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Environnement/territoire

Performance énergétique : ne prête-t-on qu’aux riches ?

Les primes énergie sont-elles efficaces… à toucher précaires et locataires ?

Le débat fait rage depuis que les primes énergie existent. Ne profitent-elles qu’aux riches ? Malgré des efforts réalisés par les gouvernements bruxellois et wallons, certains continuent de le penser. En particulier en ce qui concerne les locataires. Bilan et pistes de solutions.

Les primes pour rénover les bâtiments forment une jungle compacte. « Il y a énormément de choses pour améliorer la performance énergétique du parc immobilier, explique François Grevisse, spécialiste de la question pour la Fédération des services sociaux. Il y a peu de chances que les gens s’y retrouvent tout seuls, surtout les ménages en situation précaire qui ont d’autres soucis. »

Les ménages les plus précaires sont-ils condamnés à vivre dans des passoires énergétiques ? Sur le terrain, Marie-Christine Renson, travailleuse sociale à Schaerbeek, constate que parmi les plus pauvres, et notamment les locataires, « l’état du bâti est tellement mauvais qu’on ne saurait pas par où commencer. » Un constat ancien et pas forcément prêt de changer, malgré les multiples primes, aides et prêts verts qui fourmillent.

« Il y a des délais pour obtenir les primes, étaye François Grevisse, des difficultés administratives, et surtout il faut avancer l’argent. Quant aux demandes de prêt, c’est une dette contractée », pour des personnes qui en ont peut-être d’autres. Selon François Grevisse, « les effets des primes peuvent paraître relativement inéquitables. Les impôts de tout le monde étant redistribués à ceux qui ne sont pas les plus démunis ». L’adage « on ne prête qu’aux riches » reprend de la vigueur…

Les gouvernements wallons et bruxellois, bien conscients de ce problème, ont tenté d’y remédier. Les primes énergie ont été récemment ventilées en fonction des catégories de revenus, en 2011 à Bruxelles et en 2010 en Wallonie. Des prêts verts ont également été institués dans les deux Régions.

En Wallonie, les aides et prêts verts sont réunis dans le dispositif Écopack. Au cabinet de Jean-Marc Nollet, ministre de l’Énergie, Sébastien Fontaine, conseiller, estime que désormais, l’angle social des primes est « affirmé ». Il en veut pour preuve : « Sur les 6 000 Écopacks octroyés entre mai 2012 et septembre 2013, 45 % l’ont été aux catégories les plus modestes. »

Un succès à relativiser toutefois car, finalement, seuls 2 700 ménages wallons modestes ont reçu un Écopack en presque un an et demi. Quant au total du nombre de primes énergie délivrées par la Région wallonne, il oscille entre 30 et 40 000, en fonction des années. Et là, la catégorie des « revenus modestes » ne dépasse jamais les 15 %.

À Bruxelles, on sait qu’environ 40 % des primes octroyées le sont à la catégorie « de base », donc à celle dont le revenu est le plus faible (revenus du ménage inférieurs à 30 000 euros). Chez Infor gazélec, Paul Van Lerberghe incite à prendre des pincettes avec ces chiffres : « Les gens précaires et non précaires sont réunis dans une grande catégorie. C’est une forme de camouflage statistique. » La moyenne générale des revenus à Bruxelles-Capitale, en 2011, par déclaration était de 25 094 euros.

Les efforts réalisés par les gouvernements régionaux sont donc difficiles à quantifier. Mais Sébastien Fontaine concède qu’il est « encore possible de mieux faire ». Et notamment dans un domaine qui préoccupe toute l’Europe : celui du dilemme propriétaire-locataire.

Aides, crédits d’impôt et primes, s’y retrouver ?

Au niveau fédéral, une seule aide : le crédit d’impôt pour rénovation de toiture. Il s’élève à 30 % des dépenses, pour un coût ne dépassant pas 3 010 euros.

Niveau régional :
A) Primes à la rénovation (Bruxelles) – réhabilitation (Wallonie)

Ces primes visent à améliorer le logement d’un propriétaire (ou, à Bruxelles, d’un locataire, s’il fait appel à une agence immobilière sociale).  Elles concernent les travaux d’isolation, de toiture, d’installations de gaz, etc.

Le montant varie en fonction du lieu d’habitation et du revenu. La catégorie inférieure correspond aux ménages gagnant moins de 33 525 euros à Bruxelles et 17 500 euros en Wallonie (pour des couples). À Bruxelles, le montant maximal des primes est de 30 à 70 % du coût des travaux pour un montant n’excédant pas 35 000 euros sur 20 ans. En Wallonie, il est de 10 à 40 % des travaux pour un maximum de 2 980 euros.

B) Primes énergie
Elles recoupent en partie les primes à la rénovation et peuvent s’additionner. De l’isolation au chauffage en passant par la ventilation et l’électroménager, elles touchent un large éventail de travaux. Depuis peu, leur montant varie en fonction des revenus.

Pour encourager les revenus les plus modestes à effectuer ces travaux, des systèmes de prêts à taux zéro ont été mis en place. À Bruxelles, Crédal alloue un prêt vert.

La Région wallonne a mis en place Écopack, qui synthétise les aides existantes en les couplant à un prêt vert : la personne qui reçoit un prêt n’aura qu’à rembourser le prix des travaux… moins le montant des primes.

C) Le Mebar Wallon est une subvention allouée aux revenus modestes pour de menus travaux d’isolation ou de chauffage.

D) Certaines provinces proposent aussi des primes. La Province du Brabant-Wallon, par exemple, a ses primes à l’isolation alors que la Province de Liège propose des primes pour l’installation de chauffe-eau solaires.

