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Regard critique · Justice sociale

Titres-services : l’euro de trop (peu)

Dans une déclaration commune envoyée le 9 octobre, à la tonalité désormais prémonitoire, les partenaires sociaux de la sous-commission paritaire 322.01(dont relèvent les entreprises agréées titres-services) demandaient une solution « structurelle et à long terme » pour « le financement du systèmedes titres-services ». Appuyant leurs propos, syndicats et représentants du patronat insistaient : « Il n’est pas sain, ni pour les entreprises ni pour les travailleurs,d’être dépendant de discussions budgétaires récurrentes – tous les trois ou six mois – quant au financement futur du système. » Prémonitoireen effet : une semaine plus tard, le gouvernement fédéral finalisait le budget 2007. Parmi les mesures d’économie, Guy Verhofstadt annonçait la diminution de 1 euro de lapart remboursée par l’État aux entreprises prestataires. Bénéfice pour l’État : 40 millions d’euros. Coût pour les entreprises : chaque titre-service (t-s) neleur rapportera plus que 20 euros (6,70 provenant des consommateurs bénéficiaires et 13,30 – au lieu de 14,30 précédemment – provenant dufédéral). Une diminution, se plaignent-elles, qui vient s’ajouter à trois années de non-indexation.

03-11-2006 Alter Échos n° 218

Dans une déclaration commune envoyée le 9 octobre, à la tonalité désormais prémonitoire, les partenaires sociaux de la sous-commission paritaire 322.01(dont relèvent les entreprises agréées titres-services) demandaient une solution « structurelle et à long terme » pour « le financement du systèmedes titres-services ». Appuyant leurs propos, syndicats et représentants du patronat insistaient : « Il n’est pas sain, ni pour les entreprises ni pour les travailleurs,d’être dépendant de discussions budgétaires récurrentes – tous les trois ou six mois – quant au financement futur du système. » Prémonitoireen effet : une semaine plus tard, le gouvernement fédéral finalisait le budget 2007. Parmi les mesures d’économie, Guy Verhofstadt annonçait la diminution de 1 euro de lapart remboursée par l’État aux entreprises prestataires. Bénéfice pour l’État : 40 millions d’euros. Coût pour les entreprises : chaque titre-service (t-s) neleur rapportera plus que 20 euros (6,70 provenant des consommateurs bénéficiaires et 13,30 – au lieu de 14,30 précédemment – provenant dufédéral). Une diminution, se plaignent-elles, qui vient s’ajouter à trois années de non-indexation.

L’annonce de la décision a donc provoqué des réactions unanimement scandalisées. Si, du côté des employeurs, on s’inquiète de la survie mêmede certains pans de l’activité, du côté syndical, on craint surtout que la restriction budgétaire ne marque l’arrêt des améliorations salarialesengrangées depuis le début de cette année (primes de fin d’année, etc., qui, selon Hervig Muyldermans de Federgon, auraient eu pour effet d’augmenter la masse salariale de10 % depuis le début de l’année1).

Front commun

Parmi les autres arguments invoqués pour critiquer la décision, émanant cette fois des associations de défense des communes (Association de la ville et des communes dela Région de Bruxelles-Capitale (AVCB), Union des villes et communes wallonnes (UVCW) et leur équivalent flamand la VVSG), il y aurait la sous-estimation des effets-retour dusystème. Et les associations de mentionner le personnel d’encadrement et le personnel administratif, qui n’auraient jamais été pris en compte dans le calcul desbénéfices de la politique de t-s. D’après elles, les nouvelles conditions imposées par la réduction de 21 à 20 euros rendront beaucoup plus difficilel’accomplissement des missions sociales des entreprises agréées t-s à finalité non lucrative. Elles redoutent en effet que la seule solution soit désormais «de travailler avec un turn-over constant et important ». En termes sociaux, cela signifierait créer des emplois de durée limitée, des « siègeséjectables ». Un risque d’autant plus grand, estiment-elles, que simultanément à la réduction de 1 euro, Guy Verhofstadt annonçait également, dans sadéclaration de politique gouvernementale, que le recours aux articles 60 serait interdit dans le cadre des t-s. Afin d’éviter ce scénario catastrophe, les trois associationsréclament une progressivité de la subvention, qui permette de tenir compte de l’ancienneté des travailleurs – une revendication qui, il faut le noter, ne fait pas partiedes deux points sur lesquels les partenaires sociaux de la sous-commission 322.01 se sont mis d’accord pour exiger du gouvernement une indexation annuelle de la valeur du t-s et le renoncementà la diminution de 21 à 20 euros.

Non seulement syndicale et patronale, la réaction est également politique : ainsi, par exemple, le ministre bruxellois de l’Économie et de l’Emploi, Benoît Cerexhe(CDH), estime que la décision est particulièrement nuisible aux intérêts bruxellois. La Région est en effet entrée plus tardivement que les deux autres dansle dispositif : il craint donc que le développement bruxellois en matière de t-s, particulièrement marqué ces dernières années, ne soit étouffédans l’oeuf.

