de la toute nouvelle Fédération belge de la cyclo-logistique (FBCL). Un regroupement qui génère beaucoup d’attentes, car tous ses membres semblent vouloir se tourner vers des marchés encore inexplorés par les cyclo-coursiers. Il s’agit notamment de livrer tout type de biens (journaux, revues, repas, vidange de bouteille, colis…) partout et en un minimum de temps.

«Pour moi, il n’y pas d’avenir dans la livraison de repas chauds à la demande.» Arnaud, Molenbike

À cette fin, plusieurs étapes significatives ont été franchies l’année passée. Premièrement, la mise au banc d’essai de CoopCycle, un logiciel libre dédié aux coopératives de coursiers partout dans le monde. Ce dernier est un support informatique pour la gestion logistique des stocks et des courses. «Un livreur qui apporte de nouveaux ‘Bruzz’ chez un libraire peut signaler sur l’application le nombre d’exemplaires restants. Ce qui permet à la revue de prévoir le renouvellement en conséquence», détaille Arnaud, de Molenbike.

Deuxièmement, les coursiers coopérateurs se sont donc regroupés au sein de la FBCL. Il s’agit pour eux de peser plus lourd puisque les membres de la nouvelle fédération représentent tout de même 350.000 kilomètres parcourus en Belgique pour 750 tonnes de fret véhiculés sans émission de CO² l’année dernière. À terme, la Fédération pourrait servir de «hub», c’est-à-dire de receveur unique des commandes se chargeant ensuite de répartir les livraisons auprès des membres. L’idée est de faciliter le recours aux coopératives de coursiers en mettant à disposition un interlocuteur unique. Exemple concret, «Proximus a recours à CargoVelo à Anvers. Que se passe-t-il si l’entreprise souhaite utiliser nos livreurs pour ses magasins à Bruxelles, sachant que nous ne sommes pas la même coopérative?», explique-t-on du côté de Molenbike. Notons également que les coopérateurs livreurs doivent encore devenir experts «du dernier kilomètre». C’est-à-dire faire en sorte que le vélo arrive au bout de la chaîne de la logistique afin d’éviter que les camionnettes n’aient le dernier mot. À Bruxelles, c’est une autre coopérative qui est sur le créneau: Urbike. Son but: trouver les mots et les moyens techniques pour rendre opérationnels des points de transferts entre les zones de déchargement des camions et chargement des vélos.

Troisièmement enfin, l’objectif fixé à 2030 «est d’atteindre 25% du volume des livraisons à vélo dans les villes où nous sommes présents», conclut le Liégeois Benoît Renard, cofondateur de Rayon9. Un rayon d’optimisme dans les roues des livreurs?

Léo Potier

Léo Potier

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