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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Obésité infantile : en finir avec la culpabilisation

L’obésité infantile est devenu un réel problème de santé publique à l’échelle mondiale. Dans notre société, c’est surtout dans les couches les plus précarisées de la population que ce fléau sévit. Seuls deux centres spécialisés dans l’obésité infantile encadrent les jeunes tout en leur permettant de suivre leur scolarité, en Belgique. À la frontière entre Ottignies et Louvain-la-Neuve, Clairs Vallons accueille une quarantaine d’enfants par an en misant sur un credo: déculpabiliser, comprendre la souffrance, rassurer.

© Philippe Debongnie

Le cadre est idyllique. Niché au creux d’un parc verdoyant de dix hectares, le centre médical pédiatrique Clairs Vallons (Ottignies) est unique en son genre en Wallonie. Il est destiné – entre autres – aux enfants et adolescents de 9 à 18 ans souffrant d’obésité sévère et n’ayant pas trouvé de solution dans les prises en charge ambulatoires. Ces jeunes sont accueillis en résidentiel durant la semaine et bénéficient d’un panel de soins médicaux, paramédicaux et psychologiques. La durée du séjour est généralement d’un an. L’objectif est de prendre le problème à la racine et de comprendre en profondeur les facteurs qui ont mené l’enfant à devenir obèse.

Ici, l’obésité est envisagée comme une problématique multifactorielle qui nécessite le soutien d’une équipe pluridisciplinaire (pédiatre, pédopsychiatre, diététicienne, psychologues, kinésithérapeutes, logopède, éducateurs, assistant social et enseignants). «La spécificité de notre prise en charge est de voir l’obésité comme un symptôme révélateur d’un mal-être», explique Pélé Carpin, responsable éducatif de l’unité Phénix (9-14 ans). Car, pour beaucoup de jeunes, le mal-être psychique tient une place prépondérante dans la problématique d’obésité.

D’après Clémentine Cardon, médecin responsable de l’unité Kipling (14-18 ans), «le but, c’est que le jeune comprenne pourquoi il doit peut-être se restreindre ou pourquoi il n’y arrive pas. Et c’est seulement à ce moment-là qu’il pourra travailler sur ses habitudes alimentaires». Luc Davin, responsable éducatif de la même unité, renchérit: «Si on avait choisi la facilité, on aurait visé la perte de poids. On aurait dit au jeune: tu rentres, on te fait suivre un régime et faire du sport. Alors oui, il perdrait du poids sur le moment et tout le monde serait content, mais ça ne réglerait pas la question de savoir pourquoi il va dans le frigo. Au sortir d’ici, le fast-food sera toujours là. S’il ne comprend la douleur qui fait qu’il a commencé à compenser affectivement, c’est peine perdue.»

De plus en plus souvent, le phénomène de l’obésité est abordé sous différents angles. Il ne s’agit plus uniquement de perte de poids et de régime alimentaire. Si l’aspect diététique reste bien sûr important, il ne prend ici pas plus de place que la dimension psychologique et sociale.

Le low cost, ce non-choix

La nourriture peut indéniablement être liée à un plaisir immédiat recherché par les enfants. C’est le cadre familial qui va rétablir l’équilibre dans le choix des aliments. Mais toutes les familles ne sont pas logées à la même enseigne et n’ont de ce fait pas la même disponibilité matérielle et mentale.

«On a quand même une majorité de patients qui ont un niveau socio-économique moyen, voire bas. Leur dire ‘Il n’y a qu’à manger cinq fruits et légumes par jour’ ou ‘Allez au magasin tous les jours pour ne pas avoir trop de stock à la maison’, c’est compliqué à entendre pour les gens qui essaient juste de s’en sortir. Souvent, leurs boulots ne sont pas les plus gratifiants et ce sont des horaires difficiles. On a beaucoup de mamans dans les titres-services et de papas qui bossent à pauses. Du coup, le moment du repas, c’est le moment où on mange, pas où on partage. Peu d’enfants nous disent: ‘Quand je rentre de l’école, maman est là et on cuisine mon goûter ensemble’. Non, quand ils rentrent, ils vont piocher dans l’armoire des trucs faciles comme des gaufres ou des chips. Et s’il n’y a pas d’adulte pour dire qu’aujourd’hui, c’est le jour des fruits, l’enfant va prendre les chips. C’est normal», affirme Luc Davin.

L’éducateur l’admet volontiers: c’est une réalité répandue qui est parfois oubliée au moment de livrer aux parents de ces enfants les recommandations pour une alimentation saine. S’ils sont nombreux à se tourner vers le low cost, ce n’est pas par plaisir: «Les parents précarisés achètent en gros, car c’est moins cher. Mais du coup, les enfants y ont accès facilement. Ici, on autorise les jeunes à manger deux collations sucrées et grasses par semaine. Mais, à la maison, si maman a acheté un gros paquet de 20 barres chocolatées, on va en manger plus. Et nous, on ne peut pas aller dire aux parents d’aller faire les courses tous les jours pour limiter les quantités. Ils n’en ont ni le temps ni même la possibilité. On en arrive à des extrêmes où certains parents vont jusqu’à mettre un cadenas sur le frigo pour empêcher les enfants d’y accéder. Mais la restriction n’est pas une solution.» Là encore, les parents précarisés font face à des injonctions contradictoires qui les mettent à mal dans leur rôle.

