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Regard critique · Justice sociale

Un meilleur aiguillage pour le placement des mineurs ?

Pas assez de places pour les mineurs délinquants ? La ministre Catherine Fonck (CDH) réplique avec la réforme de la Cellule d’information, d’orientation et decoordination (la Cioc). À défaut de créer des places supplémentaires, cette réforme devrait permettre une meilleure orientation des jeunes et rendre lesprocédures plus efficaces.

25-09-2008 Alter Échos n° 259

Pas assez de places pour les mineurs délinquants ? La ministre Catherine Fonck (CDH) réplique avec la réforme de la Cellule d’information, d’orientation et decoordination (la Cioc). À défaut de créer des places supplémentaires, cette réforme devrait permettre une meilleure orientation des jeunes et rendre lesprocédures plus efficaces.

La réforme de la Cioc vient de s’achever en cette rentrée 2008. Du moins, le cabinet de la ministre en charge de l’Aide à la jeunesse en Communautéfrançaise, Catherine Fonck, a confirmé que son cadre légal avait enfin été adopté. Pour ce qui est de sa mise en œuvre effective, il faudra encoreattendre quelques mois, a priori début 2009. À quoi sert cette cellule ? Jusqu’à présent, à pas grand-chose. Pour rappel, la Cioc avait remplacéle SIO – service d’information et d’orientation – dans l’espoir de perfectionner l’outil. Elle était censée renseigner les magistrats de la jeunessesur les places disponibles en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse). Mais la première réforme s’est révélée insuffisante : lesdonnées n’étaient pas mises à jour avec régularité et ne concernaient pas tous les services de l’Aide à la jeunesse, si bien que les greffes destribunaux passaient leur temps à téléphoner aux différents instituts pour connaître la disponibilité des places, en temps réel. Pour remplir sesmissions, le cadre de la cellule a été renforcé et comprend désormais six employés à temps plein, soit deux personnes supplémentaires.

Désormais, tous les services de l’Aide à la jeunesse devront renseigner le cadre de leurs activités et les places disponibles. Ce « passage par la Cioc »sera désormais obligatoire, même pour les institutions privées agréées. « Le refus de renseigner la Cioc ne sera théoriquement pas possible puisque cesera l’une des conditions de l’agrément », précise Marc Coupez, chargé du dossier au cabinet Fonck. Concrètement, la Cioc mettra en place une plate-formeinformatique accessible et mise à jour 24h/24, 365 jours par an et donnera une information en temps réel : les juges pourront donc la consulter très facilement. En cas deproblème, les agents de la cellule pourront mener des missions de médiation et de coordination et, ainsi, aider les magistrats de la jeunesse dans la recherche de places, y compris enweek-end ou en horaire tardif. « Dans un premier temps, même si ça partait d’un bon sentiment, on n’a vraiment pas donné les moyens à cette cellulede fonctionner correctement, sans compter que tout le secteur privé n’était pas couvert. Au niveau des IPPJ, on travaillait déjà avec la cellule mais surtout encontact direct et régulier avec les juges. La réforme de la Cioc devrait apporter une vue plus globale des possibilités de placement », commente Joël Ponseele,directeur de l’IPPJ de Braine-le-Château1.

Grâce à cette procédure imposée aux services d’accueil, le piège de l’inefficacité devrait donc être dépassé. « Lesinformations sur les disponibilités et les demandes seront enfin totalement précises et claires, ce qui permettra de trouver la réponse la plus adéquate le plus rapidementpossible », assure-t-on au cabinet de la ministre Fonck. Quand on sait que pas moins de 4 000 à 5 000 personnes, issues des 360 services répertoriés ainsi que des80 autorités judiciaires, sont concernées, on mesure en effet l’intérêt d’une telle plate-forme informatique centralisant les informations.

