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Pour lutter contre l’exclusion à Seraing, le mot d’ordre d’Optima : observer et réfléchir pour mieux agir1

Optima pour… Observation – Participation – Territoire – Intégration – Méthodologie – Action. Née à Seraing en 1998 àl’initiative d’intervenants de terrain préoccupés par la diversification et l’ampleur croissantes des problèmes des habitants, l’asbl Optima est unobservatoire socio-économique de la santé. Travaillant en partenariat avec plus de soixante organismes provenant de tous les secteurs, elle se définit comme un outil de luttecontre l’exclusion, favorisant le bien-être et l’intégration sociale, culturelle, sanitaire et économique des habitants. Elle s’est dotée d’outilspour produire collectivement et accumuler les connaissances utiles sur son territoire, et pour développer les actions qu’appellent les évolutions sociales qui se dégagentde ses analyses.

28-07-2005 Alter Échos n° 151

Optima pour… Observation – Participation – Territoire – Intégration – Méthodologie – Action. Née à Seraing en 1998 àl’initiative d’intervenants de terrain préoccupés par la diversification et l’ampleur croissantes des problèmes des habitants, l’asbl Optima est unobservatoire socio-économique de la santé. Travaillant en partenariat avec plus de soixante organismes provenant de tous les secteurs, elle se définit comme un outil de luttecontre l’exclusion, favorisant le bien-être et l’intégration sociale, culturelle, sanitaire et économique des habitants. Elle s’est dotée d’outilspour produire collectivement et accumuler les connaissances utiles sur son territoire, et pour développer les actions qu’appellent les évolutions sociales qui se dégagentde ses analyses.

Seraing. Aux portes de Liège, en bord de Meuse, un territoire autrefois agricole recensant aujourd’hui plus de 60 000 habitants, et dont l’histoire s’est construite aucours de deux cents ans d’activités et de restructurations sidérurgiques. Mais le déclin du secteur industriel, qui occupait plusieurs dizaines de milliers d’emploisau cours des années septante, a plongé la ville autrefois florissante dans une crise sociale inquiétante, que l’actualité économique de ces derniers mois netend pas à résoudre.

Chute spectaculaire de l’emploi, diminution du nombre d’habitants, dégradation urbaine et sociale des quartiers, apparition de chancres urbains liés àl’abandon des outils de production ; qu’ils soient sanitaires, sociaux, économiques ou environnementaux, avec le déclin progressif de l’activité industrielle(charbon, cristallerie, sidérurgie) les problèmes se sont rapidement multipliés.

Sur le terrain, comme à la maison médicale d’Ougrée (l’une des communes de la ville), les intervenants ont été confrontés à unecomplexité croissante de situations, débordant largement du cadre de la santé. « La conclusion en fut la décision, plutôt que d’intégrer descompétences dans l’équipe pour résoudre ces nouveaux problèmes, de mettre sur pied un partenariat », explique Jean-Marie Delvoye, directeur de l’asblOptima1, actuelle traduction juridique de l’initiative. Le but de cette association d’acteurs de terrain, née en 1998 : observer les problèmes pour mieux les comprendre,à travers une vision commune, et dégager des actions mieux adaptées aux besoins des usagers.

1. Partenariat et participation des habitants : deux principes d’action fondamentaux

Ainsi naquit Optima, observatoire permanent de la situation socio-économique et sanitaire sur le territoire communal de Seraing. Se définissant comme un outil de lutte contrel’exclusion, favorisant le bien-être et l’intégration sociale, culturelle, sanitaire et économique des habitants, l’asbl travaille sur un programme de cinq ans,en cours de reconduction, soutenu depuis 1998 par la Communauté française dans le cadre de la promotion de la santé et depuis 2001 par la Région wallonne et le Fondssocial européen dans le cadre de l’objectif II.

