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Regard critique · Justice sociale
(c) Marion Sellenet

Le monde associatif n’échappe pas à la tentation du coaching. Des comités de direction se font accompagner par des coachs. Des équipes suivent des coachings collectifs. Et certains travailleurs vont se former auprès de praticiens renommés. Reportage dans l’une de ces formations animées par Anne-Françoise Gailly, autoproclamée «éveilleuse des possibles».

La coach parle, l’audience écoute. Sagement. Les dix travailleuses du non-marchand sont venues assister, en ce mardi matin, au Collectif formation société (CFS), à une formation intitulée «Mieux se connaître pour mieux travailler ensemble».

La formatrice, Anne-Françoise Gailly, tient l’auditoire en haleine. Elle se déplace, interprète des scènes de la vie courante et oscille entre le registre personnel et les apports théoriques. Il faut dire qu’Anne-Françoise Gailly n’est pas qu’une simple coach. «Je suis formatrice, blogueuse, coach et un peu magicienne», lance-t-elle sans rire.

Dans le public, on vient avant tout pour résoudre des difficultés qui ont émergé au boulot. La coach leur demande d’emblée de citer leur «plus grand défi. Mais défi, c’est un terme de coach. En fait, vous pouvez parler de votre plus gros problème.» Les langues se délient très rapidement. Une jeune fille qui travaille en association évoque son «hypersensibilité» qui l’empêche «de percevoir les autres de manière objective». Un duo issu d’une asbl aimerait, à la suite d’une grosse crise interne, «transformer les réunions en travail véritablement collaboratif». Une autre aimerait insuffler «davantage de motivation dans l’équipe» quand sa voisine évoque les tourments moraux qui la traversent à la suite du licenciement d’une «collègue incompétente», dont elle fut à l’origine.

La vie professionnelle fait des dégâts et engendre du stress. La pression s’immisce partout. «Ce stress qui vient biaiser les interfaces entre nous et les autres», dit Anne-Françoise Gailly. Il s’agira de mieux le comprendre pour bien le dompter.

Atteindre un stade de conscience «autre»

Le goût un peu fade du café associatif n’entame pas l’enthousiasme débridé d’Anne-Françoise Gailly, qui se définit comme une «éveilleuse des possibles». Elle affiche des ambitions presque démesurées pour une formation professionnelle en évoquant la possibilité d’une «transformation» du public. Un terme qu’elle ne juge pas excessif: «Mon travail n’est pas si éloigné de l’approche socratique. Il s’agit de faire accoucher l’autre de lui-même et, ainsi, d’atteindre un stade de conscience autre.»

Mais la formation ne s’axe pas qu’autour de grands concepts nébuleux qui flirtent avec le New Age. Elle démarre sur du concret: un test de personnalité que chacun est invité à remplir. Le but est de découvrir une «typologie des styles sociaux». Les êtres humains y sont divisés en deux catégories – les extravertis et les introvertis – et en quatre idéaux types, volontairement caricaturaux. Les «empathiques» et les «promoteurs» dans le camp des extravertis, les «directeurs» et les «analystes» côté introvertis.

L’empathique «aime les contacts sociaux et les relations humaines». Le promoteur, lui, «se situe dans l’action, il est force de propositions et succombe parfois à un penchant égocentrique». Le directeur «donne des directives et les accepte». Quant à l’analyste… eh bien, il analyse. Il est raisonné, exact et précis.

Le but de cet exercice – où l’on apprend que «les Flamands» seraient plutôt dans le camp des introvertis (sic) – est de bien comprendre les différences de personnalité dans une équipe. «Ces personnalités sont complémentaires, à condition qu’on soit dans l’écoute, dans la bienveillance», explique Anne-Françoise Gailly. Car il n’est pas toujours évident de faire coexister des personnalités si différentes dans un monde associatif truffé d’empathiques où «les profils de directeurs sont trop peu nombreux», et pas toujours bien vus.

Les situations qu’évoque Anne-Françoise Gailly parlent immédiatement aux travailleuses qui l’écoutent en opinant du chef, car elles font écho à leur vécu professionnel. «La prise de décision en réunion favorise les ‘promoteurs’ et les ‘directeurs’, car, pour les autres, il est plus difficile de s’exprimer à l’oral dans une réunion. C’est comme ça que des personnes occupent le pouvoir dans certaines structures.»

Le mode d’emploi de l’être humain!

Le but de la manœuvre, aujourd’hui, est simple: «Outiller les personnes qui assistent à la formation pour leur job.» L’accent est mis sur la communication, les interactions, la gestion du stress. Le public est peu soumis à contribution. C’est Anne-Françoise Gailly qui tient la barre et déroule son exposé. Il s’agit d’apprendre à se connaître, à connaître les autres, à connaître la coach, tout en «ouvrant le mode d’emploi de l’être humain». Un vaste programme.

Dans ce mode d’emploi, on trouve par exemple une pyramide inversée. Cette pyramide explique certaines de nos façons d’être. Dans sa partie supérieure, à la surface des choses, on voit les «réalités extérieures», les «comportements», les «connaissances». Puis dans la partie inférieure se situent «l’identité embarquée» et «l’identité véritable», toute cette eau trouble qui remonte parfois à la surface. L’inconscient, les traumas et tout le toutim. «Dans les formations classiques, explique la coach, on va s’arrêter au niveau des connaissances.» Mais cela ne suffit pas toujours. Alors la formatrice propose de plonger dans «la programmation du disque dur, car c’est cette identité embarquée qui parfois nous bride et nous empêche de répondre à nos besoins».

