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Regard critique · Justice sociale

La question du surendettement pour les prisonniers peut être très problématique. Des services de médiation de dettes spécialisés proposent leurs services aux détenus, dans la mesure de leurs possibilités.

Il est aujourd’hui impossible de chiffrer le nombre de détenus qui rencontrent des problèmes d’endettement, mais on peut tabler sur une bonne proportion d’entre eux, ainsi que leurs familles. En effet, l’incarcération d’une personne a des répercussions quasi immédiates sur le fait de percevoir des revenus, quels qu’ils soient (salaire ou allocations sociales). Ceux-ci s’évanouissent généralement dès la détention provisoire ou en tout cas devraient ne plus être versés avec la survenue d’un tel événement. Si c’est – on peut l’imaginer – rapidement le cas pour les salaires, il n’en va pas toujours de même pour les revenus de remplacement (chômage, revenu d’intégration sociale, allocation d’invalidité…). Or le détenu s’expose à devoir rembourser le trop-perçu dès l’instant de son incarcération, les droits à ces allocations s’éteignant avec l’entrée en prison. Sans sources de revenus, les dettes s’accumulent rapidement et si une famille dépendait des rentrées de la personne incarcérée, la situation peut rapidement s’emballer. Même isolé, le détenu, soustrait du jour au lendemain de son environnement, est désorienté et ne pense pas toujours de façon prioritaire à régler la situation qui perdure à l’extérieur. Loyers, charges d’eau, de gaz, d’électricité, assurances, abonnement de téléphonie, de télédistribution…: autant de contrats qui continuent à courir et qui risquent de faire boule de neige s’ils ne sont pas gérés, voire résiliés.

Des services spécialisés

Le service RePR est un service d’accompagnement établi à Schaerbeek, qui s’adresse exclusivement aux détenus et ex-détenus issus de la population de cette commune (dont la dernière adresse avant l’incarcération était Schaerbeek). RePR existe depuis 2000 et a été créé à l’origine sur la base du constat d’éducateurs de rue confrontés à des jeunes avec des problèmes judiciaires qui, une fois moins jeunes, ne bénéficiaient plus d’aucun suivi. Ce service dispose d’une équipe pluridisciplinaire (psychologue, travailleur social, criminologues) pour assurer un suivi social et psychologique auprès des détenus et ex-détenus. Il propose également de la médiation de dettes. Comme l’explique Evelyne Fraikin, médiatrice de dettes auprès de ce service, «on s’est rendu compte que les personnes suivies accumulaient très rapidement des dettes avec leur incarcération, et donc il s’agit de stopper l’hémorragie. Le besoin de médiation de dettes n’est pas tant pour mettre en place des plans de paiement, car bien souvent le détenu n’a plus aucun revenu, mais bien pour contacter les créanciers pour leur demander la suspension des procédures et de constituer un dossier en attendant la libération. Leur réaction n’est pas toujours favorable quand ils apprennent que la personne est en prison. Pour le reste de la famille restée dehors, quand il y en a une, ce n’est pas facile non plus, surtout si c’est la personne incarcérée qui ramenait l’argent du ménage: on accompagne la famille pour trouver d’autres sources de revenus».

Le travail de médiation de dettes avec des personnes incarcérées est évidemment modalisé vu la situation de détention: «Lorsque nous sommes informés qu’un Schaerbeekois est incarcéré, nous prenons contact avec lui et essayons d’aller le voir en prison si celle-ci se trouve à proximité. À ceux qui se trouvent dans des prisons plus éloignées (Bruges, Andenne…), nous envoyons un courrier et proposons une aide. Cela étant, pour l’instant nous n’ouvrons plus de nouveaux dossiers pour 2018 car nous sommes une petite structure et nous essayons de ne pas dépasser 50 dossiers actifs en médiation de dettes.»

