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Emploi/formation

Sikhs de Belgique: des exploités, des exploiteurs

La communauté sikhe de Belgique est importante. À Liège et surtout à Saint-Trond, ces immigrés, indiens pour la plupart, travaillent à différents niveaux de la production de fruits – de la cueillette à la vente. La «success story» serait parfaite si ce n’étaient ces cas récurrents de traite des êtres humains. Où des sikhs sont à la fois victimes et coupables.

La communauté sikhe de Belgique est importante. À Liège et surtout à Saint-Trond, ces immigrés, indiens pour la plupart, travaillent à différents niveaux de la production de fruits – de la cueillette à la vente. La «success story» serait parfaite si ce n’étaient ces cas récurrents de traite des êtres humains. Où des sikhs sont à la fois victimes et complices.

Cela fait plus de vingt ans que des sikhs sont installés à Saint-Trond et dans ses environs. Le dimanche, le temple de Hoepertingen, l’un des trois lieux de culte sikh de la région, ne désemplit pas. «Ils sont entre quatre et cinq cents personnes à venir ici chaque semaine», nous informe Inderjit Singh, l’un des «piliers» du temple, qui arriva dans les années 90 à Saint-Trond.

Au fond du bâtiment trône le Guru Granth Sahib, le livre saint du sikhisme, devant lequel des fidèles s’inclinent discrètement. L’ambiance est décontractée. Des dizaines de personnes mangent à mains nues du riz parfumé dans un plateau de fer. «Nous faisons à manger gratuitement pour tout le monde, car n’importe quelle personne peut venir ici, déclare Inderjit. Le gurdwara (le temple) est ouvert de 5 heures du matin à 10 heures du soir.»

On ne sait pas exactement combien de sikhs (et donc de «Singh», vu qu’il s’agit du nom religieux masculin des adeptes de cette religion) vivent aux environs de Saint-Trond. Trois mille probablement. Cinq mille, affirme Inderjit, en montrant les travaux d’extension du temple.

La communauté est organisée. Elle se réunit le week-end. Jawinder, tenancier d’un night-shop du centre-ville, organise des matchs de cricket. Et surtout, cette communauté s’entraide. «Si quelqu’un a besoin de travail, je connais pas mal de monde, je peux les mettre en relation», explique Inderjit.

Le boulot qu’on trouve à Saint-Trond, lorsqu’on est peu qualifié, c’est essentiellement la cueillette de fruits. Dans les vergers du Limbourg, on aperçoit souvent des turbans qui avancent avec prestance. Des sikhs qui cueillent, et notamment des personnes très âgées. «Car elles n’ont rien d’autre», précise notre guide.

En vingt ans, la position des sikhs à Saint-Trond a changé. À force, des liens se sont tissés avec les agriculteurs du cru. On croise souvent des Indiens aux postes de contremaître. D’autres sont eux-mêmes devenus des «patrons», généralement dans la production de fraises. Il y a des sikhs au triage des pommes ou à la criée. Et toujours des cueilleurs, même si ceux-ci éprouvent des difficultés. «Beaucoup ont du mal à trouver un boulot cette année, à cause du problème avec la Russie», analyse Jawinder. «Pas mal de sikhs ne sont pas contents car maintenant ce sont les Polonais qui font le travail de cueillette et ils sont moins payés», observe Michèle Tabruyn, une assistante sociale de Saint-Trond.

Du Pendjab au Limbourg

Mais comment expliquer que ces ressortissants indiens aient débarqué en nombre dans cette petite commune de Belgique, probablement peu connue en Asie? Dans les années 80, à la suite de l’assassinat d’Indira Gandhi par des sikhs, ces derniers font l’objet d’une répression féroce. Des sikhs fuient le Pendjab, certains s’installent en Belgique et demandent l’asile.

Lili Van Heers, habitante du Limbourg et auteure du livre Le sikhisme et les sikhs, raconte l’arrivée de ces immigrés à Saint-Trond: «Ils viennent d’une région agricole et pouvaient travailler dans l’agriculture. Dans le même temps, les agriculteurs belges étaient très heureux d’embaucher des travailleurs pas chers qui travaillaient beaucoup.» Ce que confirme Inderjit: «En Inde, nous travaillions aussi dans les champs. Pour cueillir des fruits, pas besoin d’expérience ni de formation.» Et puis les agriculteurs semblent plus facilement accepter le turban que les patrons d’usine.

Les sikhs, ces immigrés «visibles», avec leurs costumes, leurs coutumes et leurs turbans s’installent et travaillent en pleine campagne. Ils suscitent la méfiance et seront, en 1993, victimes d’attaques racistes extrêmement violentes. Puis, au fil des années, ils feront peu à peu partie du paysage. «Aujourd’hui l’entente est très bonne», nous assure Inderjit.

Des cas de traite…

Mais certains membres de la communauté sikhe de Belgique ont aussi leur face sombre. Elle concerne l’exploitation de la main-d’œuvre.

Sur ce thème, les représentants de la communauté sont peu diserts, tout comme les employés de la cellule intégration de la commune. Il faut dire que le sujet est très sensible. Le 21 octobre, le bourgmestre de Vilvorde ordonnait la fermeture du temple sikh mêlé à une affaire de traite des êtres humains. Dans le domaine de l’agriculture, la plupart des jugements récents de traite des êtres humains impliquent des sikhs. Soit en tant que victimes, soit en tant que pourvoyeurs de main-d’œuvre. Le 27 mai 2014, un Indien et cinq prévenus belges, des agriculteurs, ont été condamnés par le tribunal de première instance de Namur à des peines lourdes (dont de la prison pour le ressortissant indien). Selon le tribunal, c’est un véritable «système» que le ressortissant indien avait mis sur pied. Il mettait en relation des Indiens sans papiers avec des agriculteurs de Wallonie. Une cinquantaine de travailleurs avaient été concernés. Ils travaillaient près de douze heures par jour, «dans un état de délabrement vestimentaire avancé» pour un salaire modique d’environ 5 euros par heure sur lequel était perçue une commission par l’intermédiaire.

Claude Dedoyard, auditeur du travail à Namur, évoque un autre cas récent «où des gens d’origine indienne arrivaient via des réseaux de passeurs. On leur avait confisqué leurs passeports et un compatriote leur proposait un travail». Dans ces cas-là, le lieu de rencontre, c’est Saint-Trond. Là où gravite une partie de la communauté sikhe, y compris les nouveaux arrivants, pas toujours en possession de papiers.

Même si la cueillette emploie moins de sans-papiers qu’auparavant, les quelques cas d’infraction sur lesquels tombe encore l’inspection du Limbourg concernent régulièrement des sikhs. Kristien Colman, du contrôle des lois sociales limbourgeois, se souvient, amusée: «Il y avait un groupe d’Indiens qui utilisaient tous la même carte cueillette. Vingt-cinq personnes étaient inscrites, mais avec le même nom.»

Dans un cas plus récent, et non encore jugé, un producteur d’Haccourt, non loin de Liège, avait exploité 14 ressortissants indiens et une dizaine de Polonais. Là encore, les salaires ne dépassaient pas les 5 euros, les Indiens étaient entassés dans une remorque et le logement, pour les Polonais, était «en dessous de tous les niveaux d’hygiène», pour citer une source policière. Cette dernière affirme que d’autres producteurs de fruits agissent de la même manière. Cette source sait aussi, de par ses contacts avec la communauté, que bien souvent un entremetteur indien empoche lui-même une commission sur les bas salaires des employés, souvent après les avoir acheminés vers les vergers.

Les cas révélés et jugés sont peu nombreux. Mais ils existent. «Souvent les producteurs embauchent de la main-d’œuvre indo-pakistanaise. Beaucoup de transactions se font encore de la main à la main dans l’agriculture. Ce qui permet de payer des employés au noir. Les sikhs travaillent bien et longtemps, qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont là, sans rouspéter. Donc, des agriculteurs savent les exploiter facilement avec une qualité de travail très bonne.» Lili Van Heers, elle, a bien entendu «des cas d’exploitation, notamment de sikhs par d’autres sikhs. Mais il ne faut pas exagérer. Ces cas impliquent souvent des Indiens sans papiers, et quand ils n’ont pas de papiers, ils doivent prendre ce qu’ils peuvent».

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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