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Les tuteurs de Mena créent leur association

Une poignée de tuteurs vient de créer « A&A » pour Aide & Assistance aux Mena et à leurs tuteurs. Son objectif : leur permettre de se sentir moins seulsface aux difficultés d’une profession complexe et souvent ingrate.

15-02-2008 Alter Échos n° 245

Une poignée de tuteurs vient de créer « A&A » pour Aide & Assistance aux Mena et à leurs tuteurs. Son objectif : leur permettre de se sentir moins seulsface aux difficultés d’une profession complexe et souvent ingrate.

« Être tuteur d’un mineur étranger non accompagné (Mena) relève du parcours d’obstacles. Et dans cette tâche, on travaille seul, avec sesdifficultés et ses doutes. En s’associant, on peut échanger les expériences et les savoirs, confronter les points de vue à l’expertise des faits, éviterde tomber dans les mêmes pièges que d’autres et s’entraider dans notre tâche qui est de trouver des solutions durables pour nos pupilles », explique Claude Fonteyne,tuteur et fondateur de cette association de fait qui regroupe déjà une quinzaine de personnes1.

A&A fonctionne sans subsides, par la seule bonne volonté de ses membres. L’objectif est de créer une dynamique entre les tuteurs, de leur faire connaître toutes lesinformations utiles du secteur de la défense et la protection des étrangers, mais aussi, et ce n’est pas le moindre de ses atouts, d’apporter un soutien moral aux «confrères ». « Si on veut travailler correctement, s’occuper d’un Mena demande beaucoup d’énergie et de temps. On le fait donc par conviction car larétribution est symbolique2. Cette implication nous conduit parfois à nous sentir dépassés par les difficultés et dans ces cas-là, il estimportant de pouvoir en parler », poursuit le tuteur. Le mot d’ordre de l’association est de développer une « approche systémique » de la question dututorat. Une tâche qui implique de prendre en compte la personnalité du Mena dans sa globalité, un jeune confronté à des questions identitaires, des problèmesscolaires, de santé, de statut, etc.

Le principal outil de l’association est une newsletter largement diffusée au secteur. On y trouve des informations pratiques – « Comment faire bénéficiervotre pupille du chèque mazout ? », par exemple – ou des questions posées à l’ensemble des tuteurs dans la rubrique « entraide » – « Monpupille a subi une intervention chirurgicale pour une maladie rare, le CPAS refuse de prendre en charge les frais d’hospitalisation. Vers qui puis-je me tourner ?», « Commentobtenir un certificat d’indigence pour un mineur originaire du Maroc ? », etc. Dernièrement, A&A a aussi constitué un petit fonds afin d’octroyer des prêts(de 100 à 300 euros remboursables sur vingt-quatre mois maximum) pour aider les Mena dans leur première installation autonome lorsqu’ils quittent les foyers d’accueil.

Pas assez de candidats tuteurs

Le travail d’information et de soutien mené par A&A pourrait encourager certaines personnes à franchir le pas qui consiste à devenir tuteur3. Le manque devocation suscité par la lourdeur de la tâche et sa faible rétribution, reste en effet problématique. L’Association pour le droit des étrangers(ADDE)4 vient de publier les statistiques du Service des tutelles pour l’année 2007 : 1 577 Mena ont été signalés sur le territoire belge, dont 9 % enprovenance d’Afghanistan, 8% du Maroc, 7,8 % d’Inde, 6,5 % d’ex-Yougoslavie, 6 % du Congo, 4, 8% d’Irak et 5 % de Roumanie. Ces derniers étant considéréscomme des mineurs européens non accompagnés depuis janvier 2007, ils ne bénéficient plus des services de la tutelle5. Pour tous les autres, on compte environcent soixante tuteurs francophones et une proportion semblable de tuteurs néerlandophones. Or une tutelle peut durer de quelques jours à plusieurs années en fonction del’âge du mineur à son arrivée sur le territoire puisque les enfants sont pris en charge jusqu’à leur 18e anniversaire. On mesure donc la charge quipèse sur chaque tuteur… et la difficulté de respecter l’obligation légale de vingt-cinq Mena par tuteur et par an.