Une prise en charge adaptée

Autre service présentant le même type de profil: l’Office de réadaptation sociale (ORS), qui est un service d’aide aux justiciables créé en 1922 et agréé comme service de la médiation de dettes depuis 2009. Le volume de dossiers dans ce service est assez similaire à celui de RePR: 60 dossiers actifs en 2017, 55 hommes, 5 femmes. Le service s’occupe uniquement des détenus incarcérés dans les prisons bruxelloises. Si l’un d’eux est transféré vers une prison plus lointaine, le suivi pourra se poursuivre, mais ce sera au détenu de se déplacer, lors d’un congé pénitentiaire ou d’une permission de sortie. Julie Gérard, médiatrice de dettes, est arrivée dans le service à la fin mars 2018, a déjà à sa charge 25 dossiers de médiation de dettes et cela va sûrement encore augmenter. Elle explique: «Le fait de se rendre à la prison modalise le travail, le ralentit, mais en même temps c’est important que la société continue de s’investir dans ces lieux fermés et que les détenus se sentent suivis.» Benoît Englebert, coordinateur du service, met aussi l’accent sur la motivation: «Le travail social n’est pas évident, ce public est volatil, très fragile, il décroche facilement et il est important de discuter de la motivation, surtout si c’est la famille qui insiste pour entamer une médiation de dettes ou si c’est un juge qui a ordonné une mesure d’accompagnement. Il faut que la personne se sente concernée. En cas de décrochage, on doit aussi décider de mettre fin au suivi, pour libérer du temps pour d’autres prises en charge et aussi pour garder des relations correctes avec les créanciers avec lesquels on aurait négocié.»

Une des particularités de ces dossiers réside dans le fait qu’on y trouve des amendes pénales, parfois très lourdes. Idem pour les frais de justice qui découlent d’analyses ADN et d’autres recherches spécifiques, et qui peuvent grimper très vite. Julie Gérard, médiatrice de dettes

Selon Julie Gérard, les situations d’endettement peuvent être très variables: l’endettement peut être très léger au moment de l’incarcération, et il s’agit de bien gérer la situation pour que l’effet boule de neige des factures impayées, suite à l’incarcération, ne se produise pas. Mais parfois aussi le surendettement est déjà très important, avec des infractions de roulage, des frais de stationnement impayés, des amendes SNCB, STIB, des dettes d’hôpital, de loyers, d’abonnements à des salles de sports… «Une des particularités de ces dossiers réside dans le fait qu’on y trouve des amendes pénales, parfois très lourdes. Idem pour les frais de justice qui découlent d’analyses ADN et d’autres recherches spécifiques, et qui peuvent grimper très vite. On doit également tenir compte de l’indemnisation des parties civiles, pour lesquelles il peut être important de proposer un paiement, mais qui sera le plus souvent symbolique car les détenus n’ont bien souvent aucun disponible, sauf peut-être le peu qu’ils gagnent en prison.»

Autre possibilité évoquée: le règlement collectif de dettes (RCD) qui pourrait être considéré comme une solution en cas de surendettement irrémédiable. Mais, selon la médiatrice de l’ORS, «cette solution n’est pas forcément adaptée. La question des amendes pénales se pose, mais également celle de l’adéquation d’une telle procédure au profil de certaines personnes incarcérées qui déjà ont du mal avec l’autorité».

Faire amende honorable

La question du surendettement intervient également dans le cadre des demandes de libération conditionnelle: en effet, la mise en place d’une médiation de dettes ou le paiement de certains montants, notamment dans le cadre de l’indemnisation des parties civiles, peuvent avoir un impact positif lors du passage devant le tribunal d’application des peines (TAP).

Jean-François Funck, qui a longtemps été juge du travail et a traité de nombreuses procédures en RCD, est aujourd’hui juge au tribunal d’application des peines de Bruxelles. Pour obtenir une libération conditionnelle ou la surveillance électronique, il explique que le détenu doit faire une demande et présenter un plan de reclassement, dans lequel un logement doit être prévu pour sa sortie de prison, mais aussi un projet de travail ou de formation, ainsi que, bien souvent, un suivi psychologique. Selon Jean-François Funck, «dans le plan de reclassement, il peut être prévu également qu’une médiation de dettes sera entamée ou, le cas échéant, a déjà été entamée en prison. Un tel dossier peut avoir été préparé par le détenu et son avocat, mais aussi avec l’aide du service psychosocial de la prison qui attire l’attention du détenu sur l’intérêt de prévoir une telle mesure. On peut y voir un côté utilitariste pour avoir le meilleur dossier possible, mais cela peut réellement aider au reclassement. Il se peut aussi que le TAP suggère la mise en place d’une médiation de dettes ou l’introduction d’une procédure en règlement collectif de dettes, sans pour autant l’imposer. Il faut une démarche volontaire. Les efforts accomplis pour indemniser les parties civiles sont également pris en compte, même s’il s’agit de montants symboliques. Si de telles mesures sont intégrées dans le plan de reclassement, le TAP les transformera en condition de la libération et l’assistant de justice contrôlera si elles sont bien mises en œuvre».