On trouve aussi des primes dans certaines communes. La ville de Liège aide à financer l’isolation de la toiture et le remplacement du vitrage. À Evere, on propose une prime « tonneau de récupération des eaux pluviales » alors que Namur finance le photovoltaïque.

Enfin, certains CPAS, via le fonds gaz électricité peuvent aider des bénéficiaires à entamer quelques travaux d’économies d’énergie.

Locataires – propriétaires : la déprime énergétique

Quel intérêt aurait un propriétaire bailleur à investir dans l’amélioration de la performance énergétique de son bâtiment, si c’est son locataire qui profite des économies d’énergie ? Voilà en résumé le fameux dilemme « locataire-propriétaire » qui fait que l’Europe entière se coupe les cheveux en quatre.

Prenons l’exemple de Bruxelles. On estime que la ville compte 60 % de locataires. Les loyers augmentent pour tous mais surtout pour les habitants pauvres (près de 34 % des habitants atteignent le taux de risque de pauvreté, selon l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale), sans que la performance énergétique de leurs bâtiments ne s’améliore. D’où l’inquiétude de certains que ne s’accroisse une « fracture énergétique », avec en queue de peloton, des locataires précaires, perdant beaucoup d’argent pour chauffer leur appartement traversé de courants d’air.

Et ceux qui pensaient que le certificat de performance énergétique du bâtiment (NDLR certificat PEB : obligation d’évaluer la performance énergétique d’un bâtiment à vendre ou à louer, mais pas de faire les travaux), imposé par l’Europe, changerait la donne, se sont fourré le doigt dans l’œil. C’est en substance ce que dit Sandra Meyer, chercheuse à l’ULB : « La demande de logements à bas coûts est tellement supérieure à l’offre que les propriétaires n’ont pas besoin d’une bonne PEB pour se démarquer. » Et si, malgré tout, le propriétaire décide d’entamer des travaux, il changera de standing et aura envie d’en tirer profit.

Inciter sans pénaliser

Aujourd’hui, l’enjeu est d’inciter les propriétaires à investir, sans pénaliser les locataires. Une idée qu’avance François Grevisse : « On pourrait envisager d’augmenter le loyer dans une proportion acceptable, le temps de rembourser l’investissement. » L’idée « win win » étant que le locataire économise de l’énergie et qu’il consacre une part de cette économie à une augmentation modérée du loyer, pour que le propriétaire bénéficie d’un retour sur investissement. Une piste à l’étude chez la ministre de l’Énergie bruxelloise, Éveline Huytebroeck. Elle lancera bientôt un projet-pilote, sur base d’une étude de Bruxelles-Environnement. Corinne Bernair, chef de service à Bruxelles-Environnement, explique les tenants et aboutissants du projet : « Il faudra d’abord bien évaluer la situation énergétique des bâtiments pour voir quels travaux réaliser. L’idée serait qu’avec une économie d’énergie de 75 euros par mois au bénéfice du locataire, le propriétaire pourrait augmenter ses charges de 50 euros. Je dis bien les charges, car on ne peut augmenter le loyer pendant la durée du bail. »

La précision est d’importance, car beaucoup rêvent d’un encadrement des loyers. Ils savent que l’opportunité se présentera bientôt, avec la régionalisation de la loi sur les baux à loyer. Les équipes populaires, par exemple, militent pour des « loyers fixés objectivement », en fonction de critères précis… dont la performance énergétique des bâtiments. C’est même une condition essentielle pour José Garcia, président du syndicat des locataires. Sans cela, il ne voit pas pourquoi, « au vu du contexte actuel où les loyers sont fixés dans des proportions absurdes, il faudrait répercuter le gain énergétique sur une augmentation des loyers ».

Pas besoin pour autant d’attendre la régionalisation des baux pour agir. « Par exemple en créant une sorte de matrice de différents critères à respecter pour fixer un loyer. Les primes énergie pourraient être majorées ou minorées si les critères sont respectés », propose Sandra Meyer.

Des pistes à explorer

D’autres pistes sont étudiées pour encourager la rénovation énergétique. En jouant par exemple sur la fiscalité. José Garcia détaille : « Tout propriétaire bailleur peut déduire 40 % du revenu cadastral de son précompte immobilier. C’est une réduction forfaitaire automatique pour la rénovation. Il faudrait changer cette règle et ne laisser que ceux qui font effectivement les travaux bénéficier de cette déduction. »

Plus concrètement, sur le terrain, certains agissent déjà. À Schaerbeek, la toute récente maison de l’énergie et de l’écoconstruction « Nord » travaille main dans la main avec la cellule énergie du CPAS pour proposer des solutions « clef sur porte, en fonction de chacun ». Ghislain Errembault, le coordinateur, explique leur méthode : « L’idée est de maximiser les aides publiques en fonction de la situation. Si nous construisons ensemble une solution, avec le propriétaire, le locataire, le CPAS, en jonglant avec les aides régionales, communales, éventuellement celles du CPAS, on peut faire quelque chose. On y dépense beaucoup d’énergie, mais le jeu en vaut la chandelle. » Même si, au passage, il regrette que les montants des primes régionales aient été diminués cette année…

Au-delà, la maison de l’énergie affirme partager les idées du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) pour améliorer les systèmes de primes : « On pourrait par exemple être plus restrictif pour les catégories élevées de revenu, ou pour les travaux hautement technologiques coûteux. Les primes électroménager pourraient n’être accessibles qu’à une catégorie de population à très faible revenu. On pourrait aussi allouer des enveloppes par types de primes. Par exemple, plus d’argent pour les isolations de toitures, moins pour le passif. »

Entre réduction des gaz à effet de serre et aides aux plus précaires, faudra-t-il choisir ?

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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