Elle œuvre à la construction d’un partenariat en s’appuyant sur la mise en réseau des acteurs et la participation des habitants, tant à traversl’observation qu’au niveau des actions. « La synthèse entre partenariat et habitants est réelle, puisque ce sont les partenaires eux-mêmes qui mettent sur piedles outils d’observation et qui récoltent les informations auprès de leurs usagers, ceux-ci entrant dès lors de plein pied dans la démarche de participation puisquec’est de leur expression de la situation que tout démarre », précise Jean-Marie Delvoye.

Un partenariat qui n’a cessé de s’étendre : au nombre de huit la première année, il dénombre aujourd’hui une soixantaine d’organismes,relevant de trois pôles : formation/insertion (ALE, Cefa, Comité subrégional, CPAS, Forem, EFT, régie de quartier…), économique (entreprises d’insertionmais aussi entreprises privées, écoles, asbl…) et socio-sanitaire (centres de guidance, ONE, échevinats, maisons médicales…). Selon Jean-Marie Delvoye, cesuccès – aujourd’hui corroboré par l’arrivée d’un quatrième pôle, celui du logement – est dû àl’interactivité entre les partenaires : « Au terme de chaque année d’observation, les résultats leur ont été présentés, et leformulaire d’entretien remanié, notamment pour mieux tenir compte des apports et des demandes des partenaires nouvellement représentés ».

2. Les outils de l’observatoire

Quels sont les problèmes essentiels, les besoins exprimés par la population de Seraing ? Ceux-ci sont détectés par le « guide de recueil de données», soit un questionnaire soumis aux usagers qui se présentent auprès d’un des partenaires de l’asbl. Les données recueillies sont ensuite analysées parun logiciel destiné à l’encodage et au traitement des informations recueillies, mis au point par le laboratoire universitaire français MTI@SHS (pour «Méthodologie et Technologies de l’Information appliquées aux Sciences de l’Homme et de la Société »). Outre ce logiciel, le dispositifdéveloppé par Optima utilise également un répertoire d’organismes et de services (initialement prévu pour le territoire de Seraing et récemmentadapté à l’échelle de l’arrondissement de Liège), et un logiciel permettant d’établir une cartographie des données de contexte.

Base du processus, le guide de recueil de données est un questionnaire fermé construit sur plusieurs pôles ; la situation personnelle de l’usager (y compris ses rapportsà la scolarité : niveau d’études, problèmes de violence à l’école, difficultés d’apprentissage, etc.), la situationsocio-économique du ménage (composition de la famille, nature des ressources, etc.), le logement, l’autonomie sociale (visant à définir l’intensité etla nature du lien social), et enfin la santé (utilisation du système de soins) et le bien-être de l’usager (relevant de notions comme les difficultés psychologiques,sentimentales, ou d’isolement). « Ces questionnaires sont plutôt des formulaires d’entretiens, lesquels sont menés par un intervenant qui adapte les questions enfonction de l’usager », précise le directeur d’Optima.

Conduits volontairement par les partenaires du programme avec l’accord des personnes impliquées, ils n’ont pas pour vocation de représenter au sens strict le territoiremais plutôt ses usagers, en relation avec leur environnement social, économique et urbanistique. Les 1986 situations individuelles observées jusqu’à présent neconstituent donc pas un échantillon de la population de Seraing, ni des populations les moins favorisées à Seraing, mais une « photographie de l’activité duprogramme de santé communautaire2 ». Leur exploitation statistique vise à poser un diagnostic, destiné à « améliorer la compréhensiondes situations des publics par les partenaires, et l’efficience des actions qu’ils conduisent3 ».

L’obtention d’une information plus globale sur leurs usagers permet aux partenaires d’identifier les problèmes auxquels ils sont confrontés, pour contextualiserl’aide qu’on leur propose. D’autre part, complète le directeur d’Optima, « à partir de ce bilan social individuel, diagnostic effectué parl’usager lui-même, on voit avec lui quel type de projet il veut développer, tant sur le plan professionnel qu’individuel, et on établit un plan d’action (voirplus loin). C’est donc un outil qui a une vocation tant d’évaluation individuelle que, grâce à l’encodage des parcours individuels, d’évaluationcollective, pour voir ce qui se passe au niveau de tout un territoire ».

