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Regard critique · Justice sociale

Les SDF orphelins de "leurs" flics

L’équipe de policiers fédéraux de la cellule Herscham, qui assurait depuis six ans un travail préventif de terrain auprès des sans-abri, vient dedisparaître.

11-09-2009 Alter Échos n° 280

L’équipe de policiers fédéraux de la cellule Herscham1, qui assurait depuis six ans un travail préventif de terrain auprès des sans-abri,vient de disparaître. Elle effectuait pourtant un travail unanimement apprécié et reconnu par les diverses associations et institutions du secteur.

Mercredi 9 septembre, gare du Nord à Bruxelles, le local qui abrite la cellule Herscham a grise mine. Bureaux vides, pas âme qui vive. Il y a quelques semaines encore,pourtant, ces mêmes bureaux ne désemplissaient pas. Plus de 60 personnes se pressaient à chaque permanence. Un public particulier, composé presqu’exclusivement desans-abri écumant stations de métro, gares et rues du centre-ville. Un public aujourd’hui orphelin : la cellule Herscham, composée de trois membres de la policefédérale des chemins de fer, est en effet fermée. Sur le site web de la cellule, ces quelques lignes sans autre forme d’explications : « Suite à descirconstances indépendantes de notre volonté, le team Herscham n’existe plus. Nous vous remercions tous pour la bonne collaboration pendant desannées. »

« On y entre mais on en ressort »

Son histoire avait commencé voici six ans, en novembre 2003, lorsque deux inspecteurs de la police fédérale, Nico Lauwers et Robin Berthels de la brigade Métro àRogier, constatèrent que parmi le large éventail d’organisations sociales, aucune n’était en mesure de délivrer un petit document pourtant fort indispensable,a fortiori lorsqu’on est sans-abri : une attestation de perte des documents d’identité. Quant à la police, les sans-abri la craignent : elle se trouve souvent,directement ou indirectement, à la base de leurs problèmes. Certains redoutent ainsi de se faire arrêter. Pourtant à la cellule Herscham, même si l’on resteattentif au volet répressif inhérent à la fonction de policier, on n’est pas là pour sanctionner. « Tous ceux qui entraient chez nous ensortaient », confie Nico Lauwers, le responsable de l’équipe. « Seule exception, ceux qui venaient se constituer prisonniers, préférant que ce soit nousqui les conduisions à la prison que de se faire arrêter en rue. »

Une pétition demande le maintien de la cellule

Prévenir les troubles de tous ordres par une action discrète et rapide en amont de problèmes tels que l’ivresse publique ou les sentimentsd’insécurité, intervenir auprès des quelques-uns qui portent atteinte à l’ordre public et/ou commettent des délits (arrestations), protéger lespersonnes sans-abri les plus vulnérables des nombreux dangers de la vie en rue (agressions, harcèlement, etc.), enregistrer les plaintes et leur assurer un suivi effectif, former lesagents de sécurité au travail relationnel avec les habitants de la rue, faire de la médiation, informer et sensibiliser tant les habitants de la rue que les divers acteurs aveclesquels ces derniers entrent en contact… sont quelques-unes des missions qui étaient assurées par la cellule Herscham et particulièrement appréciées parVia-B2, la plateforme bruxelloise des travailleurs de rue. Cette dernière vient de mettre en ligne une pétition pour demander le maintien de la cellule et de l’expertise deson équipe.

Adresse de la pétition en ligne :
www.lapetition.be/petition.php?petid=4953

L’équipe, à l’origine composée de deux policiers, est rejointe trois ans plus tard par un troisième larron, Alain Magnée. Un trio quin’a jamais ménagé ses heures de travail, que ce soit sur le terrain lors des tournées, souvent à des heures indues, ou dans le boulot administratif, au prix parfoisde sacrifices familiaux importants. Chaque année, plus de 1 500 sans-abri étaient ainsi accueillis lors des permanences.

Herscham, le nom du team est tout sauf innocent. Il s’agit en fait, dans le célèbre jeu de rôles en ligne « Warhammer »,du dieu des mendiants, mais aussi du nom donné aux parias .

Des relations de confiance mutuelle

Une fonction de proximité, axée avant tout sur la prévention et le dialogue, pour une équipe de policiers unique en son genre en Europe. « Il nous a falluplus d’un an pour nous faire apprivoiser, gagner la confiance, se souvient Nico Lauwers. Comme policiers, même si nous nous baladons en civil, il faut faire ses preuves. La confianceétait loin de nous être acquise. » Une confiance gagnée aux forceps, fruit d’un vrai travail de terrain non seulement avec les sans-abri, mais égalementavec les associations du secteur, le Samu social (ex-Casu), les CPAS, les hôpitaux, la Stib, la SNCB, etc.