Du côté des enfants, certains sont bien conscients de la situation précaire de leurs parents et peuvent être amenés à faire taire leurs souffrances via la nourriture. Ce qui peut entraîner une prise de poids importante et une dégradation de leur image et de leur relation aux autres. S’enclenche alors un cercle vicieux qui peut mener à la déscolarisation (Lire aussi dans ce numéro: «Cachez ces chips dans les boîtes à tartines…»). «Ces ados ont commencé à prendre du poids vers 6 ans et ça a continué, décrit Clémentine Cardon. Là, ils arrivent à un stade où leur santé est mise en danger et sont limités au point de vue physique, mais aussi social. Car comme le regard des autres est difficile, ils restent à la maison et il y a du décrochage scolaire.»

«Chez nous, il y a des jeunes de 16 ans qui sont en 2e secondaire, car ça fait deux ans qu’ils n’ont pas été à l’école à cause de moqueries, d’agressions, d’exclusion, etc.», illustre Luc Davin. Dès le début, Clairs Vallons a décidé de créer sa propre école. Des petites classes (jusqu’à la 4e secondaire) qui permettent à des élèves déscolarisés parfois depuis quelques années de retrouver la confiance en soi et le plaisir d’apprendre.

Aucun aliment interdit

Étant donné que la diabolisation de la malbouffe ne fonctionne pas, il n’est jamais ici question de régime ou d’interdiction de tel ou tel aliment. «Ils ont la possibilité de manger de tout, y compris des plats gras, des frites, du chocolat. Mais on les limite à quelques fois par semaine et ce sont eux qui choisissent quand ils veulent les manger. Il y a des féculents, de la viande, des légumes à volonté et de la soupe à tous les repas. On fait en sorte qu’ils n’aient jamais faim, car il faut qu’à la sortie, ils n’aient pas envie de manger tout ce qu’ils n’ont pas pu manger ici», souligne Pélé Carpin, responsable éducatif.

Kellie Gilliard, diététicienne spécialisée en pédiatrie, insiste sur l’importance de réconcilier les jeunes avec le plaisir de savourer la nourriture, là où ils ne font que se remplir. Cela passe par la reconnexion à leurs sensations alimentaires: «On leur apprend à ressentir leur corps, la faim, la satiété, mais aussi à mastiquer et à prendre son temps lors des repas. Du coup, ils vont moins manger, sans même s’en rendre compte.»

Le personnel du centre tente aussi de cerner le fonctionnement familial au mieux et fait de la sensibilisation. «À la sortie, c’est la famille qui doit assurer la continuité. Sans ça, on risque de se retrouver avec un enfant livré à lui-même, et ses acquis peuvent alors s’effriter. Il est encore plus dur de se stabiliser dans la durée quand il n’y a plus de prise en charge. C’est pour ça que nous continuons de suivre le jeune trois ans après la sortie», rappelle Pélé Carpin.

Changer le système

En Belgique, 15,9% de la population adulte et 5,8% des 2-17 ans sont obèses, d’après Sciensano. La littérature scientifique souligne par ailleurs que les enfants des familles fragilisées ont plus de chances de devenir obèses. Mais cette maladie chronique n’est pas uniquement liée à la mauvaise qualité de l’alimentation. D’autres facteurs comme la sédentarité ou le stress jouent un rôle important. Or, ce sont les populations les plus précarisées qui ont le moins accès à des infrastructures sportives de qualité et qui sont davantage soumises à un stress chronique du fait de leur situation financière.

«Les difficultés sont ailleurs: il y a le coût du logement, de l’école, le manque de revenus, etc. Et lorsqu’on est dans le trop peu de tout, faire plaisir à ses enfants passe par l’achat d’aliments bon marché, seule option compatible avec le portefeuille. Les personnes qui vivent dans une pauvreté au long cours mettent des stratégies en place pour tenir du mieux qu’ils peuvent. Cela passe par la réduction de ses aspirations, de ses désirs, y compris en ce qui concerne une alimentation saine», rappelait Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, en mai 2021, lors d’une intervention dans le cadre du festival Nourrir Liège (Lire aussi sa carte blanche dans le magazine Tchak!, juillet 2021).

Lors de la même soirée, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme et ancien rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, affirmait que «nous sommes confrontés à un paternalisme culpabilisant qui impute la responsabilité de ce qu’ils mangent aux individus au nom d’injonctions diverses, et, dans le même temps, les consommateurs sont laissés dans un environnement les poussant à la consommation (publicité, low cost, crédits à la consommation), à un point tel que l’on peut se demander s’ils ont encore vraiment le choix. Par l’information sur les bons choix qu’il serait important de faire et le low cost, les pouvoirs publics se dédouanent de mettre en place des politiques sociales plus progressistes».

 

Sang-Sang Wu

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