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Regard critique · Justice sociale

Test osseux, test douteux

Lorsqu’un doute existe quant à la minorité d’un jeune étranger, il est procédé à trois tests médicaux. La fiabilité de ces tests estlargement contestée.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Lorsqu’un doute existe quant à la minorité d’un jeune étranger, il est procédé, par le Service des tutelles, à trois tests médicaux. Lafiabilité de ces tests est largement contestée alors que le bénéfice du doute ne joue que rarement en faveur des jeunes.

Est-ce qu’un étranger qui se déclare « mineur » l’est vraiment ? Cette question intéresse particulièrement les autorités. Elle cache desenjeux importants, car la minorité détermine l’accès au statut de Mena et donc à des droits. La frontière belge est le premier lieu où l’impact del’âge se fait sentir avec force, la minorité étant synonyme d’accès au territoire. Lorsqu’un doute est émis à la frontière sur la minorité d’unjeune, cela est synonyme de détention en centre fermé pendant une durée limitée à 6 jours, le temps de déterminer l’âge du supposé mineur. Siles différents tests médicaux indiquent un âge supérieur à 18 ans, le refoulement vers le pays d’origine est rendu possible. L’âge devient une frontièreconcrète entre accès au territoire et refoulement.

Différentes autorités peuvent émettre un doute quant à la minorité d’un jeune étranger qui se déclare mineur : le Service des tutelles,l’inspection des frontières ou l’Office des étrangers. Mais c’est le Service des tutelles qui procède, via son expert attitré, aux trois tests médicaux qui ont pourbut de donner une estimation de l’âge. Pour Anne-Françoise Beguin, de la plate-forme Mineurs en exil1, l’indépendance du Service des tutelles vis-à-vis del’Office des étrangers n’est pas vraiment garantie, car la suspicion de fraude à la minorité de l’Office des étrangers est reprise à son compte par le Service destutelles. Au Service des tutelles on fait peu de cas de cette critique. Bernard Georis, son responsable, affirme que tout est clair : « la loi oblige le Service des tutelles àvérifier l’âge d’un mineur lorsqu’une autorité émet un doute ». Il précise tout de même que « dans de très rares cas, lorsque l’Office desétrangers tient une position qui ne nous semble pas du tout crédible, nous leur demandons de remotiver leur demande, voire nous ne faisons pas les tests. »

Un manque de validité scientifique

La détermination de l’âge se fait à partir de trois tests, rendus à un expert médical qui les analyse et propose une estimation au Service des tutelles. Lepremier test est un test osseux, à partir d’une radiographie du poignet et de la main gauche. Le deuxième test est un examen de la dentition et le troisième consiste en uneradiographie de la clavicule. Selon Anne-Françoise Beguin, ces tests n’ont que peu de validité scientifique2, ils ne devraient donc pas avoir une place si importante dans ladétermination de l’âge. Les critiques à l’encontre de ces examens sont connues, le test osseux du poignet a été imaginé dans les années ’30 auxÉtats-Unis pour une population en bonne santé. Ces données ne peuvent pas être transposées telles quelles à des jeunes dont les origines ethniques etgéographiques diffèrent, mais surtout à des jeunes qui par exemple auraient eu des problèmes de malnutrition entravant leur développement physique. Quant aux testsdentaires et de la clavicule, on estime généralement que leur marge d’erreur est de plus de deux ans. Dans un sens ou dans l’autre.

Le Dr Allard est chef du service radiologie de l’hôpital Saint-Pierre, en charge des tests radiographiques du poignet et de la main gauche des mineurs étrangers. Selon lui,le fait de recourir à plusieurs tests est une démarche positive car cela permet de diminuer la marge d’erreur. Toutefois, il ne nie pas qu’il est très difficile de garantir aveccertitude la majorité ou la minorité d’une personne, avec ces tests médicaux ou d’autres, car la marge d’erreur reste toujours importante.

À première vue, les textes légaux devraient être favorables aux Mena : c’est toujours l’âge le plus bas qui doit être pris en compte lorsqu’il estprocédé à de tels examens. Le Service des tutelles se base sur l’avis de son expert qui donne une fourchette d’âge à partir des trois tests médicaux, ils’agit d’une moyenne. Cette façon de faire ne correspond pas au prescrit de la loi : pour la plate-forme Mineurs en exil, « seul le test le plus favorable au mineur devrait êtrepris en considération, c’est d’ailleurs ce qu’exprime la loi. Les décisions négatives du service des tutelles devraient donc être contestées plus souvent. »Pour ce faire, une demande en révision peut être introduite auprès du Service des tutelles… induisant une contre-expertise à la charge du mineur ! Il existe aussipossibilité pour les mineurs de contester une décision relative à leur âge : introduire un recours en référé devant le tribunal de premièreinstance.

Quelques chiffres

En 2007, 1 681 personnes ont été enregistrées dont 887 ont été identifiées comme Mena et placées sous tutelle définitive. Le Service destutelles a demandé la réalisation de 180 tests médicaux de détermination de l’âge qui ont indiqué 114 cas de majorité et 66 cas de minorité. En2008, le ST a fait réaliser 409 tests médicaux, 62 % des enfants ont été reconnus majeurs.

Prendre en compte des données non médicales

Alors que l’arrêté royal du 22 décembre 2003 relatif à la tutelle des mineurs étrangers précise que des tests psycho-affectifs devraient êtremenés pour aider à évaluer la minorité, ces tests n’ont jamais été réalisés. La plate-forme Mineurs en exil estime que des données nonmédicales doivent être prises en compte. Une information complémentaire pourrait être « l’intime conviction » de l’entourage du mineur. Si un assistant social,un tuteur, ou un proche du jeune dont l’âge est contesté exprime au Service des tutelles cette « intime conviction » quant à la minorité, cette donnéedevrait peser dans la balance lorsqu’on détermine l’âge. Cette conviction d’une nécessaire complémentarité entre tests médicaux et tests psycho-affectifs estpartagée par le Dr Allard. Il estime que le manque de fiabilité des tests médicaux, au regard de la précision recherchée par les autorités,justifie de mettre en place ce type de tests.

Enfin, le Service des tutelles admet que cela pourrait offrir des indications utiles, mais c’est la question de la mise en pratique qui se pose : « Nous avons demandé un avis àl’Ordre des médecins sur la question des tests psycho-affectifs, on nous a dit que ce serait impossible à mettre en place. N
ous pourrions faire des tests de maturité mais celaprendrait beaucoup trop de temps. Quant à l’intime conviction dont parle la plate-forme, nous essayons de la prendre en compte, mais nous faisons aussi très attention à lavalidité des témoignages. »

Selon la plate-forme Mineurs en exil, au vu de la marge d’erreur des tests médicaux – tant qu’ils ne sont pas complétés par d’autres données d’ordre psychologiqueou affective – et du bénéfice du doute qui ne joue pas vraiment en faveur des jeunes, on peut aisément imaginer que des mineurs d’âge ont étéconsidérés, en Belgique, comme majeurs, échappant malgré eux à la protection à laquelle ils avaient droit. Le problème est que les conséquencesde telles erreurs peuvent être irréversibles et aboutir à un refoulement ou une expulsion du territoire…

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
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1. Plate-forme Mineurs en exil :
– adresse : rue du Marché aux Poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 210 94 91
– site : www.mineursenexil.be
– courriel : afb@sdj.be
2. Pour plus de détails sur la question, consulter la note sur la détermination de l’âge de Charlotte Van Zeebroeck du service Droit des Jeunes :
www.mineursenexil.be/

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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