 

«Dans ce secteur, les gens demandent de l’accompagnement, de la supervision, des mises au vert. Des choses qui existent depuis longtemps. L’évolution que je vois, c’est que les nouvelles générations réfléchissent davantage à la professionnalisation de l’associatif

 

Après trois heures et demie de travail, les dix femmes s’octroient une pause déjeuner. On échange les premières impressions sur la session du matin autour d’un sandwich. Une dame d’un certain âge est satisfaite de ce qu’elle a entendu. Elle est bien rompue à l’exercice. Sa structure, en quête d’un «mode de fonctionnement horizontal qui élimine toute forme de pouvoir», fait «régulièrement appel à des coachs». Non loin de là, deux jeunes filles clament leur enthousiasme car elles ont déjà «trouvé quelques éléments de réponse par rapport au comportement de certains». Une dernière participante s’avère plus dubitative: «Je n’ai pas appris grand-chose pour l’instant, mais attendons, il reste un jour et demi de formation.»

Le coaching a le vent en poupe dans le monde du non-marchand. Mais, pour Anne-Françoise Gailly, qui propose aujourd’hui une simple «formation teintée de coaching», le terme n’est pas forcément le plus adéquat pour le monde associatif. «Dans ce secteur, les gens demandent de l’accompagnement, de la supervision, des mises au vert. Des choses qui existent depuis longtemps. L’évolution que je vois, c’est que les nouvelles générations réfléchissent davantage à la professionnalisation de l’associatif

 

 

Les coachs pour le meilleur…

François est directeur de son association. Une grosse structure de plusieurs centaines de salariés. Le comité de direction a été accompagné par un coach et, très bientôt, c’est toute l’équipe qui sera suivie par «une société d’accompagnement, d’agilité, qui permet de passer de modes d’organisation hiérarchiques à une gestion plus souple». «Nous avons vécu une belle expérience, qui nous a aidés, de façon très concrète, dans nos modes d’organisation.» Ces dernières années, l’association de François s’orientait «assez naturellement» vers des processus décisionnels plus participatifs. «Cela a créé de l’enthousiasme et des attentes dans l’équipe. Nous n’étions pas totalement à la hauteur de ces attentes, nous avions mal clarifié le mandat, car nous n’avions pas dans l’idée que toutes les décisions se prennent tous ensemble.» Pour baliser cette évolution structurelle, François a sondé d’autres associations, a rencontré certaines boîtes de coaching, avant de jeter son dévolu sur Convidencia, des spécialistes de la «participagilité». «Ils sont nombreux à se vendre sur le marché du coaching, explique François, alors on a choisi la boîte qui nous semblait avoir les meilleures références, qui avait accompagné d’autres grosses structures.» Évidemment, le processus coûte cher: 700 euros la journée. Mais, pour notre directeur, cela en valait le coût, car l’approche des coachs est, selon lui, très positive: «Ce qui est génial avec eux, c’est qu’ils sont très terre à terre. Ils s’ancrent d’abord dans le concret, et c’est par ce biais-là qu’ils abordent des aspects plus théoriques.»

Cette expérience positive est partagée par Karim, qui dirige une fédération d’associations. Il a débarqué dans un contexte de crise aiguë, de tensions et de doute existentiel. «Il nous fallait travailler sur nos missions, sur notre structure, sur l’organigramme, et réfléchir sur le long terme: vers quoi amener la fédé. Mais vu les tensions, il était nécessaire de trianguler.» Là encore, le comité de direction essuie les plâtres et se fait accompagner par une boîte de coaching, ou d’accompagnement – les termes restent sujets à débat –, appelée «Happy Team». Pas moins de 650 euros la journée hors TVA. «Le prix est élevé mais il le serait encore plus si nous n’avions rien fait», affirme Karim. C’est encore et toujours le bouche-à-oreille qui a primé pour le choix du coach. «Vu l’explosion du nombre d’écoles de coaching, tout le monde s’improvise coach, il ne fallait pas se planter.» Après deux ans d’accompagnement, le directeur semble ravi: «La présence du coach évite de paralyser le changement, il est adopté par l’équipe et cela nous oblige à avancer.»

Et pour le pire

Dans l’assoc de Françoise, le coaching n’a pas laissé que de bons souvenirs. «Très vite le coach est devenu la risée d’une grande partie de l’équipe.» Dans cette équipe on réglait un peu tous les problèmes «au cas par cas», explique Françoise, sans procédure, dans des relations informelles. Ce qui pouvait fonctionner dans une petite structure n’était plus possible dans un contexte d’augmentation importante du nombre d’employés. «J’ai voulu régler tout ça de mon côté en proposant des modes de gouvernance plus horizontaux, centrés sur l’autonomie et la mobilité.» Levée de boucliers dans l’équipe. Françoise fait alors appel à un coach. «Il est venu en réunion d’équipe, sa légitimité a été très contestée, c’était assez téléphoné qu’il allait être éjecté.» Dans l’association de Françoise, une bonne partie du personnel «pète un câble quand on leur demande au début d’une réunion ‘quelle est votre météo intérieure?’ Le vocabulaire posait problème. Certains collègues étaient allergiques aux mots ‘intelligence collective’.» La greffe ne prend pas. Le coach est vite renvoyé à ses dossiers. «Il a peut-être commis une erreur, admet Françoise. Celle de plaquer des concepts sur une équipe, sans vraiment sentir la fragilité du groupe.» Quelques semaines plus tard, un autre coach est choisi. «En cinq séances, bien cadré, il a relégitimé chacun à sa place, sans utiliser une fois les mots ‘intelligence collective’.»

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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