3. Les résultats des analyses qualitatives : autonomie et précarité

« L’analyse qualitative permet d’identifier, parmi les personnes qui ont participé à l’observation en répondant au questionnaire, les groupesd’individus qui ont des difficultés ou des caractéristiques semblables, caractéristiques ensuite réfléchies en termes de causes, d’évolution etd’action », explique Jean-Marie Delvoye.

Conduite dès 2000 sur les données collectées en 1999, l’analyse de la première campagne d’entretiens vise une première approche des besoinsindividuels, et montre déjà clairement les rapports qui s’établissent entre la santé, la situation sociale et l’activité des usagers4 ;« On a vu apparaître deux groupes, détaille le directeur de l’observatoire. Le premier constitué de personnes moins autonomes, sur le plan social et de lasanté. Essentiellement des personnes âgées, mais aussi des jeunes, avec un niveau de qualification relativement faible, les répertoriant dans la même catégorieen raison de la perte d’autonomie sur le plan social. Le second groupe est quant à lui composé de personnes au statut économique précaire : ce sont deschômeurs, des demandeurs d’emploi, ou des personnes occupées mais sous un contrat précaire ». Ces deux axes, autonomie et précarité, ont justifiéla création des deux premiers ateliers de réflexion.

L’analyse réalisée en 2001, sur les données de 1999 et 2000, tout en confirmant les résultats de l’année précédente, isole untroisième groupe, exprimant des demandes sociales plus diffuses, dont la mise en évidence a débouché sur le développement d’actions de quartier.

Toujours dans la même logique, les résultats approfondis par l’analyse récemment réalisée sur les données collectées en 2001 et 2002confirment l’importance de la santé par rapport aux problématiques sociales et montrent, précise le rapport, « le caractère relativement complexe et aigu dessituations rencontrées à Seraing par les professionnels de la santé et du social, par rapport à d’autres territoires, et la nécessité du partenariatqui en résulte ». Soit les deux principes d’action d’Optima évoqués précédemment : l’impossibilité de conduire une synthèseterritoriale globale en se coupant des situations individuelles, et la mobilisation d’un partenariat dans une réflexion qui débouche réellement sur de l’action.

4. L’action en question

Outre l’observation du territoire et l’identification des problèmes exprimés par les habitants, l’un des objectifs d’Optima est d’aider lesorganisations faisant partie du réseau à déterminer leur place dans l’évolution du territoire et, surtout, de transformer les observations en programmesd’actions concrètes pour améliorer le bien-être individuel et collectif des habitants.

Ces actions sont de deux types ; les premières visent à améliorer de manière visible et durable la situation globale des quartiers (santé, social, emploi,logement…). Les secondes se basent sur l’impossibilité pour les populations précaires, confrontées à un cumul de difficultés, à mettre enœuvre un projet structuré (de formation, mise à l’emploi…). Elles consistent dès lors en des actions de proximité qui mobilisent les personnesprécaires et grâce auxquelles elles peuvent progressivement rétablir du lien social et redécouvrir leurs compétences de base (voir plus bas).

Les actions sont réfléchies au cours d’ateliers de réflexion. « Ceux-ci ont été mis en place progressivement, avec des dynamiques et des partenariatsdifférents, explique Jean-Marie Delvoye. Leur rôle est de partir de l’expérience de terrain et de l’observation pour réfléchir, en termesd’actions, aux réponses adaptées à des besoins qui apparaissent ». Si les deux principales problématiques décelées ont d’abord donnélieu à la création des ateliers « autonomie » et « précarité », ont ensuite suivi l’organisation des ateliers « décrochagescolaire » (né de la mobilisation de partenaires issus de l’école), « santé » et, plus récemment, « logement » et « emploi».