« Si on veut s’occuper correctement d’un jeune, les aspects de ‘gestion’ ne représentent que 20 % de notre travail. Être tuteur de cinq à dix Menapar an représente déjà un investissement en temps énorme. Je ne comprends pas comment il est humainement possible de mener de front trente ou quarante tutelles »,s’interroge Claude Fonteyne. Pour lui, le tuteur doit non seulement assumer nombre de tâches complexes d’ordres administratif et juridique – accompagnement dans laprocédure d’asile ou d’autorisation de séjour, inscription scolaire, mise en ordre de mutuelle, etc. – mais aussi plus pragmatiques comme le suivi desformalités pour obtenir un logement, un abonnement de transports en commun ou une inscription dans un club de loisirs. À titre personnel, il estime que le minimum estd’établir un contact hebdomadaire par téléphone, courrier ou mail, et une rencontre en face à face une fois par mois. Dans ces cas-là, le tuteur organise unesortie… au fast-food. « Ça paraît incroyable, mais on doit bien admettre que tous les ados du monde, qu’ils viennent du fin fond de l’Afrique,d’Afghanistan, d’Irak ou de Belgique, aiment la malbouffe ! Si on veut leur faire plaisir et qu’ils se sentent à l’aise pour parler, il faut les emmener dans ce genred’endroit. » L’anecdote n’en est pas vraiment une : un Mena arrive avec des difficultés spécifiques liées à sa condition d’exilé enplus des difficultés que connaissent la plupart des adolescents. Il faut parfois faire face à des petites ou grosses révoltes, des angoisses existentielles qui dépassentlargement l’aspect purement théorique de la fonction de tuteur. Face à un enfant qui chaparde, qui refuse d’aller à l’école, qui fugue, quidéprime, les adultes se trouvent souvent désemparés. D’autant plus si la communication est rendue difficile sinon impossible en raison d’une incompréhensionmutuelle liée à la méconnaissance de l’autre, de son histoire, de sa culture, de son pays ou de sa langue.

Une attention spécifique et coordonnée

« Ces jeunes demandent une attention spécifique. Je pense à une jeune fille qui a été emprisonnée avec sa mère et torturée dans son paysd’origine. En Belgique, elle vit comme un traumatisme la discipline imposée dans son centre d’accueil Fedasil. Il est donc important d’en tenir compte et de travailler tousensemble, tuteurs, professeurs, assistants sociaux, en bonne intelligence », plaide encore Claude Fonteyne.
Face à des dysfonctionnements ou même à des cas de maltraitance (voir ci-dessous), l’association peut aussi se mobiliser, tout comme lorsqu’il s’agit de fairevaloir la pertinence de traitem
ents différenciés pour certains Mena face à l’Office des étrangers. Ce fut récemment le cas pour plusieurs mineurs originairesd’un pays africain dont l’ambassade ne délivre jamais de passeport. « L’argumentaire est toujours mieux entendu lorsque nous pouvons réunir plusieurs cassemblables et plaider la cause de tous les Mena concernés », explique le tuteur. En clair, l’union (des tuteurs) fait la force (des Mena).

Une BD pour feuille de route

Quoi de mieux qu’une bande dessinée pour accueillir un enfant en Belgique, royaume du 9e art ? Le Commissariat général aux réfugiés et auxapatrides (CGRA) a judicieusement choisi ce langage pour parler aux jeunes qui débarquent sur le territoire, sans toujours connaître leurs droits et leurs obligations. Parfois, sansmême avoir d’idée de leur projet de vie, tout juste poussés par des impératifs de survie. L’album sobrement intitulé Kizito a demandé plusd’un an et demi de recherches et de travail6. Le dessinateur et scénariste, Antonio Cossu, a créé sa fiction dessinée à partird’éléments de la réalité, avec un suivi scrupuleux des acteurs du secteur. « On voulait à tout prix éviter les contre-vérités, lesapproximations, afin que les enfants puissent adhérer à l’histoire », explique Hedwige de Biourge, coordinatrice mineurs d’âge du CGRA. « Le but estd’expliquer aux jeunes comment se déroule la procédure d’asile, de les aider à mieux comprendre le chemin qu’ils auront à parcourir. Il est crucialqu’ils puissent faire confiance aux autorités auxquelles ils demandent protection et qu’ils se rendent compte de l’importance de raconter la vérité. »

La BD qui sera offerte à tout jeune qui entame une procédure de demande d’asile, évoque l’histoire de Kizito, adolescent rwandais que les massacres ontpoussé loin de chez lui. Son histoire personnelle est traversée de rencontres et à travers elles, on devine d’autres parcours particuliers. Celui de Muhib et de sa maman, celuide Jari, le débrouillard ou de Joseph qui peine à se plier aux règles du centre d’accueil, autant de personnages secondaires traités avec ce qu’il fautd’humour. Le récit ne fait pas dans l’angélisme béat pour autant : tout n’est pas rose dans le parcours d’un Mena et l’histoire d’Akram dontla demande d’asile a été refusée une première fois parce qu’il a commis l’erreur de donner de fausses informations, apporte son pesant deresponsabilisation. Avec toujours, en filigrane, la lueur d’espoir : Sofia, une jeune Russe dont on devine pudiquement qu’elle est arrivée pour nourrir un réseau deprostitution, sera ainsi « sauvée » par le tuteur de Kizito.