Cela étant, l’ex-juge du travail s’interroge sur la difficulté pour ce public d’accéder à la procédure en RCD et se souvient de la réticence d’un certain nombre de ses collègues d’alors d’accepter ce type de requête, considérant entre autres arguments que la personne délinquante a posé des actes volontaires qui ont généré une situation financière problématique et ne pourrait dès lors pas prétendre à bénéficier d’une telle procédure. «Il s’agit là d’une appréciation hâtive, qui ne tient pas forcément la route sur le plan de l’argumentation juridique et qui prive peut-être des personnes bien intentionnées d’une procédure qui pourrait leur permettre de se rétablir financièrement. Malheureusement, ce type d’attitude pousse parfois certains ex-délinquants à commettre de nouveaux faits délictueux pour espérer mettre fin à cette situation de surendettement.»

Le boulet des amendes pénales

De l’avis de plusieurs juges du travail interrogés, l’introduction de RCD par des détenus ou d’ex-détenus semble extrêmement rare. Conseiller à la cour du travail du Hainaut, Christophe Bedoret confirme cette situation, même s’il dit dans le même temps que «rien n’empêche un détenu ou ex-détenu d’introduire un RCD, même s’ils n’ont pas de revenus ou ont des revenus minimes. Cela peut avoir des conséquences douloureuses sur le plan du patrimoine, notamment la vente de tous les biens du médié en cas de remise de dettes, mais cela peut permettre d’aller vers un mieux. Un certain nombre de décisions de rejet des requêtes se basent en effet sur une prétendue organisation d’insolvabilité qui empêcherait l’entrée en RCD. Celles-ci, lorsqu’elles ont fait l’objet d’un recours, sont généralement réformées en appel». Le juge Bedoret tempère néanmoins ses propos sur cette accessibilité de la procédure aux détenus par le fait que le dossier comprendrait trop de dettes incompressibles, comme c’est le cas des amendes pénales souvent présentes dans le «portefeuille de dettes» des détenus et ex-détenus. «Or on ne fait de RCD que s’il y a une perspective de redressement de la situation financière. Et, si les amendes pénales, les frais de justice et l’indemnisation des victimes s’avèrent trop massifs, ce redressement s’avérera impossible.» Des controverses existent sur le caractère incompressible des frais de justice et de l’indemnisation des parties civiles, mais le caractère super-incompressible des amendes pénales, lui, est sans conteste et est inscrit dans la loi, mais aussi dans la Constitution. «Seul le recours en grâce, prévu dans les articles 110 et 111 de la Constitution, pourrait permettre de les effacer.»

 

Alors qu’auparavant, l’exécution des amendes pénales n’était pas menée de manière très active, depuis une bonne année, le SPF Finances s’active à récupérer des amendes parfois en sommeil depuis plus de dix ans, étant donné les très longs délais de prescription en vigueur. Delphine Paci, Organisation internationale des prisons

 

À l’évocation de cette piste, Delphine Paci, avocate, présidente de la section belge de l’Organisation internationale des prisons et assistante aux Facultés Saint-Louis, émet les plus vives réserves, car il n’y a quasi aucune chance d’obtenir une grâce royale, cette mesure étant la dernière des priorités des parquets et n’étant plus du tout usitée, sauf à de quelques très rares exceptions (1.000 grâces entre 2003 et 2005; 23 en 2015, essentiellement pour des raisons de santé). Qui plus est, pour cette avocate pénaliste, «alors qu’auparavant, l’exécution des amendes pénales n’était pas menée de manière très active, depuis une bonne année, le SPF Finances s’active à récupérer des amendes parfois en sommeil depuis plus de dix ans, étant donné les très longs délais de prescription en vigueur. Autre signe de durcissement: le projet de réforme du Code pénal qui prévoirait une peine de prison pour non-paiement des amendes pénales, projet dont se sont récemment désolidarisés le magistrat Damien Vandermeersch et la professeure de l’Université d’Anvers Joëlle Rozie en quittant la Commission de réforme du Code pénal».

Pourquoi un tel sort réservé aux amendes pénales? Pour d’aucuns, il faut y voir la sanction au fait d’avoir posé un acte répréhensible mettant à mal l’ensemble de la collectivité et à laquelle on ne peut dès lors se soustraire; pour d’autres, le poids d’un certain moralisme public. Dans bien des cas, c’est malheureusement la marque de l’impossibilité d’un reclassement et une condamnation à vie.

 

En savoir plus

Support informatif trimestriel, méthodologique et réflexif, les Echos du crédit et de l’endettement abordent les réalités des professionnels impliqués dans les dossiers du surendettement, fournissent des outils et proposent des mises à jour en matière juridique. www.echosducredit.be

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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