Un travail aujourd’hui remis en question par une plainte déposée par un de ses collègues à l’encontre de Nico Lauwers, l’inspecteur à latête de la cellule. En cause, des propos racistes qu’aurait tenu Nico Lauwers lors d’une présentation des activités de la cellule Herscham à sescollègues de la brigade du métro. Conséquence pour l’intéressé, une mutation à Gand avec effet immédiat. Les deux autres membres del’équipe ont, quant à eux, démissionné par solidarité et loyauté envers leur co-équipier. Résultat, une équipe Herschamde facto dissoute.

Les propos racistes sont réfutés par Nico Lauwers, très affecté par la décision de sa hiérarchie : « Cela fait six ans que nousécumons les rues à la rencontre des sans-abri, de toutes origines. Il y a longtemps qu’on aurait porté plainte contre nous si nous étions racistes », arguel’inspecteur de police, aujourd’hui en congé de maladie. « Lors des présentations PowerPoint, nous prévenons immédiatement le public – viale premier slide – que nous employons parfois des mots durs, choquants. C’est le langage de la rue. Celui que tout le monde emploie. Cette présentation, nous l’avons faite unequarantaine de fois. Devant la police, au Parlement, dans les cabinets de certains ministres, dans des CPAS… Nous n’avons jamais reçu une seule plainte ! »

D’où la question qui taraude : pourquoi maintenant ? On l’avait évoqué dans ces colonnes, la cellule avait déjà éprouvél’année passée quelques difficultés à se faire soutenir par sa hiérarchie malgré les nombreux prix reçus en Belgique et àl’étranger et sa reconnaissance comme « best practice » par le Comité P lui-même. Parmi les problèmes rencontrés,
notamment, lacontestation des heures supplémentaires et le robinet financier coupé, à tel point que les policiers devaient travailler sur des PC fournis par leurs propres soins et qu’ilsavaient développé un site web financé sur leur cassette personnelle.

Une cellule par trop dérangeante ?

Alors, une plainte pour racisme, prétexte à dissoudre une cellule par trop atypique, avec à sa tête un « petit inspecteur » un peu trop grandegueule ? Nico Lauwers refuse de rentrer dans la polémique, une enquête interne est en cours. « Je ne veux pas qu’on en fasse une affaire personnelle même sij’ai mon opinion sur la question. Ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est que mes gaillards se retrouvent seuls. À qui vont-ils s’adresser maintenant ? Ilsn’iront pas dans les commissariats. Ils vont se retrouver sans papiers et ce sera à nouveau la spirale. Je viens d’entendre que l’un d’eux s’est malgrétout rendu dans un commissariat de la police de Bruxelles pour une demande d’attestation de perte et a été conduit immédiatement à la prison de Forest. CQFD.»

Du côté des associations d’aide aux sans-abri, on ne cache pas sa stupeur et sa tristesse. Ainsi, Laurent Demoulin, directeur de Diogènes3, association quisoutient et accompagne les habitants de la rue, de nous confirmer le rôle essentiel mené par la cellule Herscham. « Depuis que la permanence est fermée, lessans-abri, pour ceux qui osent franchir la porte, se font remballer de commissariat en commissariat. On ressent déjà leur absence sur le terrain. Les policiers d’Herschamjouaient un rôle essentiel : outre leur travail répressif et préventif, ils facilitaient notre travail social, dénouaient des tensions. »

La police fédérale contactée par nos soins, se défend quant à elle de vouloir faire disparaître la cellule : « Les bureaux sonttemporairement fermés, le temps qu’on se réorganise, explique la porte-parole, Tine Hollevoet. En attendant, les missions de la cellule sont reprises par la brigade du métroà la station Rogier. Mais nous comptons bien réouvrir la cellule Herscham. Seul un policier pose problème, les deux autres collègues peuvent tout à faitpoursuivre leur travail. »

Seule consolation, aujourd’hui, pour Nico Lauwers, les nombreux témoignages d’affection et de solidarité, dont l’équipe a fait l’objet ces deuxdernières semaines. « Nous savons au moins que nous servions à quelque chose et que nous étions appréciés, c’est réconfortant. Resteà voir si à un autre échelon, ils comprendront aussi toute l’utilité de disposer au sein de la police d’une cellule comme la nôtre… »

1. Herscham Team
– courriel : herscham!@telenet.be
– site : www.herscham.be

2. Les membres de la plate-forme sont CAW Archipel- Straathoekwerk, CAW Mozaiëk- Straathoekwerk, Diogènes asbl/vzw, Dune asbl, JES vzw, avec le soutien deVlastrov. Archipel et de Mozaiëk se sont également joints aux signataires de la pétition.
3. Diogènes
– adresse : place de Ninove, 10 à 1000 Bruxelles
– tél./fax : 02 502 19 35
– courriel : asbldiogenesvzw@hotmail.com
– site : www.webzinemaker.com/diogenes

catherinem

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