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Sans-abri aux quatre saisons

Alter Echos fait le bilan des plans hivernaux, en Wallonie et à Bruxelles. Et tire des enseignements pour l’hiver prochain

L’hiver fut rude. La Région wallonne, la Région bruxelloise et le Fédéral ont tous trois dégagé des moyens pour renforcer les dispositifs d’accueil et d’hébergement des sans-abri. Ils ont répondu à l’urgence… Mais l’ont-ils dépassée ?

« Ça a fonctionné ! » Maggie De Block, la secrétaire d’Etat à l’Intégration est enthousiaste. Impliquée directement dans la gestion des plans hivernaux, ses efforts dit-on, ont portés leurs fruits : le gouvernement fédéral y a contribué financièrement et matériellement, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Si les données chiffrées ne sont pas encore disponibles, le cabinet s’est dit satisfait du déroulement d’un hiver pourtant « long et rude » qui a vu les dispositifs prolongés au-delà de la date prévue (15 avril au lieu du 31 mars). Cette constatation est conforme à la doctrine du « personne ne doit dormir dans la rue », leitmotiv de la secrétaire d’Etat.

Ce bilan encourageant n’est-il pas l’arbre qui cache la forêt ? Des distinctions sont à faire entre les plans fédéraux, bruxellois et wallon. La logique de renforcement des dispositifs qui découle des plans « grand froid » en Wallonie et « hiver » à Bruxelles est celle de « l’inflation », avant que la bulle ne se dégonfle d’un seul coup, affirment certains. D’autres, en Wallonie surtout, saluent un renforcement propice à la réinsertion. Tirons avec les principaux acteurs le bilan de l’hiver 2012-2013.

Statu quo en Wallonie

Globalement, c’est le statu quo par rapport à l’hiver dernier. On comptabilise 33 004 nuitées pour 2 177 personnes hébergées. Les moyens dégagés ont été supérieurs à l’enveloppe annoncée. Aux 405 000 euros débloqués par la Région wallonne, 45 000 ont été ajoutés afin de couvrir les frais de 15 jours supplémentaires. A titre d’exemple, le Relais social du Pays de Liège s’est vu octroyer 150.000 euros (100.000 du gouvernement wallon, 50.000 provenant du Fédéral). Dans la cité ardente, la courbe de la demande est croissante et fait craindre pour le futur étant donné que « les abris de jour et de nuit ont été durant toute la période à la limite de la saturation », peut-on lire dans le rapport d’activité du relais social. Eliane Tillieux, la ministre wallonne de l’Action sociale, bat en touche : « Le réseau n’est pas saturé. Nous répondons à la demande grâce à une coordination entre les acteurs sur un territoire complet. »

Une nouveauté est à marquer d’une pierre blanche : le gouvernement wallon a approuvé un arrêté qui pérennise le plan grand froid. L’enveloppe est donc garantie pour les années à venir quelque soit le contexte budgétaire.

Gestion de la demande à Bruxelles

A Bruxelles, personne n’a été contraint de dormir à la rue, se réjouissent sobrement les acteurs du secteur. Le Samu social, responsable de l’exécution du plan hiver, a tourné avec quatre sites (plus celui de Woluwe-Saint-Lambert). Les estimations confirment la tendance de l’hiver 2011-2012 : au 13 mars 2013 (les chiffres finaux ne sont pas encore connus), 91 331 nuitées avaient été offertes à 4 857 personnes. A la clôture du plan, 6 946 consultations médicales avaient par ailleurs été dispensées par Médecins du Monde (MdM)3, à qui le Samu social confie la gestion du volet médical des centres. Soit une hausse de 65 %, à incomber principalement à l’offre accrue. 300 places ont été débloquées dans le cadre du plan régional. 350 places l’étaient par le gouvernement fédéral. Lors des résurgences de froids, tant la Cocom que le gouvernement fédéral ont débloqué les budgets permettant d’augmenter la capacité d’accueil. Près d’un millier de places ont finalement été mises à dispositions.

