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Logement

Le réveil des néo-paysans bruxellois

L’agriculture suscite des vocations alors qu’elle ne cesse de détruire des emplois. À Anderlecht, le projet BoerenBruxselPaysans a l’ambition de produire une alimentation locale, saine et durable pour tous les Bruxellois.

©Thomas Vercruysse

L’agriculture suscite des vocations alors qu’elle ne cesse de détruire des emplois. À Anderlecht, le projet BoerenBruxselPaysans a l’ambition de produire une alimentation locale, saine et durable pour tous les Bruxellois.

Article publié dans Alter Échos n°424-425, 13 juin 2016.

C’est un petit écrin vert, qui fait respirer Anderlecht. Là-bas, aux confins de la capitale, l’urbanisation paraît une lointaine insulte. Les rares maisons sont d’anciennes fermes. Les vaches broutent, paisiblement, au milieu d’une prairie fauchée. Et pourtant, entre l’extension de l’hôpital Érasme, les ambitions du parc économique régional et la perspective d’un nouveau quartier résidentiel, les vallées du Neerpede et du Vogelzang font de la résistance. Ces espaces verts, situés à l’ouest et au sud-ouest d’Anderlecht, sont les dernières reliques d’un paysage typique du Pajottenland. Deux lopins de terres rurales qui, fragilement rattachés à Bruxelles, narguent les buildings voisins.

«Certains promoteurs lorgnent plusieurs de ces terrains. Il était donc urgent d’aborder la question de la pérennisation de cette zone via un statut particulier», explique Gaëtan Van Goidsenhoven (MR), échevin de l’Urbanisme d’Anderlecht. Depuis des années, l’homme en a fait un de ses principaux chevaux de bataille. En 1995, 25 hectares du Vogelzang ont été classés, dont 13 qui ont été agréés comme réserve naturelle. Depuis peu, le site du Neerpede fait aussi l’objet d’une mobilisation citoyenne sans précédent. C’est que ces espaces regorgent de plantes indigènes et d’une faune sauvage en liberté. Hirondelles rustiques, crapauds communs, chouettes chevêches retranchées au creux des saules têtards… Mais pas seulement. Enclavés par le Ring, ces sanctuaires sont en passe de devenir le futur agrobiopôle bruxellois.

Le projet BoerenBruxselPaysans, un dispositif financé à hauteur de 6 millions d’euros par le FEDER

En 2014, la commune d’Anderlecht signait déjà la charte «Réseau Nature» proposée par l’asbl de défense de la nature Natagora. Inscrivant le Vogelzang au sein d’un maillage de terrains dont la gestion favorise le maintien et le développement de la biodiversité. Ce faisant, la commune s’engageait à respecter cinq principes: ne pas développer d’activités humaines entraînant la destruction des milieux naturels; ne pas laisser se développer les espèces exotiques invasives; privilégier les plantes indigènes qui existent à l’état sauvage sur le site; respecter la spontanéité de la vie sauvage et renoncer aux pesticides chimiques.

Voilà qu’elle vient de rallier le projet BoerenBruxselPaysans, un dispositif financé à hauteur de 6 millions d’euros par le FEDER (Fonds européen de développement régional) et piloté par Bruxelles Environnement. Ses objectifs: valoriser le potentiel agricole de Neerpede et du Vogelzang, réactiver en cinq ans l’agriculture professionnelle à Bruxelles, développer et accompagner de nouvelles initiatives de production, instaurer un système alimentaire durable pour tous les Bruxellois, et surtout, nourrir la ville au travers de circuits courts et de productions locales et bio. «Actuellement, les 240 hectares de terres agricoles bruxelloises sont utilisés par une agriculture qui ne nourrit presque pas la ville, explique Catherine Fierens, coordinatrice de BoerenBruxselPaysans auprès de Bruxelles Environnement. Ces terrains produisent du maïs, des céréales, mais exportent leurs biens vers l’industrie plutôt que de les orienter directement vers les Bruxellois. L’objectif du programme, c’est de remettre la paysannerie à destination de la ville. Avec des méthodes qui impliquent un respect de l’environnement, des citoyens et des fournisseurs.»

Hors cadre familial, ces néo-paysans urbains devraient représenter 30% des agriculteurs en 2020.

D’autant plus qu’en parallèle, si 46 fermes disparaissent chaque année en Belgique, des dizaines de nouvelles personnes désirent se lancer professionnellement dans le métier d’agriculteur. Pour la plupart, c’est l’expression d’une forme d’engagement politique et social. «C’est assez inouï, mais on observe un vrai regain d’intérêt pour la terre, confie Catherine Fierens. En 2014, nous avons réalisé un état des lieux de la situation agricole en région bruxelloise et en périphérie. Quelques mois plus tard, au cours du Forum paysan, près de 40 personnes se sont manifestées pour démarrer dans le métier.»

Espace-test agricole

Seulement, lâchés en pleine nature, ces candidats à l’installation restent confrontés à de nombreux écueils: accès à la terre, accès aux capitaux, manque d’un accompagnement adapté… C’est pourquoi des serres de cultures maraîchères ont récemment été installées du côté du Vogelzang et de Neerpede. Elles ont permis le lancement d’un espace-test agricole, baptisé «Graines de paysans». Dans la logique de consommation «de la fourche à la fourchette», ces «espaces-tests» opèrent au niveau de la fourche. Ce sont des pépinières d’entreprises agricoles qui permettent de confronter le fantasme à la réalité. La terre y est gratuitement mise à la disposition de néo-cultivateurs, qui peuvent tester économiquement leurs activités pendant un à deux ans dans des conditions d’exploitation réelles et sécurisées.