Les solutions extra-sectorielles

À côté de cette première mission de coordination et d’information, la Cioc sera également chargée de fournir aux autorités mandantes «des informations sur les solutions extra-sectorielles ». Par exemple ? « Dans le cas des demandes de prise en charge toxicologique ou psychiatrique », explique Marc Coupez. «Il existe aussi toute une série d’équipes qui ne font pas tout à fait partie de l’Aide à la jeunesse, comme les services d’accrochage scolaire (SAS). La Ciocoffrira également des informations sur ces services. » Sur les AMO aussi, donc, qui font partie de l’Aide à la jeunesse mais ne proposent pas d’accueil. Avec quelintérêt ? Difficile de le cerner pour l’instant. Chaque service aura sa propre « page » où il informera sur ses réalités, sa philosophie, sesprises en charge, etc. Ce qui paraît curieux dans ce dispositif, c’est que les AMO, non seulement n’organisent pas d’accueil, mais, en outre, travaillent à la demandeet hors mandat. Elles ne peuvent donc recevoir d’injonction du judiciaire de s’occuper de tel ou tel jeune. Dès lors, un esprit suspicieux pourrait y voir une tentative dupolitique de faire passer par la fenêtre Cioc ce que les AMO ont réussi à mettre à la porte de l’arrêté AMO2, à savoir une pressionvers un travail sous mandat. Verra-t-on, un jour, un juge de la jeunesse recommander à une AMO de s’occuper de tel jeune, délinquant débutant, plutôt que de prendreune mesure plus coercitive – puisque de toute façon, « on manque de places en IPPJ » ? Ce seraient des fantasmes mal placés, si l’on en croit le cabinet Fonck.« Les AMO s’intègreront dans le processus uniquement sur la base de leur projet pédagogique. Il est clair qu’elles travaillent hors mandat », insiste MarcCoupez.

Simplifier le travail

Par ailleurs, la Cellule relayant des informations de tous les services, elle, sera bien placée pour « fournir des statistiques correctes et mises à jour quotidiennement», ce qui n’est pas le cas actuellement. Or, certaines informations pourraient se révéler sensibles, notamment en ce qui concerne la problématique récurrentedu manque de places. Les chiffres issus de la base de données Cioc devraient permettre d’éclairer d’un jour nouveau les revendications du secteur : y a-t-ilréellement un problème de manque de places ? Si oui, dans quelles proportions ? Quels sont les besoins les plus criants ? Quels sont les services les plus en souffrance ? Quels sont lesdélais d’attente ?

Enfin, la Cioc nouvelle aura pour vocation de simplifier le travail des institutions et magistrats en réglant les relations entre les services et l’administration. Les avantages de cesystème revu et corrigé ? Si personne n’ose le dire clairement, la transparence qu’est censée apporter la cellule et sa gestion très cadrée a aussipour but d’empêcher les « tris inadéquats ». Ainsi, il ne sera théoriquement plus possible à certaines institutions de refuser certains jeunes sous leprétexte du « manque de place »
si celui-ci se révèle fallacieux… Ce qui est vrai théoriquement risque néanmoins d’être plusmalaisé à estimer concrètement (voir encadré). Les institutions auront toujours la possibilité de refuser une admission mais ce refus devra être dûmentmotivé.

« Rendre la Cioc réellement efficace, c’était une demande des magistrats de la jeunesse, nous avons donc un a priori favorable sur la réforme. Cela devraamener de la transparence dans le fonctionnement des institutions et renforcer la communication entre les acteurs », estime Éric Janssens, juge de la jeunesse et président del’Union francophone des magistrats de la jeunesse. « Cela nous évitera de perdre un temps considérable à faire du shopping téléphonique pourconnaître les places disponibles. Et puis, surtout, n’oublions pas que cet outil est pensé pour le bien-être des enfants puisqu’il doit mener à une meilleureorientation des prises en charge. » Concernant la maniabilité de l’outil, quelques personnes qui ont pu le tester en primeur confirment qu’il n’a « rien desorcier » mais qu’il faudra prendre le temps de le tester concrètement au jour le jour.

Un programme de formation

Après avoir pris plusieurs mois de retard, le système semble désormais au point et devrait être implémenté en janvier ou février 2009, aprèsles ultimes réglages et la formation des parties prenantes. Près de 1 300 personnes directement concernées par l’utilisation de la plate-forme recevront une formationd’une demi-journée entre octobre et décembre : magistrats de la jeunesse, conseillers et directeurs des services sociaux et des IPPJ, etc.

Si la Cioc devrait, dans une certaine mesure, résoudre en partie le problème du « manque de places », elle devrait surtout, en mettant à plat lesdifférentes réalités des parquets jeunesse, permettre une vision plus globale du secteur. Dès lors, il sera difficile de faire l’impasse sur des débats defond et plus aisé de pousser plus loin les réflexions sur la base des données et évolutions établies par ses experts.