Si l’urgence a été comblée, Yvan Mayeur, portant la double casquette de président du CPAS de Bruxelles-ville et directeur du Samu social, relève d’emblée les manques profonds appelant à des solutions structurelles : la mise sur pied d’un centre d’accueil pour les femmes isolées et leurs enfants, un dispositif médicalisé à l’abri pour assurer la convalescence et enfin un « volant d’amortissement » de quelques dizains de places.

Une nouveauté encourageante à Bruxelles : l’accompagnement en journée d’équipes médicales, sur rendez-vous, indispensable à la continuité de la prise en charge.

L’arbitraire « période hivernale»

La remise en question la plus fondamentale est celle de l’arbitraire lié à la période dite « hivernale », sans considération des données météorologiques. « C’est délirant, s’exclame Stéphane Heymans, responsable des projets belges de MdM ! A Bruxelles, on passe du jour au lendemain d’environ 200 places en abris de nuit à un millier et, après quatre mois, on doit tout arrêter. » Le sans-abrisme ne fond pas avec les dernières neiges et MdM plaide en faveur d’une redistribution plus équilibrée des moyens sur l’année entière.

Yvan Mayeur souhaite lui aussi dépasser l’urgence. Pour autant, « il faut aussi répondre à ces situations, clame-t-il ! Le choix est arbitraire, mais il est politique, donc nécessaire. Il ne serait pas grave de se limiter aux dispositifs saisonniers si l’on était capable de tirer les conclusions de nos choix et d’agir en fonction pour rectifier le tir. Mais cela ne se fait pas. »

Même discours côté liégeois : « L’accompagnement d’une population extrêmement précarisée et isolée doit se faire toute l’année. Mais les moyens manquent », regrette Yvon Henry, directeur du Relais social du Pays de Liège[x]1[/x]. « Cela n’a pas de sens, souffle Eliane Tillieux, les moyens supplémentaires pour répondre à l’urgence n’empêchent pas de préserver le niveau d’activité pendant le reste de l’année. » La ministre de va même plus loin : « L’hiver est une opportunité pour accrocher les personnes les plus éloignées des systèmes sociaux, de renouer avec elles des relations de confiance ». Ainsi, les structures mises en place doivent-elles procurer une aide de première ligne comme étape initiale vers la réinsertion sociale.

Yvon Henry dénonce ce paradoxe : « Le décret stipule de passer de l’urgence à l’insertion. Or les dispositifs hivernaux, qui respectent l’inconditionnalité absolue, créent un appel d’air vers les grandes villes. Le nombre élevé de demandeurs rend ce travail impossible ». Selon la ministre, les capacités d’accueil ont justement été accrues partout, garantissant ainsi une meilleure répartition sur l’ensemble du territoire.

Le logement d’abord

Faudrait-il garantir davantage de places structurelles d’hébergement ? Romain Liagre, de La Strada[x]4[/x], évoque plutôt des places mises à disposition sur des critères de vulnérabilité. Du côté du cabinet De Block, on s’y oppose. « Les sans-abri ne veulent pas s’inscrire dans cette logique-là. Ils sont demandeurs d’un chez-eux comme point de départ vers la réhabilitation », explique Els Cleemput, porte-parole de Maggie De Block. Une piste structurelle est à chercher du côté de cette innovation venue tout droit des Etats-Unis et soutenue par l’Union européenne comme par le gouvernement fédéral : le « housing first ». Les projets qui s’y inscrivent sont autant de traits d’union entre l’urgence de l’hiver et le long terme.

L’insertion par le logement
« Les dispositifs peuvent inclure des solutions à long terme, pour peu que l’on fasse preuve d’innovation », clame Suzanne Huygens. C’est le cas à Charleroi[x]2[/x]. « L’hiver est une période de crise lors de laquelle les sans-abri remettent en cause leurs a priori », motive-t-elle. La création du poste de « capteur-logement » approfondit le dispositif pérenne du « Housing first ». Cette personne, subventionnée par le ministre wallon du Logement Jean-Marc Nollet (Ecolo), a pour mission de démarcher les propriétaires privés afin qu’ils mettent des biens à disposition des sans-abri. Ce tiers apporte la garantie de sa présence en cas de litige. Sa mise en place lors de l’hiver 2012-2013
ne fut pas anodine. « L’hiver apparaît comme une période particulièrement difficile où la motivation quant à l’idée de retrouver un logement semble se manifester de manière plus importante. Au niveau institutionnel, l’hiver permet de dégager des moyens financiers supplémentaires. Enfin, (…) agir au cœur de l’hiver semble faciliter les contacts avec les propriétaires privés, plus sensibilisés à cette question », peut-on lire dans le rapport d’activité du Relais social. Lors de cette 1re expérience, 33 logements ont été captés. Au vu de ces bons résultats, ce poste sera subventionné à l’année.

La crise de l’accueil

Les réformes entreprises dans le domaine de l’immigration, notamment l’augmentation des capacités d’accueil de Fedasil (et dans le « tour de vis » que d’aucuns prêtent à la secrétaire d’Etat), ont permis que ces derniers ne viennent grossir la cohorte des sans-abri en quête d’un toit d’urgence comme lors des hivers passés. « Cela va beaucoup mieux », se réjouit Yvan Mayeur à Bruxelles. A Liège, les difficultés de gérer la population étrangère ont par contre été soulignées.

Coordination : cacophonie à Bruxelles, harmonie en Wallonie

A Bruxelles, où en est le dossier de création d’un service public d’urgence social, commun au Samu social, au secteur associatif et au secteur public de tout niveau de pouvoir pour gérer l’accueil d’urgence ? Un comité de coordination mis en place par les cabinets régionaux réunissait tous les mois les acteurs du secteur en associant le gouvernement fédéral à la réflexion. « La dynamique est positive », plaide vigoureusement Els Cleemput. « Il y a un pas vers un mieux », constate plus timidement Romain Liagre. La nuance est de taille, en témoigne la réaction plus que dubitative d’Yvan Mayeur : « La seule chose qui lie un secteur désuni est son opposition à faire de l’urgence. Mais ces palabres ne débouchent sur rien de concret. Ce qui fonctionne, ce sont les actions mises en place de concert par les opérateurs publics et le Samu social ».

La situation est toute autre en Wallonie, où la mise en réseau d’un nombre important de partenaires est jugée « réussie ». Opérateurs de terrain, autorités, police locale, Défense et SNCB se sont concertés régulièrement et sont parvenus à coordonner leurs actions.

Alors que reviennent les beaux jours, les acteurs du secteur envisagent déjà l’hiver prochain. « Nous sommes davantage dans la préparation que dans la réaction », note Romain Liagre. Un indispensable bilan chiffré à l’échelle nationale viendra d’ici peu étayer les premières constatations. « Nous avons développé les bons moyens. A nous de les mettre en pratique », ponctue Els Cleemput !

1. Relais social du Pays de Liège :
– adresse : rue des Guillemins, 52 à 4000 Liège
– tél. : 04 230 53 70
– courriel : info@rspl.be
– site : http://www.rspl.be
2. Relais social de Charleroi :
– adresse : boulevard Jacques Bertrand, 10 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 506 731
– courriel : [mail=relais.social.charleroi@skynet.be]relais.social.charleroi@skynet.be[/mail]
– site : http://www.relaissocialcharleroi.be

3. Médecins du Monde :
– adresse : rue Botanique, 75 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 225 43 00
– courriel : info@medecinsdumonde.be
– site : http://www.samusocial.be

4. La Strada :
– adresse : avenue Louise, 183 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 552 01 78
– courriel : rliagre@lastrada.irisnet.be
– site : http://www.lstb.be

Aller plus loin

Alter Echos n° 349 du 19.11.2012 : Santé des sans-abri : accrocher les invisibles

Alter Echos n° 349  du 19.11.2012 : Il n’y a pas que les nuits qui sont froides

Alter Echos n° 349  du 19.11.2012 : pas de crise de l’accueil cet hiver ?

Valentine Van Vyve

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