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Regard critique · Justice sociale

Santé

Maternité, partage de savoirs et sororité

Pour les femmes en situation de précarité, le suivi de grossesse n’est pas toujours une priorité. Comment prendre soin de soi et de son futur bébé quand on doit affronter de multiples problématiques? En Belgique, les sages-femmes de BBBru font bouger les lignes en combinant énergie collective, rendez-vous médicaux, et empouvoirement. 

Rue de l’Indépendance, Molenbeek, maison médicale La Passerelle. Aux côtés des cabinets des généralistes, des kinés et des psys, celui des sages-femmes. Ici, ce sont Karlijn De Goede et Samira Gharbaoui qui reçoivent les mères et futures mères. Entre ces murs, en marge des suivis individuels, elles leur proposent une approche novatrice basée sur la dynamique de groupe pour favoriser les suivis, reprendre confiance et affirmer leur choix quant à leur santé et à celle de leur futur bébé. 

La précarité, un facteur de risques

Tout commence il y a une dizaine d’années… Les généralistes de la maison médicale La Passerelle ainsi que Karlijn De Goede, sage-femme, remarquent que le suivi des grossesses de certaines femmes se révèle défaillant. «Pour les personnes en situation de précarité, se déplacer pour un rendez-vous médical ne constitue pas une priorité», introduit la professionnelle. En parallèle de ces observations, la VUB identifie à la même époque une corrélation entre réalité socioéconomique fragile et grossesses à risques. «Sur le terrain, on voyait et entendait également que beaucoup de mamans se sentaient très seules dans leur foyer», continue la sage-femme. Face à ces constats, en 2017, Karlijn De Goede rédige, en collaboration avec une collègue de la maison médicale anderlechtoise Medikuregem, un projet pour tenter de répondre à ces enjeux.

 

Tout commence il y a une dizaine d’années… Les généralistes de la maison médicale La Passerelle ainsi que Karlijn De Goede, sage-femme, remarquent que le suivi des grossesses de certaines femmes se révèle défaillant.

 

Elles découvrent alors le programme de suivi de grossesse collectif «Centering Pregnancy» créé aux États-Unis. Le principe? Une approche des contrôles médicaux qui se concentre sur le groupe au lieu de se limiter au rendez-vous individuel, et ce tout en prenant en compte les problèmes psychosociaux des patientes. Selon les études, ce système permettrait d’améliorer l’accès aux soins des mères vulnérables, de favoriser le soutien social et d’assurer la continuité des suivis. 

Partir de l’expérience

Encouragées par leur structure respective, les deux sages-femmes pionnières répliquent le projet à la sauce bruxelloise et lancent l’initiative BBBru pour les mères en situation de précarité, mais aussi pour toutes les femmes enceintes qui souhaitent y participer. Dès 2018, à Molenbeek et à Anderlecht, les personnes concernées sont invitées à rejoindre la première cohorte. Depuis, le programme ne s’est jamais arrêté et plusieurs dizaines de femmes ont bénéficié de cette expérience de soins médicaux qui les replacent en tant qu’actrices de leur maternité.

Concrètement, comment ça fonctionne? À partir de la quatorzième semaine, les femmes enceintes dont le terme est prévu pour la même période se retrouvent dans un groupe supervisé par deux sages-femmes. Ensemble, à une dizaine, elles partent alors pour une aventure commune constituée de neuf séances prénatales et d’une autre après la naissance de l’enfant. «À chaque fois, pendant deux heures, on discute de sujets qui importent pendant la période définie. Par exemple, l’alimentation, la sexualité, la dépression post-partum, la contraception…», précise Samira Gharbaoui, qui a rejoint le projet à son lancement en 2018. «Il ne s’agit pas de donner cours, mais bien de proposer des activités afin que les femmes elles-mêmes partagent leurs savoirs, leurs expériences. Quant à nous, si nous remarquons que des éléments manquent, nous leur posons des questions afin que les réponses émanent d’elles-mêmes. Il y a beaucoup de discussions, de fous rires…», sourit Karlijn De Goede.