La Bastide blanche, un CAS concret

Entre les lignes, certains estiment que la Cioc permettra de remettre dans le droit chemin les institutions qui « sélectionnent » peu ou prou leur public et refusent parconséquent certaines admissions. Et plus particulièrement, les institutions privées qui n’étaient jusqu’alors pas obligées de passer par la cellule.À terme, comme tous les services devront jouer le jeu, les places « bloquées » artificiellement se débloqueront par la magie du fichage Cioc…

Effectuons donc un petit détour par un Centre d’accueil spécialisé pour voir comment ça se passe, concrètement. « Depuis quelques mois, nous avonscommencé à recevoir des fax toutes les semaines pour nous demander si nous avions de la place. Effectivement, il arrive qu’une place se libère mais, engénéral, il y a de 10 à 20 demandes en attente par place disponible. Autant dire que notre marge de manœuvre est étroite », explique Daniel Recloux du Centred’accueil spécialisé La Bastide blanche, à Châtelet4. De là sa perplexité quant à l’intérêt de la cellule : ses servicesdevront-ils tenir compte des places en attente ? Y aura-t-il moyen d’indiquer qu’une place est déjà réservée pour un jeune qui patiente depuis plusieurs mois ? Pourl’instant, à La Bastide blanche, la direction reconnaît qu’il faut parfois accepter des jeunes en surnombre quand il y a urgence et aucune autre solution àdisposition, mais ce n’est pas sa vocation.

« La réalité du terrain actuellement, c’est que lorsqu’un jugement est rendu à l’encontre d’un jeune en janvier, il ne sera pris en chargequ’en septembre tellement les listes d’attente sont longues. Cela pose question quant à l’opportunité d’une sanction à ce point différée :est-ce encore efficace ? » Un autre sujet d’étonnement soulevé par Daniel Recloux concerne le type de public qu’il sera obligé d’accepter ou pas. «Devrons-nous accepter toutes les demandes à partir du moment où il y a une place disponible ? » Actuellement, son institution reçoit des demandes de tout type, parfois desplus loufoques : placements de jeunes filles ou de bébés alors que La Bastide blanche accueille exclusivement des garçons dont l’âge moyen est de 17 ans. « Laplupart ont un passif de délinquance et de violence particulièrement lourd. Donc, si on me demande de prendre un gamin de 14 ans dont le seul tort est de s’êtredisputé avec sa mère ou d’avoir volé des chewing-gums, il vaudrait mieux qu’il ne vienne pas chez nous. Pour la simple et bonne raison qu’il risque deglisser dans la délinquance dure pour pouvoir s’intégrer auprès des autres garçons ! Pourtant ce type de dilemme se pose déjà aujourd’hui et jecrains que la Cioc accentue encore ce phénomène. Sans compter que nous sommes déjà confrontés à des publics complexes, parfois porteurs de problèmespsychiatriques très lourds. » Mais le point le plus sensible est sans doute légal. « Il existe un arrêté de 1999 qui stipule que, dans certains cas de crise,nous avons le droit de descendre notre capacité d’accueil pour que, sur l’année, nous arrivions à un taux moyen de 70 %. Comme nous sommes le plus souventà une moyenne de 100 %, cela signifie que si nous devions recevoir des jeunes particulièrement violents ou problématiques, nous pourrions limiter le nombre de places demoitié pour une période déterminée. Si cela devait arriver, à qui devrions-nous obéir ? À la Cioc ou à l’arrêtéministériel ? » Autant de questions qu’il serait urgent de traiter si l’on souhaite que la Cioc soit véritablement l’outil efficace et concret qu’elleambitionne de devenir.

1. IPPJ de Braine-le-Château :
– adresse : chemin Saint-Joseph, 3 à 1440 Braine-le-Château
– tél. : 02 367 11 20
– courriel : ippj.braine-le-chateau@cfwb.be
2. Au sujet de l’arrêté AMO, voir Alter Échos n° 251.
3. CAS La Bastide blanche :
– adresse : rue de l’Abattoir, 62 à 6200 Châtelet
– tél. : 071 39 53 28
– courriel : bastide.blanche@swing.be

aurore_dhaeyer

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