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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Les nouvelles balises du territoire wallon

Fin juillet, la coalition PS-cdH dévoilait ses intentions politiques pour la prochaine législature wallonne, qui démarre dans un contexte budgétaire très serré. Qu’en est-il de l’aménagement du territoire, cette matière qu’on a parfois tendance à abandonner aux techniciens ? Entre la gestion du boom démographique, la lutte contre l’étalement urbain et la construction de logements publics, les grands chantiers ne manquent pas. Alter Échos a tenté de lire entre les lignes avec l’aide d’observateurs avertis.

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Fin juillet, la coalition PS-cdH dévoilait ses intentions politiques pour la prochaine législature wallonne, qui démarre dans un contexte budgétaire très serré. Qu’en est-il de l’aménagement du territoire, cette matière qu’on a parfois tendance à abandonner aux techniciens? Entre la gestion du boom démographique, la lutte contre l’étalement urbain et la construction de logements publics, les grands chantiers ne manquent pas. Alter Échos a tenté de lire entre les lignes avec l’aide d’observateurs avertis.

Si l’assemblée régionale se teinte de couleurs politiques différentes au fil des législatures, le territoire wallon, lui, vit à un autre rythme. Depuis des années, les défis qui le concernent restent les mêmes et le nouveau gouvernement, comme le précédent, devra y faire face. Le premier d’entre eux est la lutte contre l’étalement urbain. «La tendance lourde demeure», relève Jean-Marie Halleux, qui enseigne la géographie et le développement territorial à l’Université de Liège. «Les classes moyennes, les familles avec enfant continuent à quitter les villes pour s’installer en périphérie. Si les centres se repeuplent, c’est essentiellement le fait des migrations internationales.» Cette consommation excessive d’espace est coûteuse: elle détruit des terres agricoles, endommage la biodiversité et génère des déplacements excessifs. Elle pèse aussi lourdement sur le budget collectif en accroissant la demande de services et d’infrastructures. Deuxième grand défi bien connu: le boom démographique. En 2020, la Wallonie devrait compter 200.000 habitants en plus. En 2050, ce gain de population est estimé à 500.000. Le nouveau gouvernement indique ainsi qu’il faudra construire 250.000 logements publics et privés supplémentaires. Avec cette question: où va-t-on les mettre? Lors de la précédente législature, Benoît Lutgen avait plaidé pour la construction de villes nouvelles. Une proposition loin d’avoir fait l’unanimité, puisqu’elle entrait en contradiction avec la nécessité de freiner le grignotage des terres disponibles.

Continuité

«On voit que c’est l’économie qui va dicter la politique d’aménagement du territoire» Mathilde Collin, Urbagora.

La déclaration de politique régionale montre que la nouvelle coalition PS/cdH va, dans l’ensemble, jouer la carte de la continuité par rapport à la précédente législature. Jacques Teller, professeur d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’Université de Liège, relève ainsi une forme de modestie bienvenue dans le document. «On n’est pas dans l’optique où on va tout évaluer pour remettre l’ensemble des politiques et des principes sur le métier. Il y a de grands points de continuité et c’est positif. Ce n’est pas possible de travailler de manière durable sur le territoire en remettant tout en question tous les cinq ans.» Le gouvernement annonce sa volonté de lutter contre l’étalement urbain et de densifier les lieux de vie par une politique de remembrement et de rationalisation des déplacements. Il dit vouloir donner la priorité à la dynamisation des cœurs de villes et de villages. Et s’il n’abandonne pas l’idée de créer de nouveaux quartiers et des villes nouvelles, l’optique est de le faire en extension des pôles urbains existants. «On sent que les choses sont hiérarchisées», estime Jacques Teller. «Il s’agit d’abord de valoriser les ressources existantes, de redensifier, d’exploiter le foncier caché, que ce soit pour l’accueil des entreprises ou l’habitat.» Inter-Environnement Wallonie (IEW), de son côté, se dit soulagé par les intentions affichées. «On a l’impression qu’il y a une vision. C’est une idée très importante pour les environnementalistes», explique Benjamin Assouad. «On adhère au recentrage de l’urbanisation, au principe de travailler à partir de l’existant, à la localisation des activités économiques près des infrastructures de transport. Même si on regrette, dans ce dernier cas, de ne pas retrouver la même volonté pour le résidentiel. Le grand manque, c’est que rien n’est daté, chiffré et budgétisé.» IEW se réjouit aussi de voir qu’on poursuit le développement de l’éolien; son implantation se fera en priorité le long des voies principales de transport.

Urbagora, l’association liégeoise qui milite pour davantage de débat public sur les enjeux urbanistiques, se montre quant à elle plus circonspecte. Ce qui l’inquiète, c’est la tonalité générale de la déclaration. «On voit que c’est l’économie qui va dicter la politique d’aménagement du territoire», juge Mathilde Collin. «Le premier endroit où on parle de territoire dans le document, c’est en lien avec les entreprises, l’attractivité économique, le déploiement d’activités logistiques. Il y a plein de contradictions. On parle en même temps d’étendre le zoning autour de l’aéroport de Bierset alors qu’ailleurs on dit vouloir densifier.»

