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Regard critique · Justice sociale

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« Santé mentale et société : entre qualité, contrôle social et angoisse »

02-06-1997

Les 13 et 14 mai, le service de santé mentale bruxellois « L’autre « Lieu »- Recherche-Action sur la Psychiatrie et les alternatives »1, organisait une rencontre autour du thème »Santé mentale & Société ».
L’objectif en était de « raviver des perspectives plus radicales » d’alternatives aux politiques et pratiques classiques d’internement psychiatrique, et ce avec un panel d’invités et unpublic issus d’horizons très différents (près de la moitié seulement des inscrits provenant du « monde » de la psychiatrie).
Dans son intervention du vendredi matin, le sociologue français Robert Castel reprenait quelques unes des grandes lignes de son récent livre sur l’histoire du salariat2. Pour lui, « Lasociété est malade du travail, de la sécurité qu’il implique; malade de leur remarchandisation ». Ainsi, l’enjeu des politiques sociales se situe aujourd’hui dans larégulation du marché du travail, dans les réglementations collectives du droit du travail. Les voies possibles dans ce sens du « redéploiement du salariat et desprotections sociales » sont sans doute nombreuses, mais pour Castel, « le scénario pessimiste est le plus probable ».
Les débat a alors enchaîné sur des propositions politiques pour contenir le marché: taxe Tobin, volet social de Maastricht, etc.
La première table ronde de l’après-midi3 était consacrée aux relations entre évolution du travail, pénurie d’emploi et santé mentale.
Albert Carton, Secrétaire général de la CNE (CSC), a esquissé des parallèles entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas. D’un côté, lesnormes de qualité rendent difficile la séparation entre le vécu de la sphère professionnelle et la vie subjective personnelle : « mobilisation et adhésion de plus enplus totale de la personnalité », dévalorisation des qualifications, absence de discours sur les finalités des outils, souffrance… tous des éléments qui diffusentune certaine angoisse dans les situations de travail. De l’autre côté, se manifeste « l’exigence de l’individu total pour atteindre des performances d’insertion », des objectifs de retourau travail. Autrement dit, pour Carton, il y a « retournement de normes : les régles de protection sociale deviennent des demandes d’adhésion avec les sanctions » (ou avec les conditionsqui font qu’on entre ou pas dans le champ de ces règles) ; le résultat est une homogénéisation dangereuse et furtive de ces deux mondes.
Le Dr Léon Cassiers, psychiatre, a poursuivi en expliquant comment des gens en thérapie lient leur état à la perte de leur travail. Ils sont humiliés. Laréaction du thérapeute doit passer, dit Cassiers, par la nécessité de « faire sortir du rôle de victime : croire que les gens sont capables de repositiver leursituation pour leur donner une chance de s’en sortir. Repositiver dans les comme parvenir à cacher toutes ses failles ». Mais c’est là un travail à élaborer collectivementpour découvrir, les uns avec les autres, qu’on n’est pas seul dans la situation, et le mettre en mots : « dans les circonstances difficiles qu’on traverse, on souffre et on se débrouilled’autant mieux qu’on est ensemble », on a une expérience que les autres n’ont pas, on a quelque chose à leur dire.
La question du débat était dès lors de trouver comment ouvrir les portes à une telle prise de parole. Les expériences évoquées allaient del’expression artistique à la création de groupes de minimexés portant des revendications politiques. Tout en soulignant la dureté d’un contexte institutionnel qui tendà réprimer toute activité menée par des demandeurs d’emploi.
Micheline Roelandt, psychiatre et présidente de l’autre « Lieu » bouclait la discussion en une intervention synthétique : repartant de la relation étroite entre « qualité » etcontrôle social, et du marché et de la concurrence qui y semblent sous-jacents, elle se demande si, dans le psychosocial au sens strict, on ne serait pas en train de travailler à »entretenir dans l’humiliation les personnes exclues » (et donc à entretenir leur mauvais état de santé). « Parce que tout tend à prouver que qui est dans telle situation yest par sa propre volonté, tout va à l’encontre de l’estime de soi. » Ce qui, pour elle, « appelle le courage de ces travailleurs sociaux pour s’opposer aux réglementations quifonctionnent sur ces principes ». Ou, commei> »dire aux gens qu’il est légitime qu’ils soient fâchés ».
1 L’Autre « Lieu »- RAPA, rue Marie-Thérèse 61 à 1210 Bruxelles, tél. 02/230 62 60, fax 02/230 47 62.
2 Les Métamorphoses de la Question sociale, Fayard, 1995.
3 Deux autres suivaient, touchant respectivement les thèmes de la sécurité sociale en relation avec l’accès à la santé, et du financement au forfait desservices actifs en matière de santé.

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