En plus des réactions par voies de communiqués de presse, une manifestation est annoncée, à l’appel des entreprises protestataires et d’un front commun syndicalréunissant CSC, FGTB et CGSLB. Elle aura lieu ce vendredi 10 novembre à 10h30, au départ du square de Meeûs à Bruxelles. Autre initiative : un blog aété lancé pour recueillir les différentes réactions à la décision gouvernementale2. En deux semaines, il a déjà atteint pasmoins de 8 000 visites.

Victime de son succès

Du côté fédéral, le ministre de l’Emploi, Peter Vanvelthoven3 (SP.A), a défendu la décision dans une réponse à une questionparlementaire du député CDH Benoît Drèze : d’après le ministre, les 20 euros constituent « un montant fort réaliste pour les entreprises qui utilisentsurtout des travailleurs « normaux » ». Précisant que les autres, celles qui « travaillent principalement avec des personnes rencontrant davantage de difficultés sur lemarché du travail », reçoivent en contrepartie de l’engagement de ces groupes cibles difficiles à utiliser, des réductions de charges et des subsides salariauximportants (Sine, Activa,…) ou l’inscription dans des dispositifs tels que les Entreprises d’insertion, etc. En outre, Peter Vanvelthoven précise que les travailleurs relevant de cesgroupes-cibles (chômeurs de longue durée et personnes peu qualifiées) pourront bénéficier d’un petit coup de pouce et d’un nouveau Fonds de formation,alimenté de 7 millions d’euros.

Pour l’avenir, la porte est également laissée ouverte puisque le ministre annonce : « Après fixation de la norme salariale dans le cadre de l’accordinterprofessionnel [dont les négociations devraient commencer dans les prochaines semaines : ndlr], le gouvernement permettra le lancement des négociations sociales en envisageant,à partir de 2008, un relèvement de la valeur de remboursement des titres services en fonction des résultats d’un audit financier externe. » On en est doncréduit à une querelle de chiffres : l’avenir dira si la décision aura eu pour effet d’entraver le développement d’un système dans lequel sont désormaisenrôlés plus de 30 000 travailleurs (surtout des travailleuses) ou si elle aura eu pour unique effet de réduire la marge bénéficiaire des entreprises.

Reste que le dérapage financier du dispositif – en quelque sorte victime de son succès – n’est pas nouveau : il avait déjà fait l’objet, non seulement dequestions parlementaires, mais aussi de réponses ministérielles rassurantes. Ainsi, le 28 mars 2006, le ministre Vanvelthoven déclarait que le Comité de gestion de l’Onemavait relevé l’estimation des dépenses de 386 à 528 millions d’euros [montant brut qui ne tient pas compte des effets-retour en termes d’impôts et de cotisations socialessupplémentaires, et de sortie du chômage : ndlr4]. » Deux jours plus tard, sa collègue en charge du budget, Freya Van den Bossche (SP.A), précisaitcependant que le gouvernement ne ferait « rien qui diminue l’effet positif du système. »

Redessiner les lignes

Un des effets paradoxaux de la mesure annoncée par le gouvernement est de modifier les discours autour des t-s. Ainsi, Federgon appelle à une discussion sur la part payée parle client : après déduction fiscale, celle-ci est en effet de 4,69 euros. Elle ne couvre donc qu’une très faible proportion du coût réel du travail et s’avèrebien inférieure au tarif du marché noir. Alors que la fédération refusait voici quelques mois encore d’envisager une hausse de cette quote-part, elle défendmaintenant l’idée que l’effort doit être réparti sur l’ensemble des « parties prenantes » au dispositif : État fédéral, entreprises etconsommateurs. Du côté syndical, on se met, au nom de la défense de l’amélioration des conditions de travail, à défendre indirectement un dispositif àpropos duquel le sentiment dominant jusqu’à présent était le scepticisme et la déception5.

1. Federgon, la fédération des partenaires (privés) de l’emploi, représente la majorité desentreprises actives dans les t-s, à savoir les entreprises commerciales et les sociétés d’intérim, qui sont regroupées dans son département « Federgon– Services aux particuliers ». Federgon, avenue du Port, 86 C bte 302 à 1000 Bruxelles – tél.: 02 203 38 03 – fax: 02 203 42 68 – courriel : info@federgon.be
2. http://titre-service.over-blog.com/
3. Cabinet, rue Royale, 180 à 1000 Bruxellles – tél. : 02 210 19 11 – fax : 02 210 19 48 – courriel : info@work.fed.be
4. Pour 2005, Idea Consult, la société chargée d’évaluer le dispositif t-s, avait estimé à 303 millions d’euros son coût brut, et à 210 millionsson coût net.
5. Voir à ce propos, « Titres services : une bonne idée dévoyée », l’article d’Éric Buyssens (FGTB) dans la dernière livraison de la revuePolitique (Octobre 2006 – n°43)

Edgar Szoc

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