5. L’atelier emploi : projet individuel et mise en réseau

Mis sur pied en mai 2001, l’objectif de l’atelier emploi est de construire autour d’un bilan social et de compétences des usagers des parcours individualisés pourles conduire à un emploi durable et qualifié. Pour ce faire, le projet vise à structurer un partenariat entre usagers (demandeurs d’emploi au sens large), opérateursde formation (Forem, OISP, EFT, régies de quartier, services de réinsertion des CPAS…) et entreprises, de Autres secteurs d’activités.

Le propre du dispositif est de prendre en compte les problématiques de l’usager autres que directement liées à la quête d’emploi (logement, santé,famille, autonomie…) mais pouvant y constituer un frein. « Il est impératif de considérer l’individu dans sa globalité, et donc de travailler avec tous lessecteurs, explique Aurore Urbano, chef du projet emploi, car lui apporter la réponse emploi c’est risquer de le remettre dans une logique d’échec, même par rapportà l’emploi, tant que d’autres choses ne sont pas réglées ». Ces problèmes, décelés par le bilan social (soit l’application du guidede recueil de données), sont repris dans un plan d’action élaboré par la personne, ainsi amenée à prendre conscience de la nécessitéd’établir des priorités.

Ce plan d’action se concrétise par la mise en réseau, soit l’identification des personnes ou services aptes à aider la personne en difficulté. « Onmet toutes les institutions concernées autour de la table, et l’usager explique sa situation. Une seule fois, et d’une seule manière, ce qui permet de constituer un seuldossier commun et d’éviter de le balader d’une institution à l’autre. On tient un discours cohérent face à la personne, on gagne en visibilité, entemps et en efficacité, dans la mesure où on évite la redondance en répartissant les tâches entre différentes institutions », explique AuroreUrbano.

Outre cette optimalisation des services rendus à l’usager, l’autre rôle du partenariat emploi est d’aborder des problématiques situées au niveau duterritoire sérésien, telles que l’adéquation entre les compétences des demandeurs d’emploi, celles offertes par les formations et celles demandées parles employeurs, et d’examiner les pistes d’action à mettre en place pour pallier aux manques. « Dans ce cadre-là, Optima doit être vu comme une cellule desoutien et d’accompagnement de projets, dont nous sommes parfois les moteurs, mais dont nous devons pouvoir nous retirer une fois qu’ils ont pris racine sur le territoire ».

En plus de cette pratique d’un partenariat extrêmement participatif, l’innovation du projet emploi mené par Optima réside aussi dans l’utilisation d’uneméthodologie commune, liée à un logiciel, pour tous les partenaires. Dénommée Gingo, cette méthodologie conduit à une représentation graphiquesous forme d’arbres des compétences détenues par les usagers (dits « arbres des connaissances »), et permet de définir des profils opérationnelsplutôt que des profils de qualification et de diplômes.

Ainsi valorisés par la mise en évidence de ce qu’ils peuvent faire, les usagers améliorent leur image de soi, et peuvent facilement déceler celles descompétences qui leur manquent pour atteindre leur objectif professionnel. Les opérateurs de formation peuvent quant à eux comparer les compétences détenues par lesdemandeurs d’emploi à celles demandées par les employeurs, et ces derniers peuvent sélectionner les candidats demandeurs d’emploi.

Une telle approche amène évidemment à identifier des vides dans le tissu des services et initiatives qui permettent de répondre aux demandes socialesidentifiées. Optima et ses partenaires se mettent à ces occasions à créer des Centres de ressources pour faire mûrir et héberger de nouveaux projets locaux.Nous reviendrons sur cet aspect dans notre prochain numéro.

1. Asbl Optima. rue Paquay 25 à 4100 Seraing, tél. : 04 385 13 99, fax : 04 385 16 07, e-mail : optima@optima-obs.org

2. Le dispositif est constitué d’une équipe permanente de douze personnes, d’une équipe d’animation composée des cinq responsables d’ateliersthématiques et des organismes partenaires, impliqués à des degrés divers.
3. Rapport d’activités du projet de santé communautaire de Seraing, 5e année (2002-2003). Synthèse des observations du programme quinquennal, p. 44.
4. Id., p. 47-52.

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