Aussi, durant chaque séance, les sages-femmes opèrent un contrôle médical individuel derrière un paravent. Le moment se révèle alors idéal si l’une des femmes se pose une question délicate qu’elle ne souhaite pas partager devant tout le groupe. 

Trouver des solutions ensemble

L’objectif affiché par l’équipe repose sur la création d’un environnement sain et agréable pour encourager les femmes à venir aux rendez-vous et les autonomiser, les empouvoirer. 

À écouter les professionnelles, la dynamique de groupe permettrait d’aller plus loin dans les échanges que le suivi individuel. «Par exemple, je me souviens d’une femme qui n’arrivait pas à accepter sa grossesse. Une autre lui a proposé d’écrire des lettres à son bébé pour entrer en communication avec lui. Si nous lui avions soumis cette idée, ça n’aurait pas engendré le même effet….», éclaire Karlijn De Goede.

 

L’objectif affiché par l’équipe repose sur la création d’un environnement sain et agréable pour encourager les femmes à venir aux rendez-vous et les autonomiser, les empouvoirer.

La confiance collective encourage également la discussion de sujets sensibles comme l’excision ou les violences conjugales; en termes de prévention, le partage d’expérience et la sororité se révèlent beaucoup plus significatifs. «Grâce au groupe, elles livrent des choses qu’elles n’auraient pas abordées en rendez-vous individuel et elles se renforcent les unes les autres…. Les groupes de préparation à l’accouchement existent, mais ce n’est pas la même chose», insistent les deux sages-femmes. 

Multiplier les pratiques 

En Belgique, l’association «Group Care Belgium »1 qui rassemble les personnes qui défendent le «Centering Pregnancy» organise des formations à destination des professionnelles (le milieu de la naissance reste très féminin). «Avant de lancer le projet, nous avions nous-mêmes suivi une formation aux Pays-Bas où la méthode existe depuis longtemps. Sur la base de ces acquis, de notre expérience et des réalités locales, nous avons créé un module de formation pour la Belgique», indique Karlijn De Goede. 

Ce 12 mai, à la maison médicale Medikuregem d’Anderlecht, marque la première journée d’initiation 100% francophone. Dans la grande salle de l’étage, une petite dizaine de participantes sont assises en cercle; la plupart d’entre elles travaillent comme sages-femmes. Elles viennent découvrir la méthode novatrice. Pour goûter à l’expérience, rien de mieux que de la vivre. Les voilà mises en situation de maman de 14 semaines: chacune se présente et indique ce qui lui importe pour l’équilibre du groupe. Ensemble, les femmes co-construisent une charte qui pourra être rappelée à tout moment.

En Belgique, l’association «Group Care Belgium »1 qui rassemble les personnes qui défendent le «Centering Pregnancy» organise des formations à destination des professionnelles (le milieu de la naissance reste très féminin).

Tout au long de la séance, les formatrices posent des questions, partent du vécu des personnes, les invitent à jouer pour que des rires et des discussions se dessine le savoir. À l’issue de cette introduction, les participantes reprennent leur casquette de sage-femme. Toutes se montrent très enthousiastes, plusieurs se disent intéressées par la formation complète de deux jours afin d’elles aussi proposer la pratique du «Centering Pregnancy» lors de leurs suivis de grossesse.

Si, pour l’instant, l’approche semble surtout séduire les néerlandophones (Hôpital UZ, certaines maisons médicales à Gand, Saint-Nicolas, Malines…), elle commence désormais à piquer la curiosité des professionnelles de ce côté-ci de la frontière linguistique. Prochaine étape de l’association «Group Care Belgium»? Convaincre l’INAMI afin d’obtenir un code spécifique pour ce type de prestation, pour que l’aspect financier ne freine pas les sages-femmes indépendantes motivées à rejoindre le mouvement!  

1https://groupcarebelgium.be/fr/

Jehanne Bergé

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