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Regard critique · Justice sociale

Le roi Salomon et les expulsions

Lors d’une journée consacrée aux expulsions, le Syndicat des locataires et les Facultés universitaires Saint-Louis ont eu la bonne idée d’inviter desmagistrats à s’exprimer sur la question.

31-01-2010 Alter Échos n° 288

Lors d’une intéressante journée de débats consacrée aux expulsions, le Syndicat des locataires1 et l’Institut de recherches interdisciplinairessur Bruxelles (IRIB) des Facultés universitaires Saint-Louis2 ont eu la bonne idée d’inviter des magistrats à s’exprimer sur la question. Parolesnuancées.

Thierry Marchandise, désormais juge de paix à Charleroi, parle volontiers de son expérience au contact des gens. « La légitimité du juge vient de samission. Celle-ci est d’apaiser le conflit », proclame-t-il. Théorique ? « En tout cas, je garde toujours cela à l’esprit. C’est plus facile comme juge depaix, car il y a peu d’avocats. En fait, j’y arrive souvent », explique-t-il.

En juin 2008, la loi a néanmoins supprimé la conciliation préalable obligatoire. Objectif : raccourcir la procédure et donc limiter les dettes. « Mais le textedit clairement que la conciliation doit être privilégiée ce que tous mes collègues ne gardent pas à l’esprit… », poursuit le juge de paix. «Il faut savoir faire la part des choses. Je retiens le cas d’un jeune couple qui devient propriétaire. Il demande aux gens de partir. Une vieille locataire refuse sur la base de lalongueur de son bail. Les deux intérêts sont légitimes. La loi est du côté du couple. J’ai accordé un délai à la dame, mais d’unedurée limitée, car elle n’a rien anticipé alors que les intentions du jeune couple lui étaient clairement exprimées depuis un certain temps »,raconte-t-il.

Des conflits humainement difficiles

La réalité des juges d’appel est fort différente. Bertrand De Koninck, maître de conférences invité à l’UCL, est également jugeau tribunal de Première instance qui fait office de juridiction d’appel pour les problèmes locatifs. « En appel, il est rare que la conciliation soit encore possible. Lesdossiers sont, à de rares exceptions près, traités par des avocats. Souvent les positions sont déjà figées et de nombreux frais ont déjàété avancés », souligne-t-il.

Pour Thierry Marchandise, il est difficile d’intervenir dans certains conflits. Il cite l’exemple de parents venant demander l’expulsion de leur enfant majeur ayant de mauvaisesfréquentations potentiellement néfastes pour les enfants plus jeunes. « J’essaie de recadrer. Cela peut être aussi un point de départ. L’avantage estqu’on a plus de temps qu’en première instance. On peut se voir plusieurs fois. »

Autre débat : les troubles de jouissance dont un locataire prend prétexte pour ne plus payer son loyer. « Dans ces cas-là, je me déplace sur placesystématiquement avec un expert-architecte pour évaluer la situation. Souvent l’architecte peut conseiller le propriétaire pour apporter une solution »,précise le juge carolo. Ces affaires-là débouchent rarement sur l’expulsion, mais parfois les locataires sont déjà partis au moment du jugement…

80 % par défaut

Parce que les locataires ont rarement le courage d’affronter leur propriétaire… huit affaires sur dix sont jugées par défaut dans le sens du propriétaire.Les locataires craignent la justice, ont peu de moyens pour payer un avocat. Thierry Marchandise salue le travail des associations qui s’occupent d’aider les gens comme Relogeas àCharleroi ou Mediatoit à Namur.

Même face à des avocats, le magistrat expérimenté ne désempare pas. « Dans un problème de bail commercial, une entreprise n’avait pasdemandé la reconduction de son bail car elle construisait un nouveau bâtiment dans un zoning. La société immobilière souhaitait récupérer son bien. Lerisque de mettre 80 personnes au chômage économique était réel. J’ai encouragé un accord entre les avocats sur la base d’un loyer revu à lahausse. » Ils ont compris leur intérêt commun et se sont mis d’accord.

Le degré d’appel n’est, quant à lui, pas dénué de risques. « L’appel est en principe suspensif mais le bailleur demande souvent à ce quele jugement soit immédiatement exécutoire « par provision » comme on dit dans le jargon. Si le jugement est réformé, le bailleur perd ses droits et doit indemniser ledommage subi par le locataire s’il l’a expulsé », explique Bertrand De Koninck. Comme les procédures sont longues, la tentation est forte d’exécuter. Sila décision est exécutoire, l’avocat peut néanmoins demander que l’audience d’appel soit accélérée, ce qui ramène le délaià deux ou trois mois.

Entre droit, justice et sens social, les juges ont la marge de manœuvre que leur permet la loi.

1. Syndicat des locataires :
– adresse : square Albert Ier, 32 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 522 98 69
– courriel : syndicatdeslocataires@swing.be
– site : http://syndicat-des-locataires.skynetblogs.be
2. IRIB – Institut de Recherches Interdisciplinaires sur Bruxelles, bd du Jardin botanique, 43 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 211 79 70 – courriel : irib@fusl.ac.be – site : http://www.irib.be

Jacques Remacle

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