«Dans un premier temps, nous avons choisi sept candidats – avec des profils et des statuts très divers – sur la base de critères techniques et de compétences en gestion», explique Marie Le Boniec, responsable du projet auprès de l’asbl Le Début des Haricots. Parmi eux, pas mal de diplômés en agronomie, mais aussi des salariés en pleine reconversion, des demandeurs d’emploi, des indépendants à titre complémentaire, des étudiants. Certains sont même suivis par une couveuse d’entreprises ou des pépinières d’emplois. «Nous leur offrons une serre de 200 m², une terre, entre 10 et 15 ares, et mettons à leur disposition des outils, des motoculteurs, des formations et un soutien à la commercialisation du produit via le Crédal. Mais pour le reste, ils sont autonomes.» Car le but est bien d’en faire des entrepreneurs, capables de développer un business plan viable et de pérenniser leur emploi.

Plusieurs circuits courts seront créés: un magasin dans la ferme du Chaudron, un restaurant slow-food, des groupes d’achats collectifs via une coopérative de producteurs soutenus par les consommateurs et la création d’un marché paysan.

Seul impératif: s’engager à produire des cultures biologiques, sans herbicides chimiques. «On travaille tous sur de petites surfaces, mais on est libre de tester différentes techniques, explique Olivier Gengoux, 29 ans, responsable de production dans une pépinière écologique, venu développer sa propre activité de paniers bio. Par exemple, certains porteurs de projet font du maraîchage sur sol vivant, en favorisant le travail des vers de terre. Moi, je fais du maraîchage bio-intensif: chaque semaine, je produis huit légumes de saison différents, avec une majorité de variétés anciennes. Soit 50 espèces de légumes sur la même parcelle.» Le projet s’accompagne d’ailleurs d’un Pôle recherche assez important: l’asbl récolte des données sur la rentabilité des petites surfaces, le nombre d’heures passées sur le terrain, les critères émotionnels à gérer… Au terme de leur formation, les maraîchers se voient offrir l’accompagnement de l’association «Terre-en-vue», chargée de leur trouver une terre agricole définitive.

Circuits courts

Dans un monde moderne, qui cultive le bitume et apparaît comme désenchanté, le geste même du paysan retrouve toute sa grandeur. Hors cadre familial, ces néo-paysans urbains devraient représenter 30% des agriculteurs en 2020. «Ils apportent du sang neuf, mais aussi des pratiques innovantes. Certains cultivent des fleurs à manger, d’autres des plantes médicinales. L’un d’entre eux est même occupé à monter une coopérative dans le domaine des semences. D’autres encore fournissent uniquement les restaurants, des groupes d’achats solidaires, voire les entreprises du quartier…», confie Johanne Cozier, accompagnatrice auprès de l’asbl Le Début des Haricots. Leurs trajectoires prouvent qu’il est possible d’aller à contre-courant. Même au cœur de la cité.

Mais BoerenBruxselPaysans ne vise pas uniquement la création d’activités économiques ou la seule production agricole. Le projet donnera une grande place aux habitants. Plusieurs circuits courts seront créés: un magasin dans la ferme du Chaudron, un restaurant slow-food, des groupes d’achats collectifs via une coopérative de producteurs soutenus par les consommateurs et la création d’un marché paysan. Des animations confiées à l’asbl la Maison verte et bleue permettront la sensibilisation et l’éducation à l’environnement et à l’agriculture locale pour tous les publics. «L’idée, c’est de rendre ces activités autonomes au-delà du subside européen, grâce à des structures locales permanentes. Et, à terme, d’essaimer dans d’autres communes», explique Catherine Fierens de Bruxelles Environnement.

Des agriculteurs à Bruxelles?

Avec à peine sept agriculteurs professionnels bruxellois en activité, l’agriculture dans la capitale a des airs de rêve pieux. La séniorité et la pression urbanistique pèsent tellement sur les 260 hectares encore occupés, qu’elle pourrait disparaître à jamais. «Nous avons recensé une dizaine d’autres projets professionnels, mais ces derniers n’ont pas le statut d’agriculteurs déclarant des terres à l’Europe. Une vingtaine d’agriculteurs des deux autres régions cultivent aussi à Bruxelles», confie Marco Volpe, ‎assistant au ministère de l’Économie de la Région de Bruxelles-Capitale. Au total, 254,9 ha étaient déclarés à l’Europe dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) en 2015 et ils sont localisés à 55% (138,9 hectares) dans la commune d’Anderlecht. «Les surfaces sont très inégalement réparties entre agriculteurs puisque huit d’entre eux concentrent 70% (180 hectares) des superficies déclarées à la PAC», observe Marco Volpe. Les autres agriculteurs, au nombre de 23, déclarent tous des superficies inférieures à 10 hectares et ils concentrent 29% (74,4 ha) des superficies déclarées. Et d’insister: «Plus de la moitié des terres déclarées à l’Europe (146 ha) sont des prairies permanentes. Le reste, ce sont de grandes monocultures telles que les pommes de terre, le maïs, les céréales, etc.» Au-delà de tous fantasmes, le développement de l’agriculture et de l’alimentation durable pourrait créer 7.775 emplois en Région de Bruxelles-Capitale, d’après une étude des facultés Saint-Louis et du bureau d’études Greenloop. Ces emplois seraient principalement destinés aux Bruxellois, jeunes et peu qualifiés. 

 

Aller plus loin

Dossier d’Alter Echos, «Qui osera être agriculteur demain ?», juillet 2015

Focales n°21, « Terre en vue. Pour que la terre nourrisse », novembre 2015

 

En savoir plus

 

 

Rafal Naczyk

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