Ajustement des instruments

Que va-t-il advenir des deux principaux instruments de pilotage de la politique d’aménagement du territoire, réformés sous la précédente législature? Document indicatif et stratégique, le Schéma de développement de l’espace régional (Sder) détermine les grandes orientations à suivre, de l’habitat à la mobilité en passant par le transport, l’implantation des activités économiques et l’environnement. Le Code de développement territorial (CoDT), lui, tient lieu en quelque sorte de boîte à outils juridiques. L’entrée en vigueur du CoDT sera un des premiers chantiers du gouvernement, qui l’annonce pour juillet 2015. Reste à voir si tous ses articles seront traduits en arrêtés d’exécution. Comme le souligne un observateur, ces derniers ont le pouvoir de vider un code de son contenu, voire de le rendre impuissant. C’était notamment arrivé avec le Cwatupe, la précédente version du CoDT. Exemple: le droit de préemption, qui donne aux pouvoirs publics la possibilité d’acquérir en priorité des biens fonciers mis en vente à des fins collectives. Le mécanisme existe chez nos voisins français et hollandais, mais n’a jamais été adopté chez nous alors qu’il est prévu depuis longtemps; les pouvoirs publics se sont ainsi privés d’un outil important pour maîtriser le développement territorial.

Quant au Sder, la déclaration fait état d’une nouvelle réactualisation, notamment pour qu’il soit plus cohérent avec les objectifs du plan Marshall. Un point que Jacques Teller juge positif, puisque cette articulation manquait lors de la précédente législature en raison des tensions qui existaient entre les ministères respectifs. Pour lui, cette intention laisse aussi entrevoir, entre les lignes, d’autres ajustements. «Il y a eu beaucoup de frictions entre la Région et les communes au sujet du Sder, car ces dernières estimaient que le document leur laissait peu d’autonomie. Ce qui se dessine peut-être ici, c’est une volonté de recentrer le Sder sur les enjeux régionaux et supra-régionaux. Les communes, en échange de leur autonomie, devraient alors se doter d’un document d’orientation stratégique, idéalement à l’échelle supra-communale.» Un grand nombre de communes ne disposent encore d’aucun document stratégique de planification territoriale, vingt-cinq ans après l’organisation de la décentralisation par la Région wallonne.

Le défi du logement

Quid de la production de logements nécessaires pour faire face au boom démographique? Le gouvernement annonce plusieurs mesures, dont des États généraux du logement et de la construction, ainsi qu’un objectif de construire 6.000 logements publics. Pour Jacques Teller, la déclaration n’est pas très précise sur l’articulation de la politique du territoire avec celle du logement, alors qu’elle est plus explicite en ce qui concerne ses liens avec la mobilité, le tourisme, l’énergie. «On parle de la création de logements publics, mais on ne sait pas où ils seront localisés, sinon dans les territoires centraux et dispersés dans l’habitat existant pour éviter la logique des grands ensembles.» Pour lui, la maîtrise du lien logement/territoire est fondamentale, d’autant que l’augmentation du coût des logements risque de générer de nouveaux comportements. «Une des stratégies qui pourrait se mettre en place chez les ménages est la division des logements existants, ce qui est plutôt favorable pour économiser les ressources territoriales. Mais il y a un risque que cela se développe dans les zones péri-urbaines, ce qui maintiendra la dynamique d’éloignement des villes.»

De son côté, Jean-Marie Halleux a été frappé de lire une proposition inédite: le gouvernement annonce en effet vouloir utiliser les charges d’urbanisme pour intégrer du logement public dans les projets immobiliers privés. «C’est une première. On n’est plus dans la production classique de logements publics. Ici, on profite des logiques de marché pour combler un manque. Le mécanisme existe aux États-Unis depuis les années 70, et a aussi fait l’objet de législations spécifiques ailleurs, notamment en Flandre depuis 2009.»

Une politique de la ville

Tant du côté des chercheurs que du côté des associations, une unanimité se dégage pour saluer l’apparition d’une politique wallonne de la ville. «On le demandait depuis longtemps», se félicite Benjamin Assouad, d’Inter-Environnement Wallonie. Avec la réforme de l’État, la politique fédérale des grandes villes s’est en effet régionalisée. Jacques Teller trouve très positif qu’elle ait été intégrée à une vision territoriale, alors qu’à l’origine la tendance était plutôt au développement d’une politique autonome. Les villes devront se doter d’un programme de développement urbain, qui prévoit de les pourvoir d’outils de gestion territoriale. Le gouvernement annonce vouloir renforcer les moyens autrefois affectés par le fédéral à la politique des grandes villes et les consacrer aux quartiers dégradés des villes de Charleroi, Liège, Mons, Seraing, La Louvière, Verviers et Mouscron. La volonté de lutter contre la pauvreté urbaine est applaudie. «On avait parfois l’impression que cet objectif avait été perdu de vue lors de la précédente législature», rappelle Jacques Teller. Un grand absent cependant: Tournai! Inter-Environnement regrette aussi de ne pas retrouver les communes du Borinage et de Herstal. Chez Urbagora, on invite toutefois à la vigilance. «Les programmes de développement urbain apparaissent déconnectés de la politique du logement. Et puis, qui va les piloter? Ces instances seront-elles démocratiques?»

Enfin, autre nouveauté remarquée: l’attention portée à la ruralité, grande oubliée de la précédente législature, ce qui avait valu au ministre Henry d’affronter le courroux campagnard. «La ruralité y est d’abord présentée comme une ressource, plutôt que comme un territoire qui se bat avec les problèmes de mobilité», analyse Jacques Teller. Le gouvernement prévoit notamment plus de services publics décentralisés, la mise en place de taxis collectifs, le soutien à l’installation des jeunes agriculteurs. «Il faudra juste être attentif à ce que cela n’entre pas en contradiction avec le soutien aux centres urbains», note Benjamin Assouad. «Il ne s’agirait pas de relancer une politique de saupoudrage. Les campagnes doivent cesser d’être des dortoirs des villes, sinon on ne s’en sortira pas en termes de mobilité.» C’est aussi un questionnement pour Mathilde Collin, d’Urbagora. «Je ne vois pas où les politiques de la ville et de la ruralité vont s’articuler. Or, en Wallonie, il n’y a pas que la ville et la campagne, il y a beaucoup de zones périurbaines.»

 

Amélie Mouton

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