C’est une tendance qui se confirme année après année: les Belges consomment de moins en moins de viande. En 2019, chaque citoyen du plat pays mangeait en moyenne 16,4 kilos de viande rouge fraîche par an, alors qu’on parlait de 19,6 kilos en 20141… Mieux: entre 2020 et 2022, le pourcentage de (presque) végétariens ou végétaliens est passé de 5% à 8% et celui de flexitariens (mangeant végétarien au moins trois jours par semaine) de 25 à 28%, d’après une étude menée par Ivox à la demande de l’asbl EVA, une organisation végétarienne. D’après cette même étude, un Belge sur deux (48%, soit 3% de plus qu’en 2020) est aujourd’hui d’accord pour dire que manger moins de viande et de poisson sera une nécessité pour l’avenir.
Les raisons de cette évolution sont assez simples à résumer: une attention de plus en plus portée au bien-être des animaux, au climat et à la santé. Reste à savoir par qui. Car toutes les catégories de population ne réduisent pas leur consommation de viande de la même manière, à même hauteur ou pour la même raison.
Un choix, vraiment?
«Une jeune femme urbaine, plutôt diplômée et athée, de gauche…» Pour Sarah Deligne, le portrait-robot de la personne portant attention à sa (non-)consommation de viande est assez simple à établir. Voilà quelques années que cette militante animaliste et chercheuse se penche sur la question. Et son constat est clair: l’âge, le sexe, l’orientation politique, le lieu de vie, le profil socioéconomique des individus exercent une influence. «Autrefois, la consommation de viande était réservée aux classes aisées. Depuis quelques dizaines d’années, l’accès à la viande, même de mauvaise qualité, est devenu plus démocratique et les personnes issues de milieux plus favorisés ont alors fait le choix de consommer moins de viande ou de se tourner vers des viandes dites de meilleure qualité, ce qui est devenu un nouveau marqueur social pour elles», explique-t-elle. Les chiffres disponibles ne disent pas autre chose. En 2018, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), un organisme d’étude français, notait que les diminutions de consommation de viande les plus importantes étaient «le fait des catégories socioprofessionnelles supérieures (cadres et professions libérales)» dont la consommation a chuté de 19% entre 2007 et 2016. «Une culture de classe», pour Julie Terache, chercheuse affiliée au Cescup (Research Center for Social and Cultural Psychology) de l’ULB, qui est l’apanage de ces personnes «connaissant moins de charge mentale (que les catégories socio-économiques plus fragiles, NDLR) et ayant le privilège de pouvoir prendre le temps de décider ce qu’ils mettent dans leur corps».
Certes, chez les ouvriers, une diminution de 15% a également été constatée sur la même période par l’étude du Crédoc. Mais selon une autre étude réalisée par le même organisme, menée pour FranceAgriMer et l’Observatoire CNIEL des habitudes alimentaires, publiée également en 2018 et concernant la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne, leurs motivations ne seraient pas vraiment les mêmes… Là où les cadres, professions libérales et les commerçants-chefs d’entreprise citent en premier lieu l’opposition à l’élevage des animaux pour les tuer comme frein à leur consommation de viande, les ouvriers placent quant à eux le prix de la viande – trop élevé – en tête de leurs motivations… Ce qui pousse les auteurs de l’étude à constater que, «pour certains, la restriction en consommation de viande peut être subie plus que choisie»…
Là où les cadres, professions libérales et les commerçants-chefs d’entreprise citent en premier lieu l’opposition à l’élevage des animaux pour les tuer comme frein à leur consommation de viande, les ouvriers placent quant à eux le prix de la viande – trop élevé – en tête de leurs motivations.
Convergence des luttes
Mais il n’y a pas que la catégorie socio-économique qui semble exercer une influence. L’âge et le genre jouent aussi un rôle. D’après l’étude menée en Belgique par Ivox pour l’asbl EVA, «ce sont surtout les femmes et les jeunes qui mangent le moins de viande». Un constat «genré» qui n’étonne pas Sarah Deligne pour qui la consommation de viande reste souvent «un symbole de virilité», notamment lié à la masse musculaire et à l’apport de protéines. «Bon nombre de féministes sont aussi végans, note-t-elle. Il y a un aspect de convergence des luttes, entre la lutte contre la pression que l’on met sur les femmes et celles que l’on peut mettre sur le vivant. Il existe un lien.» Quant à l’âge, le constat n’est pas que belge. L’étude du Crédoc menée sur la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne montre ainsi que la proportion de végétariens/végétaliens monte à 12% chez les 18-24 ans et 11% chez les 24-35 ans alors qu’elle est de 6% chez les 35-44 ans et de 5% chez les 45-54 ans… Un écart générationnel lié à une prise de conscience de certains enjeux (climatiques, de bien-être animal) chez les plus jeunes ainsi qu’à l’existence d’alternatives non carnées plus importantes aujourd’hui qu’il y a quelques années.
Reste l’orientation politique et philosophique. Pour Sarah Deligne, les trois religions monothéistes – christianisme, islam, judaïsme – «où l’homme doit asseoir sa domination sur la création» ont clairement une influence. Quant au politique, forcément lié, d’après une recherche menée en 2014 par des chercheurs de l’Université de Gand et de celle de Brock, au Canada, les personnes orientées à droite auraient tendance à consommer davantage de viande. L’explication, d’après les auteurs de l’étude? La croyance en la supériorité de l’homme sur l’animal et un sentiment de menace sur «l’idéologie carniste» ressenti par ces personnes, une menace qui serait exercée par les idées de non-exploitation animale. «C’est assez logique, conclut Julie Terache. Le conservatisme a souvent tendance à faire appel à quelque chose de rassurant, de connu. Alors qu’à gauche, il existe souvent une plus grande flexibilité cognitive facilitant le changement de comportement, d’opinion.»
Un phénomène urbain
C’est un des constats effectués par l’étude menée par Ivox pour le compte de l’asbl EVA: la moindre consommation – ou la non-consommation – de viande est un phénomène très urbain. Plus de deux Bruxellois sur cinq (42%) mangent végétarien au moins une fois par semaine, ce qui est plus qu’en Flandre (33%) ou en Wallonie (29%). Et près de la moitié des Bruxellois souhaiteraient réduire leur consommation de viande (45%), une proportion plus élevée que la moyenne belge (39%).
1. Chiffres issus de l’enquête 2019 réalisée par GFK Belgium et Ivox pour le compte du Vlam (Vlaams Centrum voor Agro-en Visserijmarketing).