Publiée en français, néerlandais et anglais, la bande dessinée est accompagnée d’un cahier pédagogique qui décrypte les conditions pourprétendre au statut de réfugié ou obtenir la protection subsidiaire, la procédure d’asile et ses arcanes administratifs et juridiques, le rôle du CGRA, ouencore les procédures de recours en cas de rejet de la demande d’asile. Une BD à lire avec son tuteur ou son avocat.

Pas simple, la vie de Mena

Dès son signalement sur le territoire belge, le mineur étranger non accompagné doit se voir désigner un tuteur. Après une quinzaine de jours passés dansl’un des deux centres de premier accueil d’orientation et d’observation – à Neder-over-Heembeek et Steenokkerzeel –, le Mena est orienté vers la structured’accueil la plus adaptée à sa situation. Fedasil7 dispose ainsi de plusieurs centres adaptés pour l’accueil des Mena qui ont introduit une demanded’asile. Les mineurs sont encadrés par des éducateurs et des assistants sociaux, doivent avoir accès à l’école et de manière plusgénérale, aux droits reconnus aux enfants. Mais quid lorsque ces droits sont bafoués ? De-ci, de-là, des plaintes de mineurs ont émergé.Difficilement. Parfois, elles sont arrivées jusqu’aux oreilles des tuteurs ou des avocats. Ici, un assistant social est accusé d’attouchements et de harcèlementsexuel sur des jeunes filles (il aurait été « éloigné » depuis), là un garçon a été privé de son repas du soir, ou encoreune ado têtue a été contrainte de passer la nuit sur une banquette dans une salle commune éclairée plutôt que dans sa chambre, en guise de « punition». Autre exemple de procédé pédagogique douteux : une jeune fille de quinze ans, émotionnellement affectée par une grossesse non désirée suivied’un avortement, s’est vue infliger une sanction dès son retour du planning familial (en l’occurrence : la privation de deux semaines d’argent de poche).

Selon A&A, la plupart des faits ont été signalés à Fedasil et au Service des tutelles, parfois même au Délégué général auxdroits de l’enfant. Cécile Ghymers, avocate spécialisée dans l’assistance aux Mena confirme que la section Mena du Bureau d’aide judiciaire de Bruxelles a bienété informée d’une série de maltraitances dont auraient été victimes certains mineurs. « Les faits paraissent suffisamment graves pour quel’on s’y attarde. Mais nous n’en sommes qu’à un stade d’information, nous devons encore investiguer pour vérifier le fondement de ces accusations etprendre position », explique l’avocate.
Quant aux tuteurs, sans minimiser la gravité des faits, ils relèvent que « la situation est connue et ne concerne que deux à trois centres ». L’un de cesderniers aurait tellement mauvaise réputation qu’il a été surnommé « Guantanamo » par les jeunes…

1. Pour recevoir la newsletter ou tout autre information sur A&A, envoyer un e-mail à a-e-a@tvcablenet.be. L’association nedemande ni cotisation ni affiliation pour devenir membre. Éditeur responsable : Claude Fonteyne.
A&A :
– adresse : rue de l’Argayon, 5 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 84 04 89.
2. Le forfait attribué aux tuteurs est de 529 euros par an, par mineur (somme indexée).
3. C’est le Service des tutelles qui a pour mission d’accorder (ou si nécesaire de retirer) les agréments aux personnes qui pourront être désignées comme tuteurs. Ilpeut s’agir de personnes privées ou de m
embres d’une association.
Pour une explication détaillée des conditions du tutorat de Mena, consulter : « Tutelle de mineurs non accompagnés. La loi et son application » par Benoît Van Keirsblick,Journal droit des jeunes n°233, mars 2004. Voir aussi le site du ministère de la Justice, Service des tutelles :
www.just.fgov.be/fr_htm/information/htm_justice_a_z/mena/index.html
4. ADDE :
-adresse : rue de Laeken, 89 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 42 42
– courriel : mariella.simioni@adde.be
– site : http://www.adde.be
5. Avec l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, le Service des tutelles ne peut plus désigner de tuteur pour ces jeunes. Il s’agit dès lorsd’une prise en charge temporaire régie par une circulaire adaptée aux Mena européens (cf. à ce sujet Alter Échos n°243).
6. L’éditeur responsable est Dirk Van den Bulk du CGRA. Le projet a reçu un cofinancement du Fonds européen pour les réfugiés.
Informations complémentaires sur le site du CGRA : www.cgra.be
7. Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile – Fedasil :
– adresse : rue des Chartreux, 21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 213 44 11
– courriel : info@fedasil.be
– site : www.fedasil.be

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