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Justice

Permis de construire validé pour la prison de Haren

La Région de Bruxelles-Capitale a délivré le permis d’urbanisme pour la nouvelle prison de Haren près de trois ans après la demande. Une décision prise en stoemelings, selon les opposants, qui reflète le manque de transparence à l’œuvre depuis le début du projet.

La Région de Bruxelles-Capitale a délivré le permis d’urbanisme pour la nouvelle prison de Haren près de trois ans après la demande. Une décision prise en stoemelings, selon les opposants, qui reflète le manque de transparence à l’œuvre depuis le début du projet. 

23 décembre 2016. Alors que les Harenois font leurs dernières emplettes de Noël, le gouvernement bruxellois approuve l’arrêté supprimant et modifiant les sentiers vicinaux qui traversent le terrain de la future prison de Haren. C’était une condition indispensable à la délivrance du permis d’urbanisme. Le lendemain, le gouvernement régional délivre donc le permis d’urbanisme au consortium Cafassso pour la construction de cette maxi-prison qui prévoit d’accueillir 1.190 détenus sur une surface de 18 hectares. Ce projet de prison à Haren fait partie du Masterplan prison décidé par le gouvernement en 2008 pour accroître la capacité carcérale du pays. La prison de Haren doit remplacer à terme les prisons bruxelloises de Saint-Gilles, Forest et Berkendaal, toutes trois dans un état d’insalubrité avancé.

Oppositions multiples

Le projet de la méga-prison de Haren suscite, depuis le début, des oppositions provenant d’horizons différents: les riverains de Haren, les mouvements de défense de l’environnement ou encore la magistrature. Les reproches sont également de plusieurs ordres. Parmi les arguments «contre», on entend que la prison ne réglera pas le problème de la surpopulation carcérale, qu’elle se situe trop loin du palais de justice, qu’en s’installant loin de la ville, elle isole les détenus et les éloigne de leur famille et met en péril le respect de leurs droits fondamentaux. On craint aussi qu’elle engorge Haren, petite commune qui supporte déjà le trafic intense du chemin de fer, de l’aéroport et du ring. Les détracteurs s’inquiètent aussi des conséquences de l’implantation de cet imposant établissement pénitentiaire sur la faune et la flore qui profitent actuellement de cet espace vert encore vierge.

«On nous fait croire à de la participation citoyenne, mais, chaque fois qu’il y a prise de décision, nous ne sommes pas invités…», Laurent Moulin, du Comité de Haren 

Les différents niveaux de pouvoir ne s’accordent pas non plus sur ce projet, d’où sa difficile concrétisation. Le 19 octobre 2015, la Ville avait d’ailleurs refusé de déplacer le sentier du Keelbeek (qui traverse le site en deux), bloquant la délivrance du permis d’urbanisme. En juin 2016, le conseil communal fait volte-face et approuve la modification du tracé, permettant quelques mois plus tard à la Région de délivrer le permis d’urbanisme. Pour Geoffroy Coomans de Brachène, échevin de l’Urbanisme et du Patrimoine à la Ville de Bruxelles, il existait «peu de marge de manœuvre». Selon lui, la Ville était sous la menace d’une initiative de la Région bruxelloise de récupérer la capacité de désaffecter une voirie au détriment des intérêts communaux si la Ville maintenait le blocage de ce dossier. «Je ne voulais pas lâcher les habitants tant que nous n’obtiendrions pas de garanties pour les Harenois… C’est la ligne que j’ai toujours suivie», défend-il.

Nombreuses zones d’ombre

Du côté du Comité de Haren, on ne cache pas sa colère. «La délivrance du permis d’urbanisme durant les vacances reflète une fois encore la lâcheté politique et le manque de transparence à l’œuvre depuis le début, explique Laurent Moulin. On nous fait croire à de la participation citoyenne, mais, chaque fois qu’il y a prise de décision, nous ne sommes pas invités…»

Et le riverain harenois de se poser la question du «marchandage» ou des «petits arrangements» à l’œuvre derrière cette décision: «Pourquoi la Ville n’a-t-elle pas bloqué un projet qu’elle trouve mauvais? Ville et Région ont-elles reçu des contreparties?» Dans son communiqué, le Comité déplore également que «le MR, seul parti francophone à porter ce projet au gouvernement fédéral, obéit servilement aux injonctions de la N-VA qui trouve avec cette mégaprison le moyen de plomber durablement la Région bruxelloise».

Région bruxelloise qui de son côté ne cache pas son appétit pour les sites des prisons de Forest et de Saint-Gilles. La déclaration de politique régionale d’octobre 2015 souligne: «Quand bien même le fédéral répondrait à toutes les conditions mises par la Région et la Ville de Bruxelles, nous n’avancerons pas sur l’octroi du permis pour la construction de la prison de Haren tant que nous n’aurons pas de garantie suffisante pour la libération effective des deux sites…»

«Il n’y aura pas de prison avant 2018…», Geoffroy Coomans de Brachène, échevin de l’urbanisme à Bruxelles

Le Comité de Haren peut compter sur le soutien d’Écolo. À l’annonce de la délivrance du permis d’urbanisme, Arnaud Pinxteren écrivait: «C’est une mauvaise nouvelle. En effet, alors que plus personne ne défend encore objectivement ce projet, il est incompréhensible que la majorité régionale ne se soit pas saisie de l’occasion de la délivrance du permis d’urbanisme pour exiger qu’il soit abandonné ou revu en profondeur.» Le député bruxellois regrette aussi le manque d’études sur des alternatives, notamment d’autres sites. Et le parti de noter, outre les questions de mobilité engendrées par ce projet, le coût d’un tel établissement. La prison de Haren sera construite par le biais d’un partenariat public/privé (PPP) via lequel l’État confie à un consortium (Cafasso) le soin de concevoir, construire, financer et entretenir la prison. L’État devra alors une redevance annuelle au consortium pendant vingt-cinq ans, délai au terme duquel l’établissement pénitentiaire devient sa propriété. «Le contrat ne serait toujours pas signé, mais la note s’annonce déjà extrêmement salée pour les autorités fédérales, qui seraient liées pour 25 ans, avec un coût de plus de 3 milliards d’euros», souligne le débuté fédéral écolo Gilles Van Den Burre. Le Comité de Haren déplore également l’opacité qui règne autour du financement. «Ce contrat est négocié dans la plus totale opacité. Des compensations ont été fixées au cas où le projet ne serait pas poursuivi, on parle de 20 millions d’euros. Mais nous n’avons toujours pas vu les documents…», déplore Laurent Moulin.

Et la suite? Le permis d’environnement (recalé fin 2015) devait, d’après le cabinet de Céline Fremault, être délivré mi-janvier 2017. Il ne l’est toujours pas. Pour Geoffroy Coomans de Brachène, «il faut s’attendre à de nombreux recours». Ce qui lui fait dire qu’«il n’y aura pas de prison avant 2018…»

«Nous allons essayer de casser le permis d’urbanisme avant que le permis d’environnement ne sorte», explique Laurent Moulin. Le Comité de Haren, l’asbl Respire, des riverains et des militants ont par ailleurs lancé un observatoire en ligne de la méga-prison de Bruxelles-Haren. Ce site web rassemblera des documents relatifs à la prison, comme des procès-verbaux d’entrevues avec des élus ou des comptes rendus de questions parlementaires, etc. Cet observatoire permettra, comme énoncé dans le communiqué, de «retrouver les acteurs, les origines du dossier et le processus de décision, qui constitue un exemple type de forfaiture démocratique». Les missions de l’observatoire sont déjà prévues, tant pour la période de la construction que pour celle de l’exploitation de la prison: notamment de s’assurer que les promesses tenues par les partis politiques ne s’avèrent pas être des mensonges. Sur place, quelques irréductibles Harenois occupent toujours la zone et guettent l’arrivée des premières pelleteuses.

Manon Legrand

Manon Legrand

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