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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Rester ouverts à tout prix

À Schaerbeek, l’AMO «AtMOsphères» a dû se réinventer pour poursuivre ses activités en pleine pandémie. Les travailleurs sociaux se battent au quotidien pour maintenir le lien avec les jeunes. En espérant pouvoir, rapidement, tourner la page de cette période difficile.

La porte est verrouillée, avec obligation pour chaque visiteur de sonner et d’attendre dehors. Personne au guichet pour nous accueillir. C’est le directeur en personne qui dévale les escaliers pour ouvrir la porte. La bouteille de désinfectant pour les mains, qu’il brandit en nous voyant, ressemble à un spray pour nettoyer les vitres. «Il sent très mauvais, prévient Khaled Boutaffala en rigolant. Tous les jeunes s’en plaignent. Mais on n’y peut rien, c’est celui qui nous a été fourni. On en a plein les placards.» Un an déjà que cette pandémie inattendue s’est abattue brusquement sur le monde. Après un temps de sidération, la société s’est petit à petit adaptée avec une certaine résilience, adoptant une série de gestes et de comportements «barrières» qui nous auraient paru incongrus, voire totalement absurdes, il y a quelques mois encore. Lavage de mains, masques, distances sociales… Autant d’obstacles et de contraintes quand on gère un service dont la vocation première est justement fondée sur la rencontre et le lien social. Chez AtMOsphères, les mesures sanitaires sont un véritable casse-tête quotidien, entre la nécessité de préserver la santé des travailleurs de l’association et celle de maintenir des activités les plus ouvertes et accessibles possible. Un casse-tête auquel s’attelle tout le staff, avec professionnalisme, en redoutant que le lien avec les jeunes s’effrite, si la crise venait à s’éterniser.

«Il y a quatre ans, j’avais de gros problèmes scolaires Je suis venue ici et ils m’ont beaucoup aidée.» Chaïma, 17 ans

Permanences

Agréée AMO (Service d’action en milieu ouvert de l’Aide à la jeunesse) en 1997, AtMOsphères déploie ses activités au cœur de Schaerbeek, entre la place Collignon et la place Verboekhoven, mieux connue des Bruxellois pour son surnom de «Cage aux ours». En plus de permanences individuelles, organisées dans les locaux de l’asbl, sur rendez-vous, des permanences de rue sont également instaurées tout au long de l’année dans le quartier, ainsi que de nombreuses activités de groupe (sportives, culturelles…). Avec la pandémie, toutes ces missions ont été perturbées. «Au tout début, lors du premier confinement, nous avons été contraints de travailler à bureaux fermés», explique Khaled Boutaffala. Les permanences sociales se sont organisées sur rendez-vous. Des vitres en Plexiglas ont été déployées dans les bureaux où se déroulent les entretiens. Les activités de groupe ont toutes été annulées. Pour maintenir le lien avec les jeunes, privés d’école et confinés chez eux, l’association met alors sur pied un service de photocopies que les travailleurs sociaux viennent livrer à domicile, sur le pas de la porte. Une manière de maintenir le lien avec les jeunes, tout en rendant un vrai service éducatif. Il est souvent plus facile, en effet, de faire ses travaux scolaires sur papier que sur écran. La fracture numérique est une réalité dans beaucoup de familles. Depuis l’été, les activités ont pu reprendre, mais pas sur le mode habituel. Le matériel utilisé pour les rencontres en plein air (ballons, diabolos…) a provisoirement été supprimé. Pour les activités en intérieur, les jeunes doivent s’inscrire au préalable, via les réseaux sociaux de l’association, et les groupes sont limités à quatre personnes. Autrefois, les portes étaient ouvertes et les jeunes du quartier se sentaient chez eux dans les locaux d’AtMOsphères. Cette situation est difficilement tenable sur le long terme, d’après plusieurs membres du staff.

En plus de permanences individuelles, organisées dans les locaux de l’asbl, sur rendez-vous, des permanences de rue sont également instaurées tout au long de l’année dans le quartier.

Tournée

En ce dernier jour de cours avant le congé de carnaval, Hassan El Arnouki et sa collègue Magali s’apprêtent à sortir pour une tournée des écoles dans le quartier. Les deux travailleurs sociaux d’AtMOsphères vont tenter d’être présents à temps pour trois sorties d’écoles sur une heure de temps de midi. Une présence symbolique destinée à la fois à rencontrer des jeunes et à maintenir un lien ténu, dans ce contexte si particulier. «Le fait de nous voir à la sortie de leur école, c’est une façon de dire aux jeunes: ‘vous venez chez nous mais nous aussi on vient chez vous’, explique Hassan. Le lien avec un jeune n’est jamais acquis.» Il peut disparaître à tout moment, et en un rien de temps. Une lumière magnifique inonde les rues bruxelloises ce jour-là. Mais le froid de canard qui l’accompagne ne risque pas de favoriser les longues discussions en plein air. «C’est plus facile l’été», concède Magali. Et les masques obligatoires sont une barrière symbolique supplémentaire. Près de l’Institut Cardinal Mercier, quatre jeunes garçons sont installés sous le porche d’une église. Hassan et Magali ne les ont jamais vus. Ils les abordent avec quelques dépliants de l’association. «Vous ne connaissez pas AtMOsphères? On n’est pas loin, sur la chaussée de Haecht. N’hésitez pas à venir nous voir, pour quoi que ce soit. Si vous avez besoin d’aide pour un CV par exemple. Et si vous aimez la musique, on a un studio de musique dans nos locaux. Vous êtes les bienvenus!» La tournée continue. Deuxième école, 100 mètres plus loin. La sonnerie retentit. Un flot d’élèves se ruent sur la sortie et ne s’attardent guère sur le trottoir. Le froid est si mordant qu’il ferait déguerpir un ours polaire! Un jeune homme vient saluer les deux travailleurs sociaux d’AtMOsphères. Autrefois renvoyé de cet établissement, il y travaille aujourd’hui comme éducateur. Devant la troisième école, une jeune fille reconnaît Hassan et Magali et vient leur faire part d’un problème, survenu en classe quelques jours plus tôt.

Pour maintenir le lien avec les jeunes, privés d’école et confinés chez eux, l’association met alors sur pied un service de photocopies que les travailleurs sociaux viennent livrer à domicile, sur le pas de la porte. Une manière de maintenir le lien avec les jeunes, tout en rendant un vrai service éducatif.

Gaufres et café

Le lendemain, le soleil brille toujours autant, et le froid semble avoir redoublé de vigueur. Dans les locaux d’AtMOsphères, ça sent les gaufres et le café chaud. Fenêtres et portes grandes ouvertes, un petit groupe de jeunes s’applique à préparer une collation pour les sans-abri de la gare du Nord. Une activité est organisée par groupes de quatre tous les samedis, depuis la crise du Covid, car elle s’accorde assez bien avec les mesures sanitaires imposées à l’association. Un énorme écran digital retransmet un clip dont les plus de 20 ans ignorent probablement les références. Masque sur le visage, Chaïma, 17 ans, verse la pâte à gaufres dans l’appareil. «Il y a quatre ans, j’avais de gros problèmes scolaires, explique-t-elle. Je suis venue ici et ils m’ont beaucoup aidée. Dorénavant, en semaine, je suis dans un foyer à Malines. Mais, le week-end, je continue de venir. Je me sens très bien ici.» Covid oblige, Chaïma doit s’inscrire au préalable sur les réseaux sociaux d’AtMOsphères pour annoncer sa participation à l’activité. Les règles permettent d’organiser des activités jusqu’à huit personnes. «Mais on garde une soupape de sécurité en limitant à quatre inscriptions», raconte Khaled. Nous allons comprendre pourquoi quelques heures plus tard… 16 h, bientôt l’heure de partir distribuer les gaufres et le café. Un groupe de cinq garçons se présente à la porte. Hassan leur ouvre et soumet leurs mains au fameux désinfectant. Il y a désormais neuf personnes à l’étage: une de trop, selon les normes en vigueur. Le port du masque est aléatoire, et Hassan et Khaled doivent souvent rappeler les jeunes à l’ordre. L’ambiance bat son plein au son des clips diffusés sur l’écran géant. Personne ne sera mis à la porte, mais le directeur s’impatiente et presse les jeunes de terminer rapidement les préparatifs pour sortir faire la distribution. «C’est parfois difficile, ce compromis permanent. Mais notre objectif est de rester ouverts à tout prix.» Être strict avec les règles sans jamais fermer une porte. Une position d’équilibriste à tenir coûte que coûte jusqu’au bout.

Grégoire Comhaire

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