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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Secteur jeunesse: les nerfs à vif

Un article dans Le Vif/L’Express génère des tensions dans le secteur jeunesse. Au cœur de la discorde, on trouve 149.000 euros. Leur répartition suscite la controverse. Au-delà des soupçons de favoritisme, cet épisode fait resurgir des débats de fond.

26-05-2015
© Magdalena Roeseler

Un article dans Le Vif/L’Express génère des tensions dans le secteur jeunesse. Au cœur de la discorde, on trouve 149.000 euros. Leur répartition suscite la controverse. Au-delà des soupçons de favoritisme, cet épisode fait resurgir des débats de fond.

«Accuser après quelques mois une ministre et salir un secteur, c’est immature et suicidaire.» Cette phrase, lâchée par Yamina Ghoul, secrétaire générale de la Confédération des organisations de jeunesse indépendantes et pluralistes (COJ), reflète bien l’ambiance qui règne ces jours-ci au sein du secteur des organisations de jeunesse. Une ambiance à couteaux tirés qui fait suite à un article publié dans Le Vif-L’Express du 17 avril intitulé «Soupçons autour des subsides à la jeunesse».

Dans cet article, on apprenait que la ministre de la Jeunesse, Isabelle Simonis, avait décidé de répartir 149.000 euros sans suivre totalement l’avis de la Commission consultative des organisations de jeunesse (CCOJ). Rappelons que la CCOJ regroupe les cinq fédérations d’organisations de jeunesse. Elle émet des avis sur des enjeux purement sectoriels. La ministre est libre de les suivre.

«Pourquoi nous demander notre avis, si c’est pour ne pas le suivre», s’interroge un responsable d’organisation de jeunesse (OJ)? Les cinq fédérations se sont prononcées unanimement pour qu’une organisation de jeunesse, Vacances vivantes, affilée à la COJ, reçoive un agrément au titre d’organisation de jeunesse (85.000 euros). Le reste de la somme devait être réparti entre des organisations de jeunesse, affiliées aux différentes fédérations, via des «sauts de classe», soit l’équivalent de 12.000 euros par structure, sachant qu’un saut de classe est un financement supplémentaire auquel une OJ peut prétendre en fonction du nombre de ses activités ou du nombre de membres dont elle peut se prévaloir. Les sauts de classe sont octroyés dans les limites des budgets disponibles.

Isabelle Simonis a bien décidé d’agréer Vacances vivantes, mais, plutôt que «saupoudrer» le solde entre différentes OJ, elle a tranché en faveur de l’octroi d’un deuxième agrément structurel de 85.000 euros pour Promo jeunes, une OJ qui, pour l’instant, n’est affiliée à aucune fédération.

«Pourquoi nous demander notre avis, si c’est pour ne pas le suivre.» Un responsable d’OJ

Favoritisme?

Une partie du secteur conteste ce choix. Des conjectures ont vite été émises, soupçonnant le cabinet d’Isabelle Simonis de faire œuvre de favoritisme. Les trois spécialistes jeunesse du cabinet sont issus d’associations membres de la COJ. Deux travaillaient au sein de la fédération Infor-jeunes, un autre était permanent de la Fédération des maisons de jeunes.

L’article du Vif suggère que le choix de Promo jeunes n’est pas neutre et répondrait au lobbying de certaines fédérations. Promo jeunes, bien que non affiliée, envisagerait de rejoindre les rangs de la COJ ou de la fédération socialiste Pro-jeunes. Yamina Ghoul estime que cette affirmation est «scandaleuse», car «Promo-jeunes n’a jamais fait de démarches pour s’affilier à la COJ». Côté socialiste, Carlos Crespo ne cache pas que sa fédération a «eu des contacts avec Promo jeunes, mais jusqu’à présent, ils ont toujours fait le choix de ne pas s’affilier». Quant à la porte-parole de la ministre, Stéphanie Wilmet, concernant le cabinet d’Isabelle Simonis, elle assume le choix d’une sélection «de gens issus du secteur et qui partagent le projet socialiste. Qu’ils viennent de la COJ, par contre, est un hasard», ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, si certains, comme Marc Chambeau, de la Fédération des maisons de jeunes (et ancien membre du cabinet d’Évelyne Huytebroeck, la précédente ministre, NDLR), comprennent «que des fédérations s’interrogent sur les choix de la ministre au vu de la composition de son cabinet et du fait que la COJ a beaucoup raflé», la plupart des fédérations préfèrent calmer le jeu.

Au Conseil de la jeunesse catholique, par exemple, on estime que «l’accusation de favoritisme est un peu trop forte à ce stade», même s’il constate que «certaines organisations bénéficiaires du choix de la ministre avaient eu les informations avant les autres». Au sein de la fédération «Jeunes et libres», d’obédience libérale, Kathleen Delvoye pense que le principal problème que pose le choix de la ministre est d’avoir «foulé aux pieds» la concertation entre organisations de jeunesse aux orientations philosophiques différentes. Bref, on repolitise le débat.

Répartir ou structurer

Le 28 avril 2015, au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Isabelle Simonis, la ministre de la Jeunesse, a expliqué ses choix. Si l’on devait répondre à l’ensemble des demandes du secteur jeunesse – «sauts de classe» et agréments –, un montant de 935.437 euros serait nécessaire. La petite manne dont disposait Isabelle Simonis était d’un peu moins de 150.000 euros. Il fallait donc trancher.

Pour ce faire, il existe deux modèles. Soit répartir entre fédérations des petites sommes qui soutiendront l’activité d’une poignée d’OJ, soit octroyer un agrément, donc un appui conséquent, à une nouvelle organisation de jeunesse. C’est ce second choix que la ministre a fait, avec comme idée de structurer le secteur plutôt que saupoudrer. Pour plusieurs organisations de jeunesse, Isabelle Simonis a opté pour l’agrément car c’est toujours plus «valorisant, plus vendeur de reconnaître de nouvelles associations». En faisant cela, on laisse une petite trace visible dans l’histoire du secteur.

Ces mêmes OJ rappellent la situation critique dans laquelle elles surnagent. «Chaque année le coût de l’emploi augmente, rappelle Julien Bunckens, secrétaire général de la CJC. Comment y faire face alors que nos subventions structurelles ne bougent pas et qu’on ajoute des associations dans une enveloppe fermée? Je pense qu’il vaut mieux assurer un financement stable à ce qui existe plutôt qu’élargir le secteur en agréant une nouvelle OJ.» Dans ce contexte, 12.000 euros n’auraient pas été de refus.

Les commissions consultatives: règne des marchands de tapis?

«Nous avons mis des années à construire une confiance entre fédérations. Aujourd’hui, c’est terminé.» Kathleen Delvoye, fédération Jeunes et Libres

L’autre critique qu’adressent des OJ à leur ministre de tutelle concerne la dynamique de concertation entre fédérations. Julien Bunckens, par exemple, regrette l’absence «d’équilibre fédératif dans la décision de la ministre». «Nous avons mis des années à construire une confiance entre fédérations renchérit Kathleen Delvoye. À dépasser les clivages politiques. Aujourd’hui c’est terminé. Tout le monde va aller voir la ministre avec ses propres revendications.»

Car les avis de la CCOJ sont l’objet d’intenses tractations. Surtout lorsqu’on y parle argent. On tente de proposer une répartition des sommes équitable entre les différentes tendances. «La ministre touche à cet équilibre délicat entre nous», ajoute une source anonyme.

Cette façon de faire du «donnant-donnant» n’est pas forcément du goût de tout le monde. Marc Chambeau, qui participe aux discussions au sein d’une autre commission (la Commission consultative des maisons et centres de jeunes), regrette que les débats, dans ces cénacles, tournent bien souvent aux «discussions de marchands de tapis, bien plus que sur le fond. On essaye de se répartir l’argent de manière équitable sans regarder si tel projet est intéressant». Un constat que ne nie pas Kathleen Delvoye: «C’est vrai que les discussions tournent souvent au ‘donnant-donnant’, mais la finalité est que tout le monde y trouve son compte.»

Pour Marc Chambeau, cette saga autour de l’attribution de subsides pourrait être l’occasion de s’intéresser davantage au «fond des projets». Les commissions consultatives pourraient émettre leurs avis en fonction de critères un peu plus transparents, relatifs à la pertinence des projets. «Une réflexion pourrait avoir lieu sur ce que signifie avoir des priorités dans le cadre d’une pratique de répartition de financements», nous glisse-t-on du côté de l’Observatoire de l’enfance de la jeunesse et de l’Aide à la jeunesse.

On sait d’ores et déjà que cette idée de «critères» ne suscite pas l’enthousiasme de toutes les fédérations. Notre anonyme, mentionné au préalable, pense que la recherche «de l’aspect qualitatif des projets est évaluée par l’inspection. Lorsqu’une OJ a eu des avis positifs de l’administration, de la CCOJ et de l’inspection, on estime ensuite que tous les projets se valent».

Les cinq fédérations se retrouveront lors de prochaines réunions de la CCOJ. Condamnées à